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comprendre pour ceux qui ont seulement entrevu les formes admirables sous lesquelles la vie se manifeste près des rivages ou à la surface de l'eau. Un homme entièrement voué à l'étude du monde de la mer, un professeur d'Édimbourg, Edwards Forbes, mort trop tôt pour avoir pu prendre part aux investigations qui ont procuré des notions toutes nouvelles sur les êtres répandus dans le lit de l'Océan, a justement exprimé les sensations du penseur en contemplation sur la grève que le flux abandonne par degrés. « Quelle page d'hieroglyphes se déroule! dit Edwards Forbes. Chaque ligne du sol ou du rocher a pour caractères particuliers des figures vivantes, et chaque figure est un mystère; les apparences peuvent être décrites en termes précis, le sens intime échappe à la pénétration de l'esprit humain. » Le philosophe songe aux nombreux problèmes que soulève la présence du misérable escargot rampant sur l'algue mouillée. La naissance, les métamorphoses, la croissance, la reproduction de l'individu isolé, fournissent matière à des recherches infinies et à de longues méditations; mais l'histoire de l'espèce, absolument voilée à l'origine, paraît presque sans limites. Examiner les signes distinctifs, les traits d'organisation qui éloignent ou rapprochent cette espèce d'autres créatures plus imparfaites ou micux conformées, s'efforcer de comprendre la raison de l'existence de l'animal dans une région plus ou moins circonscrite, suivre cet animal dans son extension géographique, dans ses migrations, dans ses rapports de voisinage avec tous les êtres qui vivent aux mêmes lieux, retrouver ses traces dans les âges antérieurs, telles doivent être les préoccupations de l'observateur. Une chétive espèce dira. les changemens survenus dans la configuration des terres et des mers. Le mollusque ou le zoophyte, qui ne s'écarte jamais du rivage, rencontré sur les côtes d'une île lointaine, apprendra que cette île a été séparée du continent vers une époque médiocrement reculée; le crabe ou l'annélide, qui habite des localités distinctes, apportera la preuve d'une ancienne communication entre deux mers. Lorsqu'une seule créature peut devenir ainsi la source d'enseignemens de la plus haute portée, le désir ardent de connaître dans l'ensemble les prodigieuses populations de la mer est bien expliqué. Au milieu d'un pareil monde, l'emploi d'un savoir spécial ou d'une vue particulière rend féconde toute étude sérieuse. Les animaux invertébrés de la mer appartenant à chaque groupe naturel offrent dans les détails de l'organisation et dans les phases du développement une diversité qui n'existe pas au même degré chez les animaux terrestres. Depuis un demi-siècle, la science s'est enrichie d'une suite de travaux importans sur les particularités de conformation et sur les métamorphoses des êtres marins, et néanmoins le

type un peu délaissé qui tombe aux mains d'un investigateur habile est presque toujours le sujet de quelque révélation d'un intérêt considérable.

sens,

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Au temps des grandes marées, à l'heure où l'Océan recule de façon à découvrir un espace immense, se montre tout entier ce tableau sublime qui inspirait Edwards Forbes. Au bord, sur les roches que l'eau atteint à peine durant une partie du jour et de la nuit, vivent les espèces indifférentes à l'action de l'air et de la pluie : les balanes, complétement fixées sur la pierre, les patelles, dont la coquille affecte la forme d'un cône évasé,-les buccins ondés et les littorines, ressource alimentaire presque inépuisable des habitans pauvres de la Normandie et de la Bretagne, les actinies rouges ou les anémones de mer. Un peu plus loin, sur les parties sablonneuses, sautillent des crustacés du groupe des crevettes; des trous indiquent le séjour de certains mollusques à coquille bivalve, des monticules trahissent la présence de plusieurs sortes d'annélides : les arénicoles, gros vers marins de couleur olivâtre portant de délicates branchies, - les cirratules, dont la tête est pourvue d'une multitude de filamens qui se pelotonnent, se contournent ou rampent dans tous les les sabelles, emprisonnées dans des tubes. Au-delà, se montre souvent une végétation serrée; c'est la zone des plantes marines que l'on désigne sous le nom de laminaires. Ici le champ d'exploration est merveilleux, la vie est partout les mollusques abondent, les zoophytes, les vers de tous les genres fourmillent; sur les algues se traînent lentement des mollusques sans coquille qui peuvent être comptés au nombre des êtres les plus ravissans, tels les doris et les éolides. En certains endroits, une végétaque tion d'une teinte assez claire attire l'attention; ce sont les prairies de zostères, où les animaux se trouvent semés à profusion. Plus loin, se dessine une nouvelle zone caractérisée par la présence des algues encroutées que l'on appelle les corallines. Au milieu de ces plantes vivent des polypes et une foule d'animaux qu'on ne rencontre jamais plus près du littoral. Au moment des plus fortes marées, on n'en saurait voir davantage; mais il a été facile encore, avec les filets et les dragues, de reconnaître une zone peuplée de coraux, de madrépores et d'une infinité d'espèces qui se tiennent constamment à distance des côtes. Dans la Méditerranée, la distribution des êtres est analogue; seulement le spectacle reste caché. Ainsi, de même qu'en s'élevant sur la montagne, en descendant vers les profondeurs de la mer, on distingue nettement des régions que caractérisent la flore et la faune, régions sans limites précises, il est vrai, et cependant non moins réelles que les étendues géographiques, car à côté des plantes et des animaux, dont la dissémi

