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nation de l'empire des Francs, » quand tous les hommes valides de cette race détestée auront été terrassés, toutes ses richesses détournées et « tous ses nids anéantis. » Ses nids, vous l'entendez, ils veulent écraser l'œuf pour être bien certains qu'il n'y aura plus de France. Je ne dis pas que ce soient là les sentimens de l'Allemagne entière, mais ce sont ceux des hommes qui la dirigent, qu'elle suit, dont elle répond, et qui la représentent. Eh bien! qu'ils se consolent, ces exterminateurs; si la joie leur est refusée d'avoir Belleville « à portée, » de faire ruer sur le centre de notre ville ce faubourg favori, ils ont sous leurs canons pour se dédommager, sans compter tant de trésors d'esprit et de science, d'écoles et de musées, d'établissemens illustres, ils ont force malades, force blessés, qu'ils peuvent achever; ils ont des hospices de vieillards, et, ce qui doit encore mieux leur plaire, comme un moyen d'étouffer nos semences, de tuer des Francs presque au berceau, ils ont de grands asiles consacrés à l'enfance. Vous savez leur exploit, et quel insigne honneur d'avoir, à Saint-Nicolas, inondé ce dortoir du sang de pauvres agneaux, Le poète pourrait leur dire comme aux prétoriens de décembre:

Victoire! ils ont tué, carrefour Ticquetonne,
Un enfant de sept ans!

Et c'est ce roi à l'aspect débonnaire, ce bon vivant, ce vieillard, qui n'a que faire dans son armée, ne la commandant pas, s'il ne se donne au moins la noble tâche d'y justifier sa présence en y réprimant les excès, c'est lui qui les autorise, c'est lui qui donne le signal de ces honteuses exécutions! Les feuilles à ses gages ont soin de nous l'apprendre, les bombardemens le regardent. Il les arrête, il les retarde ou bien il les accélère, selon ses jours de dévotion.

Eh bien! si quelque chose absout la Providence de tolérer de tels mé faits, c'est que ceux qui les commettent, bien qu'impunis encore, ont au moins le déboire de n'en tirer aucun parti. Plus de cent mille projectiles sont déjà tombés sur Paris, les deux tiers environ de la provision totale de toutes ces pièces de siége transportées de si loin, si lentement, à si grand'peine qu'en est-il résulté? Nos forts et nos remparts sont effleurés à peine, et dans l'intérieur de la ville, si nous n'avions pas à pleurer tant d'innocentes victimes, les dégâts matériels, plutôt nombreux qu'irréparables, n'auraient jusqu'à présent aucune gravité. Mais quelque chose est plus intact encore et que les forts et que la ville, c'est justement ce dont ces bombardeurs croyaient le mieux triompher, ce qui leur semblait ne pouvoir survivre à deux décharges d'obusier, la fer meté morale des habitans de Paris. Les forts, à la rigueur, on peut y trouver trace du choc des projectiles; il y a par-ci par-là des pierres épaufrées, des moellons labourés, tandis que je défie qu'on me trouve une échoppe, aussi bien qu'un somptueux hôtel, une boutique, une mansarde, aux faubourgs comme au cœur de la ville, un lieu quel

conque où s'abrite un cœur d'homme et même aussi de femme, à qui cet odieux vacarme et ces atrocités n'inspirent moins de trouble que d'exaspération. Ils n'ont pas tous même courage, même mépris du dan. ger; mais l'idée que la résistance en doive être abrégée d'un seul jour, cette idée n'entre chez personne, pas même à Belleville, tenez-le pour certain.

J'aurais voulu que M. de Bismarck nous fit l'honneur de venir en personne assister aux premières scènes de la bruyante tragédie si bien préparée par lui; il aurait vu l'accueil qu'ont reçu ses obus, avec quelle bonne humeur, quel héroïsme insouciant, poussé jusqu'à l'imprudence, hommes, femmes, enfans, venaient, comme à l'exercice, assister aux premières explosions de ces instrumens de mort. Nous-mêmes qui l'avions vue, cette population parisienne, depuis tout à l'heure quatre mois, passer par tant d'épreuves, se soumettre à des privations qui de sang-froid lui auraient paru plus dures que la mort même, et s'y accommoder simplement, résolùment, et toujours sans murmure, nous n'étions pas, je l'avoue, pour ma part, sans redouter un peu que ces diaboliques engins ne triomphassent de sa constance. Elle nous a bientôt rassurés, en devenant, je puis le dire, encore plus décidée, plus résolue, plus ferme. C'est donc une affaire jugée bien que l'arrêt ne soit pas rendu, ce grand bombardement moral, ce moyen infaillible, ce souverain remède tant promis à Berlin, tant attendu, tant exalté, cette façon d'en finir et d'épargner le temps, d'échapper aux dangers entrevus à Versailles, ce bombardement, quoi qu'on fasse, ne sera qu'un avortement sans cesser d'être une abomination.

