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avec cette fermeté de résolution qui a été jusqu'ici l'honneur de sa résistance. La grande ville ne s'effraie pas pour si peu; elle ne puise dans cette vie de périls et d'excitations guerrières qu'une volonté plus énergique de faire face jusqu'au bout à un implacable ennemi, pendant que nos armées de province, fortifiées, grandissantes, commencent à serrer de toutes parts cette orgueilleuse invasion qui se croyait déjà maîtresse de la France. Et dire pourtant que ces civilisateurs par le fer et le feu, ces exterminateurs occupés à organiser nuitamment le meurtre contre toute une population, ont trouvé le moyen de faire appel à la langue philosophique pour caractériser l'heure où ils comptent pouvoir surprendre Paris; ils ont appelé cela « le moment psychologique! » Nous ne connaissons pas de plus cruel châtiment ou de plus humiliante déception pour tous ces penseurs qui ont illustré l'Allemagne d'autrefois, pour les Kant, les Lessing, les Schelling, les Hegel, que de voir un des mots de leur langue devenir le passe-port du bombardement et de la destruction

Qu'ils continuent leur œuvre à coups de canon, ces étranges héritiers de ceux qui ont fait l'Allemagne par la pensée, et qu'ils essaient de fonder sur la haine l'unité de leur patrie; qu'ils renouvellent à Paris ce qu'ils ont fait à Strasbourg, en couvrant de leurs boulets nos hôpitaux, nos ambulances, nos écoles, nos églises, et jusqu'à l'inoffensif Muséum, dont quelques collections sont déjà détruites; qu'ils bombardent enfin, ils ne sont pas au bout, et l'Allemagne elle-même le sent bien. Dans son impatience d'en finir, l'Allemagne, on le dirait, commence à comprendre qu'on l'a conduite à une périlleuse aventure, où elle risque de tout perdre pour avoir voulu abuser de la victoire. Depuis cinq mois que ses armées conquérantes sont entrées dans notre pays, elles se sont avancées, elles se sont étendues, elles ont investi nos murailles, elles ont tout foulé aux pieds, elles n'ont rien conquis, et elles en viennent aujourd'hui à s'apercevoir que ce n'est plus tout à fait comme aux beaux jours de Forbach et de Sedan, qu'un souffle nouveau s'est élevé en France. Les chefs prussiens ont beau combiner leurs opérations les plus savantes et multiplier les efforts pour paralyser l'élan national; ils sentent les tressaillemens de ce pays, qui leur échappe et qui se lève pour la résistance, qui va grossir nos armées. De l'Alsace même et de la Lorraine, les malheureuses populations, violentées et pressurées, s'évadent, malgré toute la vigilance prussienne, pour aller combattre sous ce drapeau français auquel elles gardent une touchante fidélité. Du nord au sud, de l'est à l'ouest, la lutte s'organise, se coordonne et s'enflamme chaque jour. Les chefs prussiens croyaient avoir bon marché de cette France momentanément engourdie et trompée par l'empire; ils la trouvent maintenant devant eux vivante, rapidement aguerrie, animée des résolutions extrêmes, et ils sont bien obligés de compter avec ces armées de Chanzy, de Bourbaki, de Faidherbe, de Bressolles, de Cremer,

même de Garibaldi, qui, en trois mois, e sont trouvées en état de combattre, de reprendre par instans une offensive heureuse. A Paris, on nous bombarde, et quel est le résultat de cette violence nouvelle ? Paris a ressenti tout simplement cette mâle émotion des crises suprêmes qui approchent, il n'a pas faibli un instant. Les Prussiens peuvent en prendre leur parti, Paris n'est pas près de mourir de faim ou de peur; il fera encore attendre tout le temps qu'il faudra ces civilisateurs qui ne savent marcher que la torche et le fer à la main, de sorte qu'après ces cinq mois de campagne les armées allemandes ne sont guère plus avancées qu'après Sedan puisqu'elles se trouvent retenues devant Paris, bien résolu à se défendre, et menacées par nos armées de province, qui tourbillonnent autour d'elles, prêtes à faire irruption sur leurs lignes. Elles sentent monter la marée de la résistance patriotique qu'elles ont suscitée.

