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toute difficulté, c'est que la France ne peut déserter son rôle dans les affaires du monde; elle ne peut laisser échapper l'occasion de porter devant l'Europe assemblée le grand procès qui s'agite entre elle et la Prusse, et les puissances réunies à Londres ne sont point sans avoir prévu qu'elles pourraient avoir à s'occuper d'autre chose que de la MerNoire, que cette conférence, qui n'est point encore ouverte, pourrait bien devenir un congrès forcément saisi de tous les problèmes européens. L'Europe s'est montrée jusqu'ici passablement indifférente; le moment est venu où il faut que toutes les politiques prennent leur parti devant une situation qui commence à se dessiner avec ses menaçans caractères. Que fera l'Angleterre? Nous nous demandons si elle pourra longtemps rester froide en présence de complications où le droit est si ouvertement subordonné à la force, et qui peuvent devenir un danger pour elle. L'alliance de la Prusse et de la Russie n'est plus un fait douteux, elle vient de se manifester par une simultanéité d'action assez significative. Et en même temps, si étrange que cela soit, ces deux puissances en sont déjà peut-être à pouvoir compter sur le concours ou sur les sympathies des États-Unis dans certains événemens. Il se passe audelà de l'Atlantique un fait curieux qui peut conduire un jour ou l'autre à un véritable abandon de toutes les traditions des États-Unis, à une déviation de leur politique. L'immense émigration allemande qui s'agite dans ces contrées est déjà assez puissante pour peser sur les partis, pour leur imposer ses intérêts et ses sympathies. D'un autre côté, une sorte de jalousie commune de l'Europe a établi depuis quelques années une manifeste affinité entre la Russie et les États-Unis. L'Angleterre croit-elle que dans ces conditions il soit d'une bonne politique pour elle de se détourner de la France, de laisser se disjoindre le faisceau des forces libérales qui est encore la garantie de l'Europe contre ces alliances gigantesques dont le dernier mot est la conquête, la conquête en Orient comme au centre du continent, comme au Canada? Et l'Autriche à son tour peut voir quelle situation pourrait lui être faite par la prépotence prussienne. Cette situation en vérité, elle est peinte avec un mélange d'artifice et d'audace dans une récente dépêche de M. de Bismarck à l'adresse du cabinet de Vienne au sujet du traité de Prague. Lorsque dans ces dernières années la France faisait mine de se prévaloir des conventions de la paix de Prague, la Prusse lui répondait que cela ne la regardait pas, qu'elle n'avait pas signé les arrangemens de 1866. Elle ne peut pas faire la même réponse à l'Autriche, qui a signé cette paix cruelle qu'à cela ne tienne, M. de Bismarck proteste de sa «considération » pour le traité de Prague. Il est vrai que les conditions stipulées par ce traité ne sont point remplies, que c'est tout le contraire qui se réalise, que l'Allemagne du sud, au lieu de former une confédération distincte, vient de se lier à la Prusse par de nouveaux traités qui font de la Bavière, de Bade, du Wurtemberg, des dépen

dances d'une grande confédération germanique dont le roi Guillaume est le chef sous le titre d'empereur; mais l'Autriche est trop raisonnable pour ne point admettre cette « nouvelle phase de la reconstitution de l'Allemagne, » et M. de Bismarck pousse l'ironie jusqu'à complimenter le cabinet de Vienne sur sa sagesse, en lui prodiguant les assurances les plus amicales. Un de ces jours, le chancelier prussien demandera ses provinces allemandes à l'Autriche, et il lui offrira son amitié. Alors sans doute l'Autriche s'apercevra un peu tard que, dans cet ordre nouveau où nous entrons, tout la rapproche de nous.

