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corder à la province de larges foyers de vie intellectuelle, d'activité politique et d'indépendance locale; la décentralisation sera l'instrument de la régénération, et les hommes ne manqueront pas. Privés peut-être pour longtemps des moyens d'exercer l'influence qui appartenait à la France sur les intérêts généraux de l'Europe et du monde, nous devrons nous replier sur nos devoirs immédiats; le bien local, la guérison des maux de notre province, de notre ville, de notre village, seront notre occupation forcée et le meilleur objet proposé à nos efforts.

En travaillant activement à cette grande réforme de nos institutions, si justement demandée par la province, ce serait une illusion de croire que la décentralisation administrative écartera du pouvoir central politique, destiné à siéger toujours dans une capitale unique, tous les périls. Elle ne corrige que l'un des deux inconvéniens signalés. La province sera placée par la décentralisation à l'abri de la tyrannie de tous les jours; le pouvoir ne sera pas mis à l'abri d'un coup de main, car ce coup de main se ferait à Tours avec quinze cents émeutiers comme il se ferait à Paris avec quinze mille. La grandeur de la ville importe peu; la tempête éclatera aussi bien dans un verre d'eau que dans l'océan, si le vent d'orage se déchaîne. D'où vient ce vent? pourquoi souffle-t-il avec tant de fureur sur la France? La réponse serait une analyse de tous les maux dont souffre la société française, à commencer par l'affaiblissement de la morale et le mauvais régime du travail. Nous voilà bien loin de Paris, et en effet il est impossible d'approfondir la question qui nous occupe sans arriver à cette conclusion que Paris, tant attaqué, tant redouté, n'est que le centre de nos maux; il n'en est pas la source. Ce n'est donc point Paris qu'il faut punir, c'est la France qu'il faut réformer. Tant que nous n'aurons pas diminué la centralisation, relevé la morale et rendu les ouvriers plus éclairés, nous n'aurons rien fait en changeant de place les pouvoirs publics.

Les regards se portent souvent sur les États-Unis, et on voudrait les imiter sans même les connaître. Une ville neutre, petite, austère, portant le beau nom de Washington, semble le type d'une capitale républicaine, et on voudrait le réaliser en France. C'est faire de l'histoire et de la politique de fantaisie. Quand Washington a été choisie pour capitale, New-York existait à peine. Autre chose est la capitale d'une fédération, autre chose la capitale d'un territoire soumis à une seule et même législation, aux mêmes impôts. Presque tous les états de l'Union américaine ont ou prennent forcément peu à peu pour capitale la plus grande ville de l'état. Est-ce qu'il est question de fédéraliser la France? est-ce que nous n'avons pas plus que jamais à nous dévouer à l'idée dominante de l'unité et de l'intégrité du territoire? Washington n'est pas une capitale, c'est un

lieu de rendez-vous entre des états souverains qui ont chacun leur capitale; c'est le lieu d'un congrès, d'une conférence régulière sur les intérêts communs, ce n'est pas le centre d'une administration unique. Les hommes peuvent choisir un lieu de rassemblement régulier, les siècles seuls font une capitale. Paris est l'œuvre de la: nature et du temps. Sur un emplacement bien disposé pour nourrir, loger, défendre et retenir dans des conditions favorables un grand nombre d'hommes, la suite de nos ancêtres est venue jouer ce drame aux scènes pathétiques qui s'appelle l'histoire de Paris. L'unité territoriale de la nation a fait l'importance de la capitale; l'unité politique a fait son rôle dans le pays; l'unité de la langue, du goût, de l'esprit français, a fait son influence dans le monde. Il n'y a qu'un Paris, dit le proverbe populaire. Nous n'avons assurément pas atténué ses torts, comment oublier ses services? Paris a servi la civilisation, il a servi la liberté, il sert en ce moment la patrie envahie. L'heure en vérité est mal choisie pour songer à le relever de son poste, à lui enlever le titre de quartier-général de l'esprit français et de l'honneur français.

