Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

compter les corvées indispensables qui tiennent une si grande place dans la vie militaire, où le soldat doit tout faire par lui-même. La tranchée est un grand fossé défendu par un parapet à 1 kilomètre du cantonnement, à la même distance environ des lignes prussiennes. Le jour, le service y est presque facile malgré la pluie et le froid; souvent on ne peut s'y abriter d'aucune manière, et la seule ressource est de se promener dans la terre détrempée ou dans la neige, d'essayer de se chauffer malgré les nuages de fumée. Si la nuit est pluvieuse, la fatigue du jour, augmentée par l'insomnie, qui peut être complète sans qu'il soit même possible de s'asseoir, se fait durement sentir. Il est rare que l'esprit garde quelque activité; jusqu'à deux ou trois heures cependant, on cause encore. On sait que dans les veilles pénibles, par exemple auprès des malades, c'est le moment où il faut le plus d'effort pour ne pas céder au sommeil. L'engourdissement intellectuel est vite achevé, et on se laisse vivre machinalement jusqu'au matin. Bien peu jouissent du spectacle étrange que présente ce grand fossé en plein air rempli d'ombres muettes, les unes groupées autour de feux qui s'éteignent, les autres répandues de tous côtés à des places que le hasard plutôt que leur volonté leur a données, au milieu d'une grande plaine où les moindres accidens prennent des formes bizarres, entre l'armée immense qui nous entoure et cette ville de 2 millions d'habitans qui élève à l'horizon quelques lueurs pâlissantes.

Le froid est moins dur que la pluie, vînt-il à descendre, comme dans ces derniers temps, à 10 et 12 degrés. On peut du moins essayer de dormir, et quelques-uns y parviennent; mais pour la plupart la seule distraction de la nuit est la grand'garde, qu'on monte pendant deux heures. Les postes sont à 100 mètres en avant de la tranchée. Là, les sentinelles n'ont personne entre elles et l'ennemi; les unes, dans des trous où elles sont cachées jusqu'à mi-corps, les autres à demi couchées un peu loin ou debout, ont pour mission d'avertir la compagnie au moindre danger d'attaque. Les grand'gardes prussiennes sont en face, à une place qui le plus souvent est connue, et que chacun a étudiée tout à loisir le jour du haut du retranchement. Les mobilisés comme les soldats de la ligne ont eu parfois l'ordre de tirer sur tout ce qui bougerait devant eux. Je ne sais si cette manière de faire est conforme à la règle des grand'gardes. Dans la nuit, avec la certitude que les Prussiens sont à quelques pas, il suffit de regarder pour voir dans les plantes un peu hautes et dans les arbustes un peloton qui remue et s'avance, dans un tronc d'arbre un soldat accroupi qui arme son fusil et vous vise. Si on est attentif plus longtemps, on s'aperçoit bien vite que la vue ne porte pas à 50 mètres; cet horizon si rapproché se relève en

LES MOBILISÉS AUX AVANT-POstes.

remblai, les formes les plus trompeuses s'agitent devant les yeux Les sentinelles empressées ne ménagent pas leur poudre, et toute la nuit c'est de notre côté un feu non interrompu. Le danger est d'atteindre ses camarades des avant-gardes voisines; il est rare qu'un soldat dans l'obscurité se promène en suivant toujours la ligne droite qui lui est fixée, il incline d'un côté ou de l'autre, et vient se mêler aux plantes et aux buissons qui devraient seuls avoir le privilége de recevoir nos projectiles. Les Prussiens ne tirent pas, si ce n'est le matin, où quelques balles passent en siflant. Il faut de la part des officiers beaucoup de vigilance pour bien organiser les premiers jours les grand'gardes. Plusieurs de nous ont mis en joue leurs amis, et une compagnie voisine nous a envoyé un feu de peloton. On cite un certain nombre d'hommes atteints ainsi par erreur. Après une ou deux nuits, tout s'organise, et ce genre de danger a disparu.