M. de Bismarck, il est vrai, a plus d'une ressource dans son génie, et ce n'est certes ni la hardiesse qui lui manque, ni le scrupule qui l'arrête dès qu'il s'agit d'interpréter les événemens dans son intérêt, de répandre les fables les plus grossières pour essayer de faire illusion à l'Europe, surtout pour entretenir le feu sacré en Allemagne. Faute de pouvoir abattre la France aussi vite qu'il l'aurait voulu et qu'il l'espérait, il la diffame; il travestit ses efforts, sa défense, ses révoltes contre l'invasion, et il trouve, à ce qu'il paraît, des alliés dans ce camp d'émigration bonapartiste qui, au lieu de se faire prudemment oublier, s'est donné un journal à Londres. Ces bons apôtres, le ministre prussien et ces derniers sectaires de 'impérialisme étaient bien faits pour s'entendre; ils sont du moins merveilleusement d'accord pour noircir la France, pour la représenter comme un foyer d'anarchie. — A les entendre les uns et les autres, depuis que nous n'avons plus l'empire et depuis que nous avons refusé de livrer nos patriotiques provinces de l'est à la rapacité allemande, nous n'existons plus, nous roulons de jour en jour dans la confusion et le désordre. Le pays tout entier plie sous le terrorisme organisé par notre gouvernement. M. Gambetta a particulièrement le don d'agacer les Allemands, et c'est à coup sûr un titre pour le jeune ministre qui anime de son feu la défense nationale en province. Le Moniteur prussien nous l'assure, nos armées de la Loire et du nord sont formées par la violence tyrannique. A Paris même, ce n'est pas moins effroyable; ce sont les rouges qui règnent et dominent. Les rouges sont partout enfin; ce sont eux, à n'en pas douter, qui infligent au pays la guerre à outrance. Et puis où conduit-on la France avec cette guerre qu'il serait si facile de terminer en cédant tout ce qu'on nous demande? On ruine les finances, on épuise les réserves, bientôt il n'y aura plus d'argent, même pour acheter le blé qui nous manque, de sorte que, tout compte fait, nous nous trouvons placés par notre obstination à nous défendre entre la faim qui nous presse et les

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rouges qui nous tyrannisent. Voilà cependant de quelles histoires les journaux de M. de Bismarck nourrissent l'Allemagne. Ces histoires étaient bonnes au premier moment, tant qu'on pouvait espérer tromper l'Europe, tromper l'Allemagne, tromper Paris sur les provinces et les provinces sur Paris. Ces moyens sont usés, M. de Bismarck fera bien d'en chercher d'autres. Eh! sans doute, cette guerre que le gouvernement de la défense nationale a voulu humainement arrêter quand il en était temps encore, cette guerre est une épreuve cruelle, quoiqu'en défini ive elle ne soit pas plus dure pour nous qu'elle ne le sera peut-ê re pour l'Allemagne. La France, livrée à elle-même après des désastres inouis, a mis trois mois à se débrouiller, à se sentir revivre en quelque sorte, et dans cette terrible crise tout n'a pas dû se passer le mieux du monde. Il a pu y avoir en province, dans certaines villes, de coupables violences. A Paris même, il y a par instans des menaces, des tentatives; on ne nous apprendien en nous rappelant nos aventures révolutionnaires; mais ce que l'Europe ne peut ignorer, ce que l'histoire dira, c'est que jamais peut-être Paris n'a été plus calme que pendant ces trois mois, c'est que tous les efforts violens et tyranniques se sont brisés contre le patriotisme d'une population tout entière, c'est que dans cette guerre que nos ennemis nous imposent, dans ce siége incomparable que nous soutenons, il a fallu la puissance du sentiment national vibrant à la fois dans toutes les âines pour supporter des difficultés en apparence invincibles, et ces difficultés, ces incohérences, toutes ces choses étranges qu'il est si facile de remarquer, elles tiennent en définitive à la situation même qui nous a été faite à l'improviste.

La vérité est que ce siége de Paris restera un des événemens les plus extraordinaires non-seulement par lui-même, par sa durée, par le réveil de tous les sentimens virils dont il a été le signal, mais encore par les conditions dans lesquelles il s'accomplit. Qu'on imagine en effet ce spectacle étrange et curieux de l'opération la plus vaste, la plus compliquée, la plus délicate, se déroulant au sein de la liberté intérieure la plus illimitée, en face d'un ennemi habile à tirer parti de tout, et à saisir toutes les occasions. Cette défense qui ne ressemble à rien de ce qu'on a vu jusqu'ici dans l'histoire de la guerre, elle s'est constituée, elle se dévelope depuis quatre mois, elle agit pour ainsi dire au grand jour sans pouvoir rien cacher, même ce qu'elle aurait le plus souvent le plus d'intérêt à dissimu.er. Elle ne peut remuer un canon, faire un mouvement sans que tout le monde aussitôt en soit instruit, et c'est assurément pour la première fois qu'on voit un gouvernement défendre une ville investie de toutes parts, soutenir la lutte la plus terrible au milieu de toutes les contestations, de toutes les récriminations, de toutes les dissidences qui peuvent librement se produire, avec des cubs où re

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tentissem toutes les déclamations, avec des journaux qui ne laissent rien

TOME XCI.

1871.

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ignorer à l'ennemi, et, pour tout dire enfin, avec les portes ouvertes. Sans doute cette liberté complète était une conséquence de la révolution du 4 septembre, et, à y regarder de près, cette liberté inévitable, en associant publiquement toutes les volontés dans une même œuvre, en entretenant dans les âmes le sentiment du péril, a été en définitive une force bien plus qu'une faiblesse. Seulement, il ne faut pas se le dissimuler, c'est une immense difficulté pour la défense proprement dite, qui a ses nécessités et ses conditions. Il en résulte ces vagues agitations, ces incertitudes, ces indéfinissables anxiétés qu'une crise comme celle que nous traversons produit toujours trop aisément, que la presse redouble et aggrave quelquefois, que les passions de sédition cherchent à leur tour à exploiter. Chacun a son plan de campagne, son idée sur la marche de la guerre, son invention nouvelle, son engin de destruction qui doit infailliblement, et d'un seul coup, nous délivrer des Prussiens, et ce tumulte assourdissant aboutit invariablement à une critique universelle de tout ce qui se fait ou de tout ce qui ne se fait pas. Qu'une opération militaire soit interrompue, que la marche des choses oblige à évacuer une position stratégique, qu'on ne réussisse pas toujours comme on le voudrait, tout devient aussitôt prétexte à récriminations nouvelles.

