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pour remonter ensuite vers le nord, et cette fois on eut l'occasion de draguer jusqu'à la profondeur de 1,476 brasses ou 2,700 mètres. Dans la seconde expédition, entreprise par M. Wyville Thomson, la drague fut descendue avec succès à 2,345 brasses ou 4,288 mètres, une profondeur presque égale à la hauteur du Mont-Blanc. Un fait capital pour l'histoire physique du monde, déjà presque certain, se trouvait absolument démontré; la science permettait de dire la vie est répandue à profusion dans les plus grands abîmes de l'OcéanAtlantique, au milieu de la vase remplie de globigérines fourmillent les êtres les plus variés. Les naturalistes firent une moisson du plus haut intérêt: mollusques, annélides ou vers marins, crustacés, zoophytes de la classe des échinodermes, rhizopodes, éponges, recueillis en ces lieux, amènent la lumière sur une infinité de sujets. Parmi les mollusques, M. Jeffryes a compté cinquante-six espèces qui n'avaient jamais été observées; il en a reconnu sept qu'on croyait éteintes pendant la période tertiaire. Les oursins et les étoiles de mer ont formé un ensemble des plus remarquables. Plusieurs d'entre eux qui habitent les régions arctiques se trouvaient en abondance; une grande et magnifique étoile de mer du genre des comatules (Antedon Eschrichtii), découverte il y a peu d'années près des rivages de l'Islande et du Groënland, attirait l'attention des investigateurs. Les échinodermes des régions méridionales étaient rares, et se faisaient remarquer par un amoindrissement de taille vraiment extraordinaire. Tout dénote ainsi l'influence de la basse température qui règne dans les profondeurs où ces animaux avaient été pêchés. Il y avait encore les espèces qu'on voyait pour la première fois, et dans le nombre une encrine appartenant au même groupe que le rhizocrine de Lofoten, un singulier oursin, offrant une extrême ressemblance avec un type fossile de la craie. Quant aux foraminifères ou rhizopodes, c'étaient des légions où l'on distinguait des formes inconnues et des formes jusqu'ici regardées comme caractéristiques des terrains crétacés.

La troisième excursion du navire le Porc-Epic eut lieu aux endroits visités l'année précédente entre l'Écosse et les îles Féroe. M. Carpenter voulait compléter les études sur la température des différentes zones. Multipliant les observations, il est arrivé à reconnaître l'étendue de la zone froide, la marche de la décroissance de la température, depuis la surface jusqu'au fond, dans la région chaude et dans le courant polaire, à préciser enfin les conditions de la mer qui exercent la plus grande influence sur la distribution de la vie animale. La saison avait été bien employée.

De l'autre côté de l'Atlantique, on se livrait avec une égale fortune à l'exploration de la mer. Pendant les années 1867 et 1868, des ingénieurs hydrographes de la marine des États-Unis exécutant

des travaux pour déterminer la profondeur du gulf-stream, la direction du courant, la température des eaux, M. F. de Pourtalès prit part aux expéditions dans le dessein de faire une étude de la faune sur les fonds compris entre la Floride et la Havane. Les premières opérations eurent lieu sur le bord du gulf-stream du côté de la Floride à des profondeurs qui n'excédaient pas 90 à 100 brasses. On récolta une foule d'animaux d'espèces inconnues. Les recherches furent dirigées ensuite sur des points plus rapprochés de la Havane, où le fond se trouvait à des distances de 250 à 500 brasses (environ 450 à 900 mètres). Dans les plus grandes profondeurs qui aient été atteintes par la drague, on trouva la vase remplie de foraminifères et surtout de globigérines, qui paraît couvrir une très grande étendue du lit de l'Océan, et avec cette vase l'abondance de la vie animale déjà constatée dans les mers d'Europe, mais représentée en général par des formes particulières.