Plus que jamais nous devons donc espérer malgré les rudes conditions où nous sommes et qu'il nous faut toujours envisager sans illusion aussi bien que sans crainte, malgré bien d'autres bombardemens d'un genre plus dangereux qu'on nous ménage à coup sûr pour produire dans nos rangs des explosions de fausses nouvelles et de découragement, malgré tout, nous devons espérer que Paris tiendra jusqu'à l'heure si bien prévue et redoutée par la Gazette de Silésie, l'heure où les lignes assiégeantes seront prises entre deux feux; mais si cette heure libératrice venait à trop tarder, si Paris, après avoir poussé jusqu'à complet épuisement sa sublime gageure, devait cesser de rendre à la patrie l'immense et sacré service qu'il acquitte aujourd'hui, qu'on ne nous parle pas de 1814, qu'on ne nous dise pas que dans notre France la chute de la capitale entraîne du même coup la soumission du pays; qu'on ne donne pas au-delà du Rhin à ces femmes, ces mères, ces épouses, justement avides de paix, cette consolante et fausse analogie; non, 1871 ne ressemblera pas à 1814, d'abord parce que Paris ne sera pas pris, et que, fùt-il pris, la guerre, loin de s'éteindre, n'en serait que plus acharnée.

Ces grands docteurs qui font parler l'histoire n'y regardent point

d'assez près. Ils oublient qu'en 1814 cette France, qu'ils s'étonnent et s'effraient de voir tirer si vite de son flanc de si fortes armées, était complétement épuisée, que depuis vingt ans de guerre elle avait vu moissonner tous ses hommes, et n'avait plus déjà que des enfans pour soldats; ils oublient que la résistance s'était alors personnifiée dans un homme qui avait éteint à son profit le sentiment de la patrie, et que la France était combattue dans son désir de continuer la guerre par la crainte de rester asservie. Où trouver aujourd'hui rien qui ressemble à cette France de 1814, et de quel droit promettre à l'Allemagne que, si Paris succombe, elle aura bon marché de nous? Qu'ils se détrompent, et que jamais ils n'espèrent que 1871, ni aucune autre année qu'il leur plaira d'attendre, leur offre pour dicter à la France une paix complaisante et soumise, les chances presque uniques qu'en 1814 et 1815 il leur fut permis d'exploiter.

Savez-vous, cher monsieur, quelle toute autre pensée ces deux dates m'inspirent, et combien la comparaison de cette fatale époque, source de tous nos maux, avec celle où nous sommes, me remplit d'une sorte d'espérance et de consolation? Oui, il fut un moment dans notre histoire où, par une combinaison fatale de circonstances, toute une partie de la société française, par horreur d'un odieux despotisme, dut ne pas professer assez haut les plus sacrés de tous nos sentimens, l'amour de la patrie, l'horreur du joug étranger. Il en était resté un amer souvenir, et dans le cœur des masses un soupçon presque indestructible d'odieuse complicité. De là cinquante ans de discorde, de haines et de bouleverse

mens.

Il fallait que l'ordre se rétablit, que la patrie retrouvât tous ses enfans unis pour la défendre, que dans des flots de sang glorieusement versé tout injurieux soupçon, tout mauvais souvenir vînt s'éteindre. Serait ce donc concevoir une espérance chimérique que de voir dans le touchant concours des Français de tout rang, de toute condition, sans acception ni de parti ni de naissance, pour travailler au salut commun, dans les sacrifices de tout genre qui de tous les côtés s'accomplissent aujourd'hui, une sorte d'effacement de deux dates sinistres remplacées par une autre que tout le monde avouera, et comme un gage de réconciliation d'où peut dépendre la vraie résurrection de la France, et qui peut lui promettre après le jour de la délivrance un lendemain prospère, pacifique et glorieux?