Sachons vivre à notre mode, quels qu'en soient les inconvéniens, sans vouloir nous habiller à l'anglaise ou à l'américaine. L'unité est dans le génie de la France; Paris est le symbole vivant, le centre lumineux, l'agent intelligent, le soldat courageux de cette unité. Il faut se répéter sans cesse que les maux dont Paris est le siége, non le principe, sont les maux communs à toute la nation. L'esprit révolutionnaire souffle partout, l'excès de la centralisation pèse partout, l'accumulation des habitans dans les villes se produit partout. La France ne doit plus désormais considérer Paris comme son ennemi, mais comme son image, comme le miroir et l'abrégé d'ellemême, comme le point culminant où tout ce qu'elle a de meilleur s'élève au plus haut degré d'excellence, et où tout ce qu'elle a de pire descend au plus infime niveau de corruption. Déplacer la capitale, ce serait créer de nouveaux embarras; quelle ville choisir? comment réprimer les désordres de Paris, laissé à lui-même? comment relier à la ville nouvelle tous les moyens de communication? Un tel déménagement n'est pas possible, et n'aboutirait à aucun résultat politique sérieux, nous en avons eu la preuve surabondante. La capitale était à Tours; on nommait à Tours les préfets, les généraux; on contractait à Tours les emprunts; on va continuer à Bordeaux. Le centre est déplacé, la centralisation demeure, il n'y a rien de changé. Ce n'est donc pas le moteur, c'est le mécanisme tout entier qui doit être transformé. La réforme de Paris n'est qu'un incident de la réforme de la nation, comme la défense de Paris ne doit être qu'un incident de la défense de la nation. Voilà la vérité.

II.

L'intérêt de Paris lui-même, le dommage que le déplacement du gouvernement causerait à ses habitans, ne m'ont pas servi d'argument dans la discussion qui précède. Il serait en effet trop facile d'établir que la présence du gouvernement n'est pas pour une cité un avantage sans compensation onéreuse. Paris est aussi une province, il est de toutes les provinces celle qui souffre la première des malheurs dont souffre la patrie. A chaque révolution, Paris est ruiné; à chaque réaction, il est bridé; à chaque transformation, il est taxé et surtaxé. Cette grande ville subit pour la plus large part les maux qu'on l'accuse d'engendrer. En outre voici vingt-deux ans que les Parisiens ont été privés par un décret de la république, puis par des lois successives de l'empire, du droit élémentaire, accordé à tous les Français, de nommer les contrôleurs des impôts qu'ils acquittent. On a cru ainsi désarmer Paris et le contenir. Au bout de vingt-deux ans, les provinces, qui avaient tant applaudi à ce châtiment, se sont aperçues que cette loi d'exception avait irrité les esprits, lâché la bride aux dépenses, soumis deux millions de Français et un budget de deux cents millions à une véritable dictature, en sorte que la peur du mal avait, comme toujours, poussé le mal à l'excès. La ville de Washington n'a pas de députés, mais elle a des conseillers municipaux; elle est privée de vie politique, mais elle conserve une vie municipale. A Paris, la loi a défendu d'élire des conseillers municipaux, mais elle a permis d'élire des députés, et le mécontentement causé par la privation des droits municipaux a servi puissamment à jeter dans une ardente opposition les électeurs politiques, dont les représentans sont venus, au premier mouvement populaire, prendre la place de l'auteur des prodigalités et des servitudes de la municipalité parisienne.

Pourquoi donc tant redouter cette municipalité? L'erreur qui attribue à Paris tous les maux de la France rend aussi faussement l'Hôtel de Ville responsable de tous les désordres de Paris. Dans des jours néfastes, il y a eu à l'Hôtel de Ville un pouvoir qui se disait municipal, mais qui était politique, et dont la politique consistait à guillotiner. La commune révolutionnaire a déshonoré pour longtemps le pouvoir communal, et jeté dans les esprits une coufusion de mots que tous les efforts ne parviennent pas à détruire, parce que la peur et l'horreur ne veulent rien entendre. La commune de Paris en 1793 était un comité insurrectionnel, et n'était même pas du tout une commune. Elle avait usurpé ce nom comme le reste (1). Après avoir renversé la municipalité régulière, sous le nom

(1) Ce point a été parfaitement établi par M. Le Berquier dans son livre sur l'administration de Paris.

de commune, quelques misérables exerçaient une dictature politique. Les dignes héritiers de ces dictateurs ont essayé de se glisser au pouvoir à la faveur du même mot équivoque le 31 octobre 1870. Comment les a-t-on rejetés dans l'ombre? En instituant le lendemain par l'élection des maires un vrai pouvoir municipal. La commune régulière, renfermée dans les attributions municipales, est donc précisément le contraire, le contre-poison de la commune révolutionnaire; mais depuis quatre-vingts ans le nom a tué le droit, commune est synonyme de violence, Hôtel de Ville signifie révolution.