Si plusieurs de ces espèces étaient déjà inscrites dans les inventaires de la nature, c'est que parfois des individus isolés, jetés près des rivages au moment de la tempête, avaient été recueillis. Comme exemple curieux, une magnifique coquille du genre des volutes peut être citée. La volute queue de paon (Voluta junonia), signalée pour la première fois en 1780, est demeurée si rare depuis cette époque, que récemment encore un beau spécimen n'aurait sans doute pu être acquis à moins de 1,000 ou 1,500 francs. La fameuse volute si estimée des amateurs a été prise en abondance sur la station qu'elle habite le lit du gulf-stream. Les précieuses collections formées par M. de Pourtalès pendant les campagnes scientifiques de 1867 et de 1868 ayant été portées au musée de Cambridge, M. Agassiz, fort émerveillé en voyant un pareil ensemble de productions naturelles, resta surtout frappé du caractère d'une foule d'animaux qui ont une ressemblance plus grande avec les types de la période crétacée tertiaire qu'avec les espèces actuellement vivantes sur le littoral. L'éminent naturaliste reconnaissait une vérité déjà mise en lumière à son insu par les observations faites en Europe, et il se persuadait justement que le gulf-stream possède une faune bien distincte de celle des autres parties de l'Océan. Ici, comme dans le canal des îles Féroe, l'influence de la température sur la distribution de la vie animale est manifeste

En 1869, les études des hydrographes américains devaient porter sur un point du grand courant atlantique, situé un peu à l'est, entre la Havane et la Floride; M. de Pourtalès continua les explorations à la drague avec le même succès que les années précédentes, et M. Agassiz, qui s'était joint à l'expédition, a tracé le tableau de la scène. « La profusion et la variété de la vie animale en cet

endroit m'a étonné, dit-il, non-seulement par la singularité des types, mais encore par le nombre prodigieux des individus de chaque espèce; la drague remontait des grandes profondeurs, chargée et encombrée de créatures vivantes, c'était un spectacle rare et émouvant pour un naturaliste. » Près du plateau semé de madrépores et de coraux, et si peuplé d'animaux de tout genre, le fond de la mer s'abaisse très sensiblement, et alors la drague ramasse, à la profondeur de 500 à 800 brasses (900 à 1,460 mètres), cette vase chargée d'innombrables foraminifères qui rappellent tous les caractères de la craie. Sur ce terrain, la faune s'est montrée plus pauvre qu'on pourrait le supposer après les observations faites aux alentours des îles britanniques. Les recherches effectuées dans le lit du gulf-stream devaient aussi jeter quelque jour sur les anciens phénomènes géologiques. Avec la pénétration dont il a si souvent. donné la preuve, M. Agassiz a tout de suite indiqué ce qu'il est permis d'attendre de l'étude des fonds de la mer pour la conna'ssance de l'écorce terrestre. Les caractères des matériaux accumulés dans les profondeurs de l'Océan étant reconnus avec exactitude, n'aura-t-on pas en effet un guide incomparable pour déterminer les conditions dans lesquelles ont été formés autrefo's les dépôts sédimentaires? Sans perdre un instant, le célèbre professeur de Cam bridge a puisé dans les observations sur le lit du gulf-stream et dans les récentes découvertes des comparaisons pour mettre en relief ou les incertitudes ou les erreurs au sujet du mode de constitution de certaines couches géologiques, et pour réunir des preuves de l'existence d'un canal entre l'Océan-Pacifique et l'Atlantique pendant la période crétacée.

Ainsi seulement après quelques années d'études dans une voie jusqu'alors inexplorée, les connaissances sur le monde de la mer s'étaient augmentées dans des proportions inouies. Qu'elle semble donc loin maintenant cette croyance, hier encore acceptée, d'un océan où le désert commence à peu de distance des rivages! En réalité, la vie est répandue presque partout dans les mers, ici à profusion, là en moins grande abondance ou même en quantité très réduite. Les plus grands abîmes sont aussi peuplés que les eaux assez basses. Les types les plus parfaits ne sont pas moins représentés à toutes les profondeurs que les types de l'organisation la plus simple. En tous lieux, les habitans de la mer offrent une égale diversité de coloration, et si loin que la drague a été descendue, elle a rapporté des animaux parés des plus fraîches nuances, où dominent peutêtre le rouge violet, la teinte orange, le vert pâle, et des espèces pourvues d'organes de vision parfaitement conformés. Cependant les animaux qui vivent dans l'obscurité ont invariablement des cou

leurs sombres, des yeux atrophiés; la lumière éclaire donc le lit de l'Océan. Les calculs relatifs aux énormes pressions de la masse des eaux regardées comme inconciliables avec l'existence d'êtres organisés n'ont plus aucune valeur: sur des corps renfermant des liquides et non de l'air, nulle pression de l'eau n'est à redouter. Aujourd'hui ces faits sont entrés dans le domaine de la science.