nation est extrême, il existe des espèces qui semblent incapables de se soustraire à des conditions de séjour strictement déterminées.

Jusqu'à l'époque actuelle, il était possible de croire qu'on avait une connaissance générale des populations de l'Océan, parce qu'on avait visité les côtes et observé les animaux nageurs qui s'égarent en haute mer. Quelques incidens ont suffi pour montrer l'erreur. Alors des explorations régulières ont été entreprises, et les découvertes sont venues. Faut-il le dire? la France n'a pris aucune part à ces recherches pleines d'intérêt. De notre temps, des hommes de science ont eu la volonté d'accomplir une œuvre considérable, mais jamais les moyens d'exécution n'ont été obtenus. Pour explorer le fond des mers, il faut des engins très parfaits, des navires montés par des équipages un peu nombreux; le concours de la marine est indispensable. En Angleterre, en Suède, aux États-Unis, des vaisseaux ont été mis avec empressement à la disposition de naturalistes qui avaient signalé l'utilité d'opérations propres à éclairer sur la nature du fond de la mer; pareille fortune n'était réservée à personne parmi nous. Autrefois des expéditions quittaient nos ports pour aller vers des parages lointains, afin de recueillir des notions exactes sur quelques parties du monde. La France prenait un vif intérêt à ces entreprises, et se sentait honorée quand la moisson avait été heureuse; mais est venu l'oubli de la gloire passée, et tandis que des esprits éclairés étaient encore agités par de nobles aspirations, l'indifférence générale les condamnait à n'avoir qu'un rôle effacé dans le mouvement auquel se livraient ailleurs des hommes d'étude.

Pourtant, au siècle dernier et dans le siècle actuel, la marine avait été appelée d'une manière presque incessante à contribuer aux progrès des connaissances humaines. Le 1er août 1785, La Pérouse, muni des instructions que tous les savans avaient été invités à fournir, partait pour une campagne de découvertes, ayant à son bord le naturaliste Lamanon. Après plusieurs années d'un silence qui faisait présager la fin malheureuse de l'expédition, suivant le désir exprimé par la Société d'histoire naturelle de Paris, l'assemblée constituante décrétait, le 9 février 1791, un voyage maritime pour rechercher les traces du navigateur, et le chevalier d'Entrecasteaux était désigné pour commander deux navires sur lesquels s'embarquèrent plusieurs savans, dont le mieux connu est le botaniste Labillardière. En 1800, c'est le capitaine Baudin qui reçoit la mission de constater la reconnaissance des côtes de la NouvelleHollande et d'emmener les zoologistes Péron et Lesueur. Il y a un temps d'arrêt, car la guerre est un obstacle; mais, aussitôt la paix rétablie, on estime qu'il appartient à la France de reprendre l'œuvre

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interrompue. Dès l'année 1817, Freycinet, commandant les corvettes l'Uranie et la Physicienne, mettait à la voile pour un voyage d'explorations autour du monde. Partaient ensuite Duperrey avec la Coquille, Dumont-d'Urville avec l'Astrolabe, La Place avec la Favorite, Dupetit-Thouars avec la Vénus. On envoyait des navires dans les mers du nord, et des savans étaient chargés d'étudier les côtes de l'Islande et du Groënland. Enfin Dumont-d'Urville devait conduire l'Astrolabe et la Zélée dans les mers du sud, et rencontrer la terre Adélie. Dans ces expéditions se distinguèrent les membres du service de santé de la marine: Garnot, Lesson, Gaudichaud. Quoy, Gaimard, Eydoux, Souleyet et d'autres encore. Les voyages de circumnavigation eurent de sérieux avantages pour les sciences physiques et naturelles, et si des hommes spéciaux avaient toujours été appelés à y prendre part, ils auraient procuré des résultats d'une importance autrement considérable. Tout s'est trouvé abandonné le jour où les progrès des sciences allaient permettre de rendre les expéditions maritimes plus fécondes. Il y a peu d'années, mû par l'espoir de réveiller le goût des découvertes, nous avons cherché à remettre en mémoire les anciens services de la marine pendant les campagnes d'exploration, nous avons exprimé le regret de manquer aujourd'hui d'un concours nécessaire pour l'exécution de travaux qui seraient un honneur pour le pays (1). L'appel n'a pas été entendu. L'idée de disposer d'un navire pour des études scientifiques n'était plus de notre époque.