Le seul inconvénient des gardes à l'intérieur du cantonnement, c'est qu'en général on doit se résoudre à n'y pas fermer l'œil. De plus le sommeil dans la chambre de l'escouade est loin d'être réparateur. L'insomnie et le froid sont certainement le côté le plus pénible du service d'avant-poste. Il faut aussi compter, à moins d'un rare bonheur, que la compagnie sera durant plusieurs jours obligée d'aller en plaine pour faire une démonstration armée, ce qui vaut la tranchée pour la fatigue. Le repos du cantonnement n'est pas du reste l'oisiveté : nous ne soupçonnons pas dans la vie civile tous les services que nous rendent les domestiques; mais qu'on s'imagine ce que devient une journée d'hiver, qui est si courte, quand, outre les appels et les services réglementaires, il faut encore pourvoir par soi-même à la provision de bois, couper des arbres, fendre des bûches, chercher des provisions pour augmenter l'ordinaire du régiment, mettre la main à la cuisine, défaire son lit, c'est-à-dire arranger tous les matins sa couverture sur son sac, ce qui est une œuvre d'art où les débutans sont très peu habiles, préparer tous ses ustensiles le soir comme si on devait partir à l'improviste, faire briller son fusil, qui se rouille régulièrement à chaque sortie, et couper la glace à coups de hache pour prendre un peu d'eau dans la Seine ou ailleurs. Tous ces travaux n'exigent pas beaucoup d'intelligence, mais ils demandent de l'attention. Ce que nous devons à nos domestiques, c'est la liberté de vivre avec nous-mêmes, de nous arrêter aux choses qui nous intéressent. La vie militaire absorbe souvent l'homme tout entier ou par la fatigue ou par le travail manuel: la fatigue est dure pour tous; le travail manuel pour beau-" coup est une habitude à laquelle ils sont faits dès l'enfance. C'est cette fatigue que l'on voit sur la figure de tant de soldats sous les

murs de Paris; ils y sont moins sensibles que nous, mais aussi ce qu'on exige d'eux est beaucoup plus pénible. Nous n'avons guère supporté le froid en plein air que trente-six heures de suite, et, bien que l'eau gelât sur notre table devant le feu, nous avions du moins une chambre où le vent ne soufflait pas. Durant ces semaines dernières, des mobiles sont restés jusqu'à quinze jours sous la tente, mal habillés, sans tous ces préservatifs que nous pouvons trouver dans nos familles, sans ces ressources de vin et de vivres qu'il nous est possible de nous procurer, souvent après des journées de combats à outrance. On cite telle compagnie où le froid a réduit un moment l'effectif de 105 hommes à 49.

Ce qui est plus attachant que ce côté tout extérieur de la vie d'avant-poste, c'est l'esprit qu'on y apporte. Personne ne s'y plaint, tout le monde accepte de son mieux les inconvéniens de cette condition nouvelle. Si ces épreuves sont pénibles, ce qu'on souffre est bien peu de chose auprès des maux du pays tout entier, auprès de l'angoisse morale, et de combien de manières ne sommes-nous pas tous atteints! -que chacun ressent en soi depuis des mois déjà si longs. On sait que ce service est un devoir, on veut le faire le mieux possible. Dès qu'on reprend quelque force, on réagit gaîment contre la fatigue. Certaines escouades ont eu l'art de rendre leur logis agréable; des fleurs d'hiver, des panoplies, des ornemens qu'on peut faire avec des riens, un ordre strictement maintenu dans la façon de disposer les effets militaires, donnent souvent à ces chambrées comme un air de gaîté, sinon de comfortable. Les gens qui vivent là ne sont pas des mécontens, et c'est là un grand point. Le temps n'est pas si occupé non plus qu'il n'y ait place pour des distractions les artistes organisent des concerts; l'entrain français reprend le dessus. On invite ses voisins, les divertissemens different selon les escouades; mais dans un groupe il suffit d'un ou deux hommes qui aient quelque autorité pour imposer par leur seule présence et sans mot dire à la grossièreté, qui aussitôt se sent mal à l'aise. Quant au danger, à la première alerte, tout le monde est sur pied; alors personne ne s'avoue malade, il est même assez malaisé de trouver un camarade qui reste de cuisine à la chambrée. Les grand' gardes en général ne sont pas périlleuses, mais du moins les timides pouvaient s'imaginer qu'elles l'étaient; il y a quelque chose d'étrange à se trouver la nuit à portée des Prussiens, seul entre leurs avant-postes et les nôtres combien peu cependant y ont montré de l'hésitation! Si un sentiment l'emporte sur les autres, c'est le désir d'être enfin en présence du péril, d'échanger des balles avec les Allemands. Cette pensée, contenue et raisonnée chez les uns, se traduit chez les autres par des expressions d'autant

plus vraies qu'elles sont plus simples. La conduite du 106o et du 116o à l'attaque de la Gare-aux-Bœufs, celle du 72. à Bondy, la bonne contenance des trente-trois bataillons qui étaient de réserve derrière l'armée du général Ducrot au 2 décembre, sont du meilleur augure. Les défaillances individuelles du reste n'ont que peu d'influence à la guerre; ce qui importe, c'est la disposition de la masse. La fuite ridicule de quelques tirailleurs aux avant-postes de Créteil n'est qu'une exception; on ne doit rien craindre de semblable de la grande majorité des bataillons. Dans presque tous, on trouve des élémens qui sont une garantie de solidité et de courage. Des volontaires, dont quelques-uns illustres, ont pris l'habit du simple soldat, des hommes réfléchis qui savent pour quelle cause ils combattent, ou simplement des esprits cultivés qui seront braves par bonne éducation, parce que ne l'être pas serait manquer au bon goût. Un élément excellent aussi, c'est l'ouvrier instruit qui a la rage dans le cœur, qui ne peut comprendre nos défaites, et qui se ferait tuer plutôt que d'avouer que la victoire ne doit pas nous revenir; c'est encore l'ancien cultivateur de la banlieue qui s'est réfugié à Paris, qui a tout perdu, loge avec sa famille dans une gare ou dans une maison d'emprunt, et brûle de se venger. Il est d'ailleurs un signe qui ne trompe pas; aux avant-postes, les plus pessimistes n'oseraient parler de leurs appréhensions sur le résultat final de la lutte, chercher à les justifier par des raisonnemens. On s'occupe peu de politique, on calcule moins encore les forces prussiennes on croit que le jour de la lutte ne tardera pas, et en attendant on prend le temps comme il vient.