Avez-vous vu faire une révolution? C'est un drame en cinq ou six tableaux; les rôles sont connus; chaque scène se passe dans un lieu marqué d'avance. On médite la révolution aux Tuileries, on la prépare au Palais parmi les avocats, on la propage par les journaux, les clubs et les ateliers, on l'exécute au corps législatif, et on l'installe à l'Hôtel de Ville. Dans les pays de droit divin, les usurpateurs se rendent à la basilique, où le pontife consacre leurs triomphes; ils vont à l'Hôtel de Ville dans les pays de droit populaire. Ce que l'on peut appeler les fonts de baptême des pouvoirs nouveaux change de place; mais il est bien injuste d'accuser l'Hôtel de Ville de faire les révolutions; il les reçoit quand elles sont toutes faites. Pas plus en 1870 qu'en 1848, ce n'est de la municipalité de la veille qu'elles sont sorties; leur premier acte est de la remplacer.

Il sera indispensable après la guerre d'en finir avec cette confusion de mots, et de distinguer nettement par de bonnes lois, tant à Paris que dans le reste de la France, le régime politique et le régime municipal. La révolution du 4 septembre a d'ailleurs saisi Paris en pleine crise de réorganisation intérieure et de liquidation financière. Le siége de Paris, l'administration sans règle et sans contrôle de la mairie provisoire, l'élection et l'indemnité des maires d'arrondissement, l'interruption de l'octroi, la transformation de l'assistance publique, les dépenses imposées par l'armement et l'alimentation, auront ajouté aux anciennes difficultés des complications énormes. A quel système devra-t-on recourir pour porter l'ordre dans ce chaos?

La solution dépend du point de vue auquel on se place, et les faits du siége de Paris sont, je crois, de nature à diriger le choix sur l'un des trois systèmes entre lesquels on peut hésiter.

Il y a deux modes extrêmes. L'un est celui de M. Haussmann, qui avait fini par porter dans ses maximes la hardiesse et l'habileté impossibles à contester dans ses actes. A ses yeux, il n'y avait pas de Parisiens; la ville était une auberge de riches et d'ouvriers, une sorte de gare centrale de l'Europe, en même temps que le siége du gouvernement. C'était au gouvernement, selon lui, à faire les hon

neurs de Paris aux étrangers; l'empereur régalait, Paris payait. Toutes les questions municipales lui paraissaient, à cause de l'immensité des intérêts engagés, des questions politiques. Conséquent dans ses idées, il voulait qu'on remît au gouvernement seul la nomination du conseil municipal de Paris, puis il avait toujours demandé et il avait fini par obtenir en 1869 que le budget de Paris fût voté par le corps législatif; si on l'eût écouté, le préfet de la Seine fût devenu ministre, ayant pour conseillers municipaux les députés élus par toute la France, hormis Paris, cette grande ville perdant tous les droits d'une commune pour n'être plus que capitale.

Le siége de Paris a répondu à M. Haussmann. Ils sont partis, les étrangers, les dignitaires, les fonctionnaires, les gens de plaisir, les nomades. Les vrais habitans de Paris sont restés seuls. Ils avaient été isolés, séparés, chassés de quartier en quartier, privés de tout droit, de tout concert depuis vingt ans. La vie municipale n'était cependant pas tarie; elle est sortie de nos épreuves comme le vin du pressoir. Deux ou trois armées se sont levées dans chacun des arrondissemens de la ville, armée des gardes nationaux contre l'ennemi, armée des bons cœurs contre la misère, armée des honnêtes gens contre les bohémiens et les perturbateurs politiques. A peu près sans gouvernement, sans préfet, sans police, sans prison, la population de Paris, pendant trois mois, aura fait la guerre, conservé la paix, donné des preuves admirables de courage, de bon sens, de patience et d'union. On ne pourra plus refuser des droits à des gens qui auront ainsi compris le devoir.

Peu de jours avant la guerre, le corps législatif discutait le budget de Paris aux termes de la loi du 18 avril 1869, qui avait chargé la province d'administrer la capitale. Le second rapport de M. Lepelletier d'Aulnay sur le budget de 1870 porte la date du 11 juillet; on n'avait pas voté sur ses conclusions après le sixième mois de l'exercice. Le système conseillé par M. Haussmann sort condamné de cette épreuve, comme sa théorie sur les gens de Paris ne se relèvera pas de la glorieuse et triste expérience du siége. La loi de 1869, qui consacrait une exception énorme aux règles générales du droit français en matière d'administration communale, a conduit en même temps à des difficultés pratiques à peu près insurmontables. Retard si considérable à cause des autres travaux du corps législatif qu'il a fallu voter des douzièmes provisoires sans discussion pour les sept premiers mois de l'exercice; division arbitraire entre les dépenses ordinaires et les dépenses extraordinaires; incompétence des députés des départemens, ne sachant comment choisir entre les rues, les boulevards et les édifices d'une ville qu'ils n'habitent pas; irritation des Parisiens, obligés d'aller défendre leurs intérêts à la hâte devant des députés de Troyes ou de

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