Rien n'est certes plus facile que de critiquer des opérations de guerre ou les actes d'un gouvernement obligé de faire face à la terrible épreuve que nous avons à surmonter, et nous ne voulons même pas dire que les critiques et les impatiences qui se produisent soient toujours dénuées de raison. Il faut bien se dire cependant que ces chefs militaires qu'on accuse sont les premiers à exposer leur vie, qu'ils risquent, avec le sort de leur pays mis entre leurs mains, leur propre honneur, leur réputation, et qu'ils sont au moins aussi intéressés que nous à réussir. Lorsqu'ils sont forcés de suspendre une action, se demande-t-on toujours pourquoi ils s'arrêtent, à quelle nécessité ils obéissent? Peuvent-ils euxmêmes nous dire toujours la cause secrète de leur résolution? Non, ils ne le peuvent pas; ils savent quelquefois ce que nous ne savons pas, ils se décident d'après des données qu'ils ne pourraient révéler. Leurs combinaisons devant Paris se lient avec d'autres combinaisons plus étendues. Après tout, il ne faut pas s'y tromper, c'est une affaire de confiance, et la vraie question est de savoir si les chefs de la défense ont cessé de mériter cette confiance qui a été jusqu'ici leur honneur et leur force. Ici, ces quatre mois que nous venons de passer sont assurément la plus éloquente réponse. Dans ces quatre mois, un travail immense a été accompli, et n'est-ce donc pas encore de l'action que d'avoir mis Paris dans cet état où, après cent vingt jours, il fait encore vaillamment face à l'ennemi en bravant les fureurs d'un bombardement barbare? Rien ne peut donc altérer la confiance qui a confondu dans une même pensée de défense inébranlable Paris tout entier, sa population et

ses chefs; mais il ne faut pas laisser se dissiner cette confiance, il faut savoir s'en servir.

Il y a aujourd'hui une double nécessité pour le gouvernement, une nécessité militaire et une nécessité politique. La nécessité militaire, c'est de proportionner les efforts d'une défense de plus en plus active à une situation d'une gravité trop manifestement croissante. Comment doivent se combiner ces efforts, quelle en doit être la direction? C'est à nos chefs militaires de le savoir et d'agir. Le général Trochu a mérité jusqu'ici mieux qu'une popularité bruyante, il a inspiré une sé rieuse et confiante estime. C'est par lui surtout que la défense a pris ce caractère devant lequel s'incline le Times lui-même, celui de tous les journaux anglais qui a été certainement le moins sympathique, le moins indulgent pour nous. Cette autorité que le général Trochu s'est faite, qu'il ne craigne pas de l'employer aujourd'hui. C'est le moment, ou jamais. L'essentiel est qu'on ne croie pas l'action militaire livrée à de perpétuelles oscillations.

La nécessité politique pour le gouvernement, c'est de se tenir en garde contre toute faiblesse et de ne pas avoir l'air quelquefois de transiger avec ceux qui ne demanderaient pas mieux que de le renverser et de le remplacer, au risque d'entraîner tout dans l'abîme avec eux. Les séditions, il les réprimerait sans doute; mais il n'est peut-être pas toujours également en défense contre ce qui pourrait conduire aux séditions, et n'avons-nous pas eu tout récemment une sorte de tentative subreptice de résurrection de la commune du 31 octobre sous la forme d'une manifestation de quelques maires et de quelques adjoints de Paris? C'était, à ce qu'il paraît, une façon de petite convention ou de comité de salut public qui encore une fois essayait de se glisser au pouvoir à la faveur de réunions périodiques où quelques-uns des chefs de nos municipalités tenaient absolument à partager la direction politique avec le gouvernement. Le maire du 19e arrondissement, M. Delescluze, s'était fait le patron naturel de cette manifestation; quant au programme, il était certes on ne peut plus complet, tout s'y trouvait ou peu s'en faut démission des généraux Trochu, Clément Thomas et Le Flô, renouvellement des états-majors, renvoi au conseil de guerre des généraux et officiers qui prêchent le découragement dans l'armée, adoption de mesures de salut public pour l'alimentation de Paris et pour l'adoucissement des souffrances de la population, en d'autres termes réquisitionnement général, rationnement gratuit, etc. Moyennant tout cela et une petite commune par-dessus le marché, tout devait nécessairement aller pour le mieux. Cette tentative d'une minorité de nos municipaux a échoué non-seulement devant la résistance un peu tardive du gouvernement, mais surtout devant l'attitude des maires les plus éclairés, tels que M. Vacherot, M. Henri Martin, qui ont fermement résisté à ces velléités d'usurpation. La commune a perdu encore une fois

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