Il est des compagnies et même des bataillons de mobilisés qui ont la démarche et la conduite de vieilles troupes; mais tout le monde sait tirer un coup de fusil, et pour la guerre que nous faisons à cette heure cela suffit. A ce point de vue, les mobiles et presque toute l'armée de Paris n'ont sur les mobilisés qu'un mois ou deux d'avance. Les tranchées et les grand'gardes contribuent du reste beaucoup à former les bataillons de marche. Au rapport de tous les chefs, la vie d'avant-poste change les hommes; l'on prend les qualités militaires par cela seul qu'on mène la vie du soldat. Les premiers jours, tout est incertain, quelquefois même irrégulier et désordonné; mais après une semaine le changement est complet en face de l'ennemi, le sérieux est une nécessité, et les moins bien préparés se corrigent eux-mêmes sans y penser.

Les deux plaies dont il faut guérir certains bataillons, ce sont les mauvais officiers et la manie de boire. Les bons capitaines font les bonnes compagnies. On a vu qu'au 9 décembre le gouvernement avait pris le droit de nommer seul les lieutenans-colonels; devait-il

faire plus? était-il opportun de l'essayer? Au lendemain du 4 septembre, l'on ne pouvait songer à limiter le droit d'élection dans la garde nationale. Quel état-major au demeurant eût voulu se charger de choisir 28,000 officiers en quelques heures ? Il fallait laisser à la liberté populaire le soin de faire ces choix à ses risques et périls. Les votes ont eu les résultats qu'on devait attendre. Un certain nombre, on l'avouera sans peine, enlevés par acclamation dans les clubs, ont été déplorables, et cela est vrai non-seulement de la garde sédentaire, mais des bataillons de marche, bien que dans ceux-ci les choix aient été meilleurs. On n'a rien dit dans ces derniers mois des inconvéniens du suffrage pour la nomination des chefs dans l'armée qui puisse se comparer à l'énergie et à la franchise des généraux de la république chargés, eux aussi, de conduire au feu des gardes nationaux. « Le mode d'élection qu'on a observé pour la nomination des officiers, écrivait Wimpffen à la fin de 91, a produit les résultats les plus malheureux et même les plus ridicules; ce sont les intrigans, les grands parleurs et surtout les grands buveurs qui l'ont emporté dans la concurrence sur les gens capables, » et Biron ajoutait au mois d'août 92: « La composition de leurs officiers rend presque impossible qu'ils soient bons; l'intérêt des élections est destructif de tout respect pour les supérieurs et de toute fermeté envers les subordonnés. Il est rare que ces officiers jouissent de quelque considération dans leur troupe, et qu'ils soient obéis. » Tous les chefs militaires sont unanimes sur ce point, et en 1793 Dubois-Crancé, rapporteur de la loi d'amalgame devant la convention, est réduit à dire sur le même sujet : « On cite les choix du peuple, les erreurs des corps électoraux, j'en gémis depuis longtemps. » L'assemblée arrêta qu'un tiers des grades serait donné à l'ancienneté, et qu'on ne nommerait plus à l'élection que jusqu'au grade de capitaine. Sans modifier la loi aujourd'hui en vigueur, l'état-major pense sans doute qu'il est suffisammeut armé contre les choix qui peuvent compromettre la dignité et la sécurité de l'armée. A côté des conseils de guerre qui notent d'infamie les plus coupables, il peut provoquer la révocation par le gouverneur de Paris, ou prononcer lui-même la cassation pour les simples sous-officiers. Il a aussi le devoir, dont il donne l'exemple aux commandans divisionnaires, d'exiger la démission des chefs dont le passé est peu honorable. Grâce à cette fermeté, il corrige en bien des cas les défauts inhérens à des élections souvent peu éclairées. Si les régimens de marche de Paris sont destinés à un service de courte durée, il est douteux qu'on introduise dans la loi sur la nomination aux grades d'autres articles restrictifs; mais si cette armée doit tenir campagne longtemps et

« ZurückWeiter »