L. VITET.

C. BULOS.

LES REVENDICATIONS

DU

PANGERMANISME

1. Der Deutschen Volkszahl und Sprachgebiet in den Europæischen Staaten; eine statistische Untersuchung, von R. Bockh, 1 vol. in-8°; Berlin, 1870. — II. Vælker und Sprachenkarte von Deutschland und den Nachbarlændern zusammengestellt von Heinrich Kiepert. Berlin, 1867.

Un des traits les plus caractéristiques de la guerre actuelle de l'Allemagne contre la France est l'affectation d'humanité et de sentimens pacifiques dont nos ennemis ont fait étalage en toute occurrence. Diplomates et journalistes, généraux et professeurs, on dirait que tous ont voulu se donner pour des bergers d'églogue quand ils montraient leur pays « surpris » par la déclaration de guerre du gouvernement impérial, quand ils émettaient la prétention d'être le peuple le plus modéré et le plus pacifique de la terre. Nous pensons volontiers que ni le paysan dans sa chaumière, ni l'artisan à son établi, n'ont appelé de leurs vœux cette guerre sanglante qui devait faire tant de veuves et semer tant de ruines; mais cet esprit pacifique existait-il réellement parmi les classes dirigeantes de la société d'outre-Rhin? Était-ce lui qui animait la politique prussienne? était-ce lui qui régnait depuis vingt ans dans la littérature allemande? L'histoire dira un jour si, en déclarant la guerre à la Prusse, l'empereur Napoléon III n'est pas sottement tombé dans le piége que M. de Bismarck avait déjà tendu en 1866 à l'empereur François-Joseph. En attendant que la vérité brille entière et complète sur les ténébreuses menées de la po

TOME XCI.

1er FÉVRIER 1871.

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litique prussienne, on ne peut nous cacher quel souffle ambitieux passait déjà sur l'Allemagne, comment poètes, écrivains, professeurs, semaient dans les âmes allemandes les germes de la défiance et de la haine contre leurs voisins de France. Par son active propagande, le « parti des professeurs » préparait la voie aux sentimens belliqueux du « parti des hobereaux, » et le Professorthum travaillait pour le Junckerthum. Cette guerre de races se préparait lentement par l'exaltation de la « nation allemande. » Rencontre étrange, ceux qui faisaient sonner le plus haut les mots de «< nationalité allemande, » ce n'étaient pas les populations foncièrement germaniques de la Souabe ou de la Franconie, c'étaient les Slaves germanisés du nord-est de l'Europe centrale que l'ordre teutonique fut si lent à civiliser. A les entendre, Borusses de la Prusse, Kassoubes de la Poméranie, Obotrites du Mecklembourg, Wilziens du Brandebourg, Polonais de la Silésie, Wendes de la Lusace, la race allemande était supérieure aux autres races de l'Europe par un heureux mélange de toutes les qualités physiques, morales et intellectuelles, sans l'ombre d'aucun défaut. Comme un métal précieux se dégage par la fusion d'un alliage impur, ainsi la race allemande devait-elle s'élever au-dessus des différens états où elle s'est infiltrée, et former un jour un « état allemand. » Cedite, Romani! Les Allemands sont-ils établis quelque part où l'élément slave indigène n'a pas perdu la prédominance du nombre, eh bien! les Slaves seront germanisés pour leur plus grand bien et pour le plus grand honneur de l'Allemagne. Les nations slaves, nous dit-on à satiété, sont encore barbares, et les nations romanes sunt corrompues; la civilisation allemande doit régénérer l'Europe romane et slave, comme la barbarie germanique a rajeuni le monde romain. Principalement depuis quelques années, depuis que la création de la confédération de l'Allemagne du nord a donné un point d'appui aux prétentions du pangermanisme, cet esprit ambitieux s'est propagé avec rapidité dans la littérature allemande. Livres et journaux l'ont répandu dans toutes les couches de la société allemande, et ont cherché à en pénétrer les classes jusqu'ici indifférentes à la vie politique. Parmi toutes ces publications, signe des temps, aucune ne nous semble plus digne d'attention qu'un livre de M. Richard Boeckh sur la statistique de la race et de la langue allemandes dans les états européens, livre publié au début de l'an 1870. Fils du célèbre helléniste de ce nom, M. Richard Boeckh passe pour un des statisticiens les plus éminens d'outre-Rhin. Cet ouvrage ne se recommande pas moins par son mérite intrinsèque que par le nom de l'écrivain. C'est, par les nombreux renseignemens qu'il renferme, une mine abondante de matériaux pour la polémique

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