II.

Une opinion fâcheuse, parce qu'elle était décourageante pour la recherche, s'était propagée. On regardait comme très probable l'absence d'êtres vivans dans les grandes profondeurs de la mer. Les preuves faisaient défaut, et l'ignorance se dissimulait involontairement par des explications capables de satisfaire l'esprit. Les raisons de croire le lit de l'Océan absolument inhabitable paraissaient nombreuses. On songeait à la pression énorme qui devrait écraser tous les corps, à la température très basse, à l'obscurité sans doute complète dans les abîmes. A la vérité, les hommes de science, encore incertains, gardaient une prudente réserve; mais par malheur quelques observations insuffisantes et trop aisément généralisées semblèrent con rmer toutes les suppositions. Edwards Forbes, si jus

(1) Nous avions à signaler les observations d'un officier de marine, M. Henri Jouan qui avait mis à profit son séjour en différentes parties du monde pour recueillir und foule de renseignemens utiles sur les productions naturelles.

tement estimé pour ses connaissances du monde de la mer, avait déclaré que la vie cessait vers la profondeur de 500 mètres. Le professeur d'Édimbourg, ainsi que M. Mac-Andrew, avait fait draguer sans succès dans la mer Égée; il n'en avait pas fallu davantage pour former la conviction de l'investigateur. Par suite de conditions toutes locales, Forbes avait vu le nombre des animaux décroître avec l'augmentation de la profondeur. Sans avoir atteint au-delà de 230 brasses (1), environ 420 mètres, il s'était imaginé qu'à peu de distance la solitude était entière. On opposait bien au sentiment du zoologiste écossais quelques assertions contradictoires; mais, comme ces assertions ne reposaient pas sur des faits observés avec rigueur, on y attachait peu d'importance.

Les hydrographes américains, préoccupés de l'établissement d'une communication télégraphique entre l'Europe et le Nouveau-Monde, venant à opérer des sondages avec des précautions qu'on n'avait jamais prises jusqu'alors, tirèrent de profondeurs qui variaient de 1,800 à 2,700 mètres des myriades de spicules d'éponges et une infinité de dépouilles d'êtres microscopiques. Ces débris furent soumis à l'examen d'un micrographe fort habile, M. Bailey. Telle est la force d'une croyance enracinée que le savant, un peu troublé par le doute, inclina néanmoins du côté de l'erreur. Il pensa que seules des dépouilles entraînées par les courans avaient été déposées dans les parties les plus déclives du bassin, et que les animaux avaient vécu en d'autres lieux. Les sondages se multipliaient, et toujours la vase ramenée des grandes profondeurs se montrait abondamment peuplée des animaux microscopiques que l'on désigne sous les noms de Foraminifères ou de Rhizopodes. Ces êtres, de l'organisation la plus simple, occupent dans la nature une place inimaginable. Les coquilles des foraminifères entrent pour une part énorme dans la composition des roches sédimentaires; elles abondent dans le sable du littoral, elles comblent des ports et des golfes. Longtemps les animaux mêmes échappèrent à l'observation, et seules, ces petites coquilles, quelquefois simples, mais généralement formées de plusieurs chambres criblées de trous, étaient le sujet d'études attentives. Les êtres qui habitent de pareilles demeures semblent consister en un tissu homogène, gélatineux et susceptible de s'étirer dans tous les sens; c'est ainsi que sortent par les trous de la coquille de minces filamens servant à une locomotion dont la lenteur est extrême. Parmi les foraminifères, il y a des genres nombreux; mais nous aurons surtout à citer les globigérines, dont la coquille présente une spire tournée obliquement, et les orbulines,

(1) Il s'agit ici de la brasse anglaise fathom, qui équivaut à 1,82877.

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