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pation allemandes est une éloquente démonstration de son patriotisme. Quoi qu'il en soit, cette question était une question intérieure; elle ne regardait que nous et les Alsaciens, et ceux-ci ne se plaignaient guère d'ètre opprimés sous ce rapport. Faisons pourtant une exception pour le curé de Malling (Moselle), qui refusait, il y a quelques années, d'interroger en français les enfans du catéchisme. Cette exception est un véritable bonheur pour M. Bockh. La résistance opposée par cet ecclésiastique à l'instituteur, au maire, au conseil municipal, à toute la commune, est signalée par lui à l'admiration des patriotes allemands; mais devant l'inutilité de cette protestation isolée d'un curé germanomane il s'indigne du progrès constant de la langue française, des efforts faits dans cette voie par l'administration centrale et des encouragemens donnés à cette tâche patriotique par les autorités locales.

« Notre tolérance d'un pareil état de choses, s'écrie-t-il, avait pour causes en partie l'ignorance qui régnait sur ces faits dans le reste de l'Allemagne, en partie la crainte de la puissance de la France, qui aimait à se couvrir de l'amour de la paix comme d'un manteau, et cette crainte reposait sur le sentiment de notre propre impuissance; avec la disparition de ces deux sentimens disparaitra aussi cette tolérance, et la nation allemande fera valoir cette exigence que dans toute l'étendue de la France du nord-ouest qui, habitée par des Allemands, était autrefois du domaine de la langue allemande, c'est-à-dire dans une étendue de 230 milles carres, comprenant environ 1,427 communes et 1,360,000 habitans, la langue allemande soit remise en possession de ses anciens droits, que la population soit protégée dans l'usage de cette langue, que la culture de la langue allemande soit encouragée, et que le retour à la langue allemande soit facilité à ceux qui ont été francisés par ruse et par fourberie. Ce sont là les exigences de l'Allemagne, et ce serait l'intérêt mieux entendu de la France de faire droit à ces exigences en respectant la langue allemande dans les limites de son ancien domaine. Cela est certain, car autrement (les destins de la guerre sont changeans!) l'empiétement pourrait venir du côté de l'Allemagne. Plus d'un enthousiaste allemand a déjà réclamé la reprise de la Lorraine tout entière, depuis neuf cents ans en litige, et celle de Metz, Toul et Verdun, et la nation française perdrait par là moins du territoire et du peuple qui lui appartiennent en propre qu'elle n'a soumis de territoire et de peuple allemands par les conquêtes de deux siècles. »

Vraiment M. Bockh démasque trop tôt ses batteries. Il nous montre trop clairement combien était fragile la paix qui régnait entre la France et l'Allemagne, et combien, sans provocation au

cune, le pangermanisme était disposé à « empiéter » sur ce que les Allemands avouent être foncièrement français. Le but qu'ils poursuivent dans leurs subtiles discussions sur la nationalité se dévoile donc; on voit percer le désir de conquête qui ne cherche qu'un prétexte dans la prétendue « oppression » de l'Alsace et de la Lorraine. Cette convoitise des trois-évêchés, qui sont de langue et de nationalité françaises, montre avec quel scrupule l'Allemagne victorieuse appliquera le « principe de la nationalité. »

Si cette théorie de la langue et de la race que prône M. Bockh devait l'emporter et recevoir une application équitable au profit de toutes les langues et de toutes les races, quelle confusion s'introduirait dans la délimitation des frontières en Europe, et comme l'Allemagne elle-même serait étrangement amoindrie! M. Bockh avoue lui-même que des populations de langue autre que l'allemand entrent pour un neuvième dans la population totale de la Prusse, proportion de beaucoup plus forte que celle de l'élément allemand en France. A part quelques milliers de Wallons aux environs de Malmédy, dans la Prusse rhénane, et les Danois du Slesvig, ce sont des populations slaves qui composent ce neuvième non encore germanisé de la monarchie prussienne (1). Ces populations slaves, que les Allemands ont soumises il y a quelques siècles, sont depuis longtemps assimilées à l'Allemagne par la langue, les mœurs et les sentimens. Danzig et Breslau ne se rappellent sans doute pas qu'elles ont été des villes polonaises, et ce ne serait