Sous une infinité de rapports, les résultats acquis par les explorations du lit de l'Océan sont immenses, et ils paraîtront plus considérables encore lorsque tous les matériaux recueillis auront été parfaitement étudiés. Les connaissances sur différens groupes zoologiques se trouvent fort étendues par la découverte d'un grand nombre d'espèces remarquables. Une révélation semble avoir été faite quand on a démontré l'existence des mêmes animaux dans les profondeurs de la Méditerranée et du nord de l'Atlantique. Chaque région ayant sur le littoral une faune particulière, on ne prévoyait pas d'exception. Il est donc très intéressant d'avoir constaté l'action des courans et l'influence de la température sur la dissémination des êtres. On réclame à présent la comparaison rigoureuse des espèces recueillies près des côtes d'Amérique avec celles qui ont été observées dans l'Europe boréale, car certains indices donnent à croire que sur le parcours du gulf-stream la faune change peu. Un fait à nos yeux bien étrange constaté par tous les explorateurs, c'est l'absence des végétaux et l'abondance des animaux dans les grandes profondeurs de la mer. Sans doute des organismes fort simples appartenant au règne animal ont la faculté de vivre à la manière des plantes en absorbant par les tissus des matières salines; mais le sujet appelle l'observation et l'expérience, et l'on n'a encore que la probabilité. La découverte d'espèces qu'on croyait éteintes et la reconnaissance de la formation de la craie sur de vastes étendues du lit de l'Océan sont particulièrement précieuses, car elles procurent des moyens nouveaux pour recomposer l'histoire de notre planète. En présence de tels résultats obtenus par des recherches exécutées dans un court espace de temps et seulement sur quelques points du globe, il est impossible de prévoir à quel degré parviendra la science quand on aura poussé les investigations dans les différentes parties du monde mais on est bien assuré que le travail sera productif, et rien ne semble plus désirable qu'une grande entreprise.

EMILE BLANCHARD.

CHRONIQUE DE LA QUINZAINE

14 janvier 1871.

Laissez passer la civilisation prussienne! elle achève de se déployer dans sa splendeur; elle a des obus pour messagers, l'incendie, le pillage et le bombardement pour auxiliaires. Elle avait certes dignement inauguré son œuvre à Strasbourg, à Châteaudun et dans tant d'autres cités aujourd'hui en ruine, elle couronne ses exploits devant Paris. Décidément M. de Bismarck nous fait cette condition d'une grande ville bombardée. Le roi Guillaume, que disons-nous? l'empereur Guillaume, le chef du nouveau saint empire et son tout-puissant ministre tiennent à laisser des marques de leur passage sur cette terre de France, où ils recevaient, il y a trois ans à peine, une prodigue et imprévoyante hospitalité; ils peuvent être tranquilles, on ne les oubliera pas, ils ont désormais une place dans nos souvenirs; ils ont leur gloire inscrite sur nos maisons mutilées, dans le sang des malheureux inoffensifs atteints déjà de leurs obus. Le roi Guillaume et M. de Bismarck se sont dit sans doute que Paris y mettait de la mauvaise volonté, qu'il tardait bien à mourir de faim ou à tomber en révolution; puis l'Allemagne se fatigue, elle s'inquiète de cette immobilité de ses armées devant une ville qu'on lui avait promis de prendre au pas de course. Il lui faut un bombardement, et on a bombardé.

Paris est devenu ainsi à l'improviste un vrai champ de bataille où nos ennemis n'abattent pas sans doute autant de victimes qu'ils le voudraient; mais enfin on fait ce qu'on peut. On a beau être la civilisation prussienne, on ne peut pas tout détruire d'un coup. Malheureusement il y a toujours assez de victimes; il y a déjà des femmes et des enfans tombés sous le plomb prussien, et le roi Guillaume, dans son prochain bulletin, pourra, si cela lui convient, faire hommage de ces nouveaux exploits à la reine Augusta. Il y a là de quoi faire illuminer à Berlin! Si l'on a cru d'ailleurs par de tels procédés troubler ou intimider Paris, on s'est étrangement trompé. Paris a supporté et supportera cette épreuve avec cette sérénité virile qui est une partie de son héroïsme,

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