Quant à l'Italie, à l'Espagne, qui semblent plus désintéressées ou moins menacées, croient-elles donc qu'elles seraient bien à l'abri, si elles cessaient d'avoir la France pour rempart? Est-ce qu'elles n'entendent pas toutes ces voix allemandes déclarant que la guerre actuelle n'est point une guerre ordinaire, que c'est la lutte de la race germanique contre la race romane? Par un dernier privilége de sa fortune, la France, en combattant pour elle-même, combat encore pour toutes les indépendances, pour la sécurité des races latines comme pour les garanties politiques de l'Occident. Cette cause, nous en garderons jusqu'au bout l'espérance, ne peut être ni écrasée sous une victoire de l'astuce et de la violence, ni indéfiniment désertée par ceux qui sont intéressés autant que nous à la voir triompher. Le chancelier prussien peut en attendant, s'il le veut, faire déverser l'insulte sur nous par les scribes à la suite de ses armées et se laisser dire qu'il est le chevalier de Saint-George chargé de terrasser le dragon. Nous ne renverrons pas l'injure à l'Allemagne, nous nous bornerons à la plaindre de prendre si vite les goûts et le langage des séides de la force. M. de Bismarck peut nous bombarder, il n'empêchera pas la protestation de l'humanité et de la justice de s'élever contre lui du sein de ce tourbillon de fer et de feu dans lequel il prétend nous envelopper et nous étouffer.

CH. DE MAZADE.

CORRESPONDANCE

A M. LE DIRECTEUR DE LA REVUE DES DEUX MONDes.

Mon cher monsieur,

Nous y voyons enfin un peu plus clair depuis ce renouvellement d'année. La muraille est encore bien épaisse entre la France et nous, mais il s'y fait comme d'heureuses fissures où nos yeux commencent à pénétrer. Nous discernons les positions, le nombre, la marche de nos armées, l'ardeur de nos populations, les faux calculs, les mécomptes de l'ennemi. Il n'est qu'un point où pour moi l'obscurité redouble, c'est quand je veux trouver une cause à ce fait qui depuis vingt jours nous révolte et nous assourdit, ce fait aussi sauvage qu'inutile, le bombardement de Paris.

Je n'y croyais pas, je le confesse, non qu'il me parût téméraire de faire honneur à ces barbares d'une barbarie de plus; mais je les savais habiles je pensais que sur le terrain, en face de nos ouvrages, ils avaient dû rire, comme nous, de ces deux forts que M. de Bismarck se flattait de nous prendre en deux jours, qu'ils avaient au premier coup d'œil compris combien l'attaque à force ouverte serait pour eux peine perdue; qu'un seul moyen, peu glorieux, le blocus prolongé, leur offrait quelque chance; que dès lors mieux valait tirer parti de leur mécompte, se donner l'apparent mérite de la modération et pouvoir se vanter un jour, ce qui rendrait soit le succès plus insolent, soit l'insuccès plus tolérable, de n'avoir pas voulu nous foudroyer, de nous avoir fait grâce de leurs monstrueux canons. Ils m'ont désabusé, je dois dire, dès le 27 décembre au matin, en m'éveillant par l'affreux tintamarre que vous savez; mais ce n'était encore que le plateau d'Avron et ses voisins les forts de l'est, ce n'était pas Paris qu'ils mitraillaient ainsi. Quelques-uns même allaient jusqu'à prétendre qu'ils en resteraient là, ou tout au moins qu'avant de jeter sur la ville la pluie de fer et de feu, ils se conformeraient à cet usage universel entre nations civilisées de dénoncer leur projet. C'était les mal connaître. Ils ne sont pas gens à prendre de tels soins. Tout brusquement, la nuit, comme des maraudeurs, après avoir pendant le jour fait feu sur les forts du sud, ils ont mis nos maisons en joue, nos maisons, nos églises, nos hôpitaux, nos ambulances, et aussi loin qu'ils pouvaient atteindre íls ont lancé leurs engins. Cette façon de frapper au hasard, d'assommer les gens dans leur lit, de s'attaquer aux impotens et aux malades, de tuer les femmes, les enfants, les vieillards, tout ce qu'il y a dans une ville de moins guerrier, de moins valide, de plus inoffensif, c'est une atrocité qui répugne à l'esprit militaire, qui flétrirait même la gloire, et qu'il faudra rayer du code des nations dès que l'Europe échappera, ce qui ne peut tarder, j'espère, au danger de devenir prussienne. En attendant, ils s'en donnent à cœur joie: pourquoi? que signifie cet accès de colère à la fois subit et tardif? Chacun l'explique à sa guise en voici peutêtre le secret.