(1) On peut se rendre compte de la proportion des élémens non allemands dans le royaume de Prusse par des chiffres que nous empruntons à une publication officielle du ministère de l'instruction publique en Prusse. C'est le tableau des différentes langues parlées par les enfans qui fréquentaient les écoles primaires à la fin de 1861. Le nombre de ces enfans était de 2,938,679, et le rapport des différentes langues nous est donné tel qu'il suit par le ministère prussien de l'instruction publique :

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(Renseignemens statistiques sur l'enseignement primaire en Prusse pour les années

1862-1864, Berlin, 1867.)

qu'un cri d'indignation en Prusse, si une puissance slave, convertie au « principe de la nationalité » de M. Boeckh, sommait la Prusse de « faciliter le retour à la langue slave à ceux qui ont été germanisés par ruse et par fourberie. » Ces théories ne sont que des armes de guerre dont l'Allemagne compte user seule. A quoi bon cette hypocrisie, et pourquoi ne pas décerner purement et simplement à l'Allemagne le droit brutal de la conquête?

Le Luxembourg ne semble pas montrer plus que l'Alsace le désir de redevenir allemand; nous avons même appris récemment qu'un des griefs à l'ombre desquels M. de Bismarck compte ravir son indépendance à ce petit état est tiré des insultes que, prétend-il, les Luxembourgeois adressent aux Allemands de passage sur leur territoire. Par un motif encore plus spécieux, par un argument tiré du droit historique, M. Bockh réclamait déjà l'entrée du grand-duché de Luxembourg dans la confédération des états allemands. La France succombant dans son terrible duel avec l'Allemagne, M. de Bismarck donnera sans nul doute satisfaction aux vœux du nationaliste statisticien, et ce petit pays, qui pendant la guerre de 1870 a fait un si noble usage de sa neutralité, ne saurait tarder à se voir violemment annexé au nom du principe prussien de la nationalité. Avec le triomphe du pangermanisme, le grand-duché ne serait d'ailleurs pas seul à disparaître. Après lui viendrait logiquement la Hollande, viendrait la Belgique, viendraient même nos départemens du Nord et du Pas-de-Calais, en un mot tous les pays de langue hollandaise ou flamande, parce que ces langues sont des dialectes de souche germanique. La différence des dialectes est en effet si peu de chose pour M. Bockh que, dans le tableau statistique des différentes nationalités de l'Europe par lequel se termine son volume, la Hollande et la Belgique figurent entre les royaumes de Bavière et de Saxe dans l'énumération des différens états « allemands. »>

Pour la Hollande, l'annexion ne semble à M. Boeckh qu'une affaire de temps, retardée par l'esprit particulariste des Hollandais, qui « continuent à se dérober à l'union allemande. » Ce particularisme, ridicule aux yeux des pangermanistes, aurait uniquement son origine dans le fait que, la Hollande ayant été depuis longtemps séparée de l'Allemagne, le dialecte hollandais du bas-allemand s'est élevé au rang de langue littéraire, et qu'il s'est établi ainsi une barrière entre les deux pays. Le passé glorieux des Provinces-Unies est plus encore pour les Hollandais un motif de tenir à leur nationalité. On sait combien elle leur est chère; mais M. Bockh leur assure qu'ils comprennent mal leurs intérêts, et que le meilleur moyen de regagner leur ancienne puissance est de rentrer dans le giron de 'Allemagne. En outre le « principe de la nationalité » les y oblige,

car leur langue est une langue germanique, un dialecte bas-allemand. Or haut-allemand, plat-allemand, bas-allemand, ces différences de dialectes s'effacent dans l'unité allemande, qui les comprend tous. Aussi M. Bockh ne croit-il pas nécessaire d'indiquer les frontières linguistiques qui séparent le hollandais et le flamand des dialectes allemands des bords du Rhin. « Il n'existe pas, dit-il, de frontières entre flamand et allemand, et il ne peut en exister, car l'idée d'allemand comprend celle de bas-allemand. Et cette conviction, que le particularisme des états est seul à combattre, commence à s'établir aussi en Belgique, comme le montrent les belles paroles par lesquelles un poète flamand a chanté la trinité de la langue allemande, et dont la devise est : haut-allemand, plat-allemand, bas-allemand, allemand aujourd'hui et toujours! >>

Si l'auteur pangermaniste laisse patiemment venir le jour où la Hollande comprendra mieux son profit et son devoir, il ne montre pas la même tranquillité d'esprit à l'égard de la Belgique et de la partie flamande de nos départemens du nord. Là en effet le flamand est, paraît-il, opprimé par le français, comme l'allemand en Alsace et en Lorraine; le flamand ne se distingue du hollandais que par des différences orthographiques. On n'ignore pas qu'une des causes de la séparation de la Belgique d'avec le royaume néerlandais a été l'obstination du roi de Hollande à imposer le hollandais à la partie wallone de ses sujets. La Belgique est un pays wallon (1) avec de très forts élémens flamands. La langue officielle, la langue des tribunaux est la langue française on l'enseigne dans les écoles aux enfans d'origine flamande, ainsi qu'aux enfans d'origine wallone. N'est-ce pas abominable? Aussi se forme-t-il peu à peu en Belgique un parti flamand qui a fait entendre sa voix jusque dans le parlement belge; une littérature populaire, dont M. Henri Conscience est le représentant le plus connu hors de Belgique, fortifie les traditions flamandes, et on voit se fonder des journaux en dialecte flamand pour propager et défendre l'idée d'une nationalité flamande. L'Allemagne suit ces symptômes avec un vif intérêt, elle encourage les promoteurs de ce mouvement; bientôt peut-être elle menacera la Belgique d'une exécution semblable à celle du Danemark, et réclamera l'entrée de la Belgique, comme province vassale, dans l'empire d'Allemagne. Par le langage que tient M. Bockh, appelant les Flamands de Belgique une partie précieuse de notre nation, on peut juger de l'appui que les agitateurs du parti flamand trouveraient auprès d'une Allemagne maîtresse en Europe.

(1) Le wallon est une branche de la langue d'oil, c'est-à-dire un dialecte français.

Blâmant, en Belgique comme en France, le gouvernement de rendre l'étude du français obligatoire, il s'exprime sans détour. « On voit, dit-il, à quel prix le parti prétendu libéral, en ce moment aux affaires, a obtenu ce grand résultat d'amener à l'usage du français un quinzième de la population flamande, quand on pense que deux millions et demi d'habitans sont obligés de s'adresser à la justice dans une langue qui leur est étrangère, et ne comprennent pas les débats d'où leur sort dépend, que les employés du gouvernement agissent d'après des règlemens inintelligibles au peuple, et qu'ils ne sont pas obligés (que souvent même ils sont hors d'état) d'employer la langue du pays, le flamand, dans leurs rapports avec la population, que le terme « flamand » est jeté comme une insulte à la tête des soldats, parce qu'ils ne comprennent pas assez vite les instructions données en français. » Et M. Bockh cite avec joie les paroles par lesquelles les coryphées du parti flamand ont, en pleine chambre des représentans, jeté au gouvernement belge la menace d'une insurrection flamande.

Si l'on tire une ligne d'Aix-la-Chapelle à Tourcoing, et que de Tourcoing on la continue jusqu'à Gravelines en la faisant passer par Courtray, Hazebrouck et un peu au-dessus de Saint-Omer, on a, au nord de cette ligne, les districts belges et français de langue flamande. Bruxelles se trouve par sa position géographique dans le territoire flamand, et contient du reste, comme on sait, un très fort élément flamand. Aussi M. Bockh trouve-t-il que les Flamands sont opprimés par la domination française dans la capitale de la Belgique. En somme, c'est la moitié du territoire belge, renfermant plus des trois cinquièmes de la population avec les villes les plus importantes, Bruxelles, Anvers, Malines, Gand, Bruges, que le pangermanisme réclame. Il y ajoute du même droit, c'est-à-dire parce que le flamand y est encore en usage, une partie de nos départemens du Nord et du Pas-de-Calais, à savoir l'arrondissement de Dunkerque, la plus forte part des arrondissemens d'Hazebrouck et de Saint-Omer, ainsi qu'une partie de celui de Boulogne.

Si à l'ouest les Allemands veulent regagner le terrain qu'ils nous avaient cédé, ils entendent bien garder en même temps à l'est celui qu'ils ont conquis sur les Slaves, et même l'augmenter. Contre nous, ils invoquent le droit historique, contre les Slaves le droit de possession et le fait accompli. La célèbre formule du Drang nach Osten (élan vers l'est) résume l'envahissement progressif des pays slaves par les Allemands, envahissement que réalise tantôt la conquête, tantôt la colonisation aux apparences pacifiques. M. Bockh peint à merveille un des traits les plus frappans du caractère germanique lorsqu'il dit « L'Allemand ne peut rien changer à sa nature, il

TOME XCI. — 1871.

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