Vous avez lu, je pense, un long extrait de la Gazette de Silésie reproduit à Berlin le 2 janvier et à Paris le 10 dans le Journal officiel. Je ne sais pas un document plus instructif et plus révélateur, pas un qu'il faille méditer avec plus d'attention, dont chaque mot et chaque réticence renferme des aveux plus explicites ou de plus précieux enseignemens. C'est un plaidoyer à peu près officiel à l'adresse du public allemand, ou plutôt une consultation d'avocat et de médecin tout ensemble, car ce public est malade, il s'inquiète, il s'irrite, il a les nerfs troublés; il se plaint qu'on l'ait trompé, qu'on ait compromis ses victoires en ne terminant pas la guerre au bon moment; il en veut à ces hobereaux, à cette féodalité guerroyante, même à ce roi et à ces conseillers qui l'ont

lancé dans cette entreprise, dont l'énormité l'épouvante; il faut le calmer, lui donner des raisons, discuter devant lui. Que lui dit-on? Oset-on le leurrer tout à fait, simuler la sécurité, professer l'optimisme? Non, on s'en garde bien. Sans rien assombrir, on affecte de tout révéler, de dire les choses telles qu'elles sont, comme pour préparer à ce qui pourrait encore advenir de plus grave. Ainsi complet aveu de l'erreur fondamentale: il est très vrai qu'on s'est trompé; on ne s'attendait pas, en continuant la guerre, que la France acceptât si mal l'invasion, qu'elle pût, sous la conduite d'un pouvoir de raccroc, sans racines et sans consistance, concevoir la pensée de disputer son territoire à des armécs victorieuses si puissantes et si aguerries. C'est pourtant là ce qui arrive c'est la France, c'est bien elle, qui se lève en armes presque partout et fait des efforts surhumains. Des corps considérables et même déjà solides manœuvrent sur divers points et convergent vers la capitale. La situation serait donc pour les forces allemandes tout au moins difficile, peut-être même périlleuse, et l'émotion de l'Allemagne trop justement fondée, si par bonheur tout cet ensemble d'appréhensions ne tenait à une cause unique, laquelle en disparaissant fera tomber l'échafaudage, et toute crainte aura cessé

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Cette cause unique, quelle est-elle ? La résistance de Paris. Que cette résistance soit brisée, que Paris succombe, et on répond de tout. Le jour où la capitale aura cessé la lutte, l'Allemagne peut considérer la guerre comme terminée. C'est Paris seul, c'est son prestige, c'est l'espoir de le conserver qui galvanise et fanatise cette nation affolée. La vigueur même, l'étonnante énergie qu'en ce moment elle déploie, et qu'on est loin de méconnaître, ce n'est qu'un feu passager la capitale morte, cette ardeur tombera. Toute puissance de résistance morale sera comme anéantie. Plus de combats partiels; le but unique étant atteint, ils n'auront plus de raison d'être la France se déclarera vaincue, ainsi le veut l'histoire, ainsi l'ethnologie: l'histoire, car en 1814 et en 1815 les choses se sont ainsi passées; elles se passeront de même en 1871; l'ethnologie, car la nation française ne possède pas « les facultés caractéristiques qui prédisposent à une résistance purement défensive, sou

tenue et tenace. »>

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Tel est le docte roman qu'on sert aux Berlinois et aux alliés du sud comme fiche de consolation, pour leur faire accepter les vérités amères qu'on vient de confesser. Il y a péril, leur a-t-on dit; mais voici le remède, remède souverain, ne vous alarmez pas. Tout à l'heure, cher monsieur, si vous le permettez, nous dirons deux mots du roman, et nous en aurons bon marché, je pense, malgré l'histoire, malgré l'ethnologie. Nous verrons si, même Paris tombé, les choses se passeraient en France comme on veut le faire croire; mais parlons d'abord de Paris comment se propose-t-on de briser sa résistance? Est-ce par le blocus avec espoir de l'affamer? Non, ce serait trop lent; le temps

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est d'un trop grand prix dans les circonstances nouvelles où la guerre est maintenant entrée. Le système du blocus était bon quand la France paraissait endormie, quand les lignes assiégeantes n'avaient à redouter que l'effort de la place, les attaques de la garnison, et tout au plus, comme offensive extérieure, des escarmouches isolées : tandis qu'aujourd'hui songez donc que ces lignes sont menacées de quatre côtés à la fois et par de vraies armées qui, bien qu'éloignées encore, vont en grossissant chaque jour dans une tout autre proportion que les renforts arrivant d'Allemagne; songez que si ces armées, ou seulement une d'elles, cessent d'être contenues par les forces allemandes détachées de l'investissement et à peine suffisantes à les tenir en échec, pour peu qu'elles fassent une pointe hardie, les lignes assiégeantes sont prises entre deux feux. C'est donc un état critique: il faut en sortir à tout prix. Pas un moment à perdre tout tenter, tout risquer et porter les grands coups. De là l'infernale avalanche qui tombe aujourd'hui sur Paris, de là ce bombardement convulsif et précipité.

Or vous croyez peut être que les conseillers de cet acte féroce le tiennent pour efficace, militairement parlant, qu'ils se font illusion sur l'action de leurs bombes, et pensent que nos remparts, au bruit des canons Krüpp, doivent tomber en poudre comme les murs de Jéricho? Non, froidement ils en conviennent, et cette Gazette est leur écho, l'effet matériel pourra bien être nul, mais c'est l'effet moral qui seul les préoccupe. Leur tir est à ricochet, à ricochet psychologique, pour emprunter leur jargon. Ce qu'ils veulent nous lancer sous la forme d'obus, c'est la sédition, la révolte, la fureur populaire, le meurtre, l'incendie; voilà leur ambition, leur gloire; voilà les trophées qu'ils rêvent. Aussi voyez comme elle aspire, cette Gazette, au moment où « les masses ouvrières et populaires des faubourgs viendront demander l'hospitalité aux habitans plus aisés du centre de la ville, » comme, en particulier, il lui serait agréable que le « faubourg émeutier de Belleville » voulût faire ce déménagement, comme elle se désespère qu'il soit « encore hors de portée, » et qu'on ne puisse établir, sans dépenser trop d'hommes et trop de temps, les batteries qui pourraient l'atteindre. Est-ce de l'ivresse? est-ce de la rage? Que veulent-ils, ces gens-là? Faire peur ou massacrer? Sont-ils des croquemitaines ou sont-ils des bourreaux? Je voudrais les croire charlatans; mais non vraiment, c'est tout de bon qu'ils se ruent contre nous pour la vie ou la mort. » Ils sont aussi haineux qu'ils le veulent paraître, et cette autre Gazelle qui renchérit sur cele de Silésie, la Nouvelle Gazette de Prusse, nous en donne entre mille une lamentable preuve. C'est à propos du combat de Nuits, victoire d'un genre nouveau qui a fait si promptement reculer le vainqueur. Vous l'avez lue, cette diatribe sanguinaire, ou plutôt vous n'en avez pas cru vos yeux. C'est un degré de barbarie qui touche à la démence. La guerre pour ces furieux « ne prendra fin que par l'extermi

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