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suivant, les heures cependant n'avaient pas été perdues. Sans parler de toutes les préoccupations étrangères à l'armement, l'autorité militaire avait organisé la ligne, exercé les mobiles, rendu nos remparts inattaquables, et surtout formé, instruit, équipé en partie 320,000 hommes destinés à la défense de nos murs. Il faut se rappeler en effet qu'au milieu d'août la garde nationale ne comptait que 51 bataillons, dont l'effectif n'allait pas à plus de 32,000 fusils, et qu'au 6 septembre ce chiffre n'avait encore été porté qu'à 74,923. C'était donc d'environ 250,000 hommes qu'il avait fallu s'occuper jusqu'au 18 octobre. Le nombre exact des volontaires. qui ont répondu à l'appel du décret n'a pas, que je sache, été publié. Si le gouvernement l'a tenu secret, trouvant que son attente avait été trop complètement déçue, il a cédé à des scrupules exagérés. Ce chiffre est honorable pour le patriotisme parisien. Les états de 180 bataillons (ceux des 80 autres ne sont point parvenus à l'état-major avant le 9 novembre, époque où ils devenaient inutiles en présence d'une loi nouvelle) donnent 26,700 volontaires (1). Pour apprécier ce chiffre à sa juste valeur, il faut tenir compte des corps francs qui s'étaient formés spontanément dès le 4 septembre et des engagemens nombreux dans l'armée de ligne dès le mois de juillet; il faut aussi remarquer le vague où le décret laissait l'opinion sur la situation précise faite aux volontaires. Beaucoup de citoyens qui se sentaient prêts à faire tous les sacrifices que le pays leur demanderait, qui même se seraient inscrits plus tard comme volontaires, ne pouvaient prendre sur eux de s'engager, sans attendre, pour servir dans des conditions qu'ils ignoraient. Une partie du public n'a pas manqué de répéter à cette occasion que notre patriotisme était médiocre comparé à celui de nos pères de 92. Les archives du ministère de la guerre, qu'il est toujours facile de consulter, auraient pu rassurer les pessimistes.

Du mois de juin au mois d'août 1791, l'assemblée législative demandait aux gardes nationales de France, dont l'effectif sur le papier était de 2,500,000 hommes, 101,000 volontaires. Au 25 septembre de la même année, on n'avait pu recueillir encore que 30,000 engagemens. Cependant ces volontaires devaient toucher une solde de 15 sous par jour, nommer leurs officiers, et de plus on leur accordait le droit de retourner dans leurs foyers au 1er décembre de chaque année. La loi avait dit que Paris fournirait six bataillons de 574 hommes. Ce sont les seuls volontaires que la révolution ait jamais cherché à lever dans la population parisienne : deux de

(1) Par une coincidence assez curieuse, le premier appel de l'assemblée législative aux volontaires de la garde nationale pour toute la France, le 21 juin 1791, leur demandait 26,000 hommes.

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ces bataillons ne parvinrent jamais à se former; quatre seulement furent réunis. C'est donc à un total d'un peu plus de 2,000 hommes qu'il faut réduire les chiffres si facilement adoptés par l'imagination populaire. L'assemblée législative du reste reconnut bientôt qu'elle s'était trompée. En un an, elle avait formé à grand' peine 168 bataillons, dont l'effectif réel n'était connu de personne, ainsi que l'avouait le ministre de la guerre lui-même. Nombre d'entre eux n'existaient que sur les états officiels; beaucoup d'autres étaient tombés par les désertions à 2 et à 300 hommes, et quant aux soldats qui restaient sous les drapeaux, bien peu avaient la discipline, la patience, même simplement la force physique, qui font les armées solides. Il faut lire sur ce sujet les lettres de Montesquiou, de Kellermann et de leurs collègues, les rapports de M. de Narbonne et surtout les discours des membres de l'assemblée. L'appel aux volontaires avait été une erreur. Les députés le reconnurent, et ce mode le recrutement fut abandonné pour toujours. La loi du 11 juillet 1792, promulguée au lendemain de la séance où la patrie avait été déclarée en danger, ne laissait pas aux gardes nationales la liberté de partir ou de rester; elle imposait à chaque compagnie l'obligation de choisir dans son sein par tel moyen qui lui plairait, au prorata des contingens demandés, un certain nombre d'hommes destinés à marcher à l'ennemi. La levée en masse de 1793 ne fut jamais qu'une application en grand de la loi du 11 juillet. Quelque temps, on donna aux gardes ainsi mobilisés le nom de volontaires; mais on voit qu'en réalité ils étaient incorporés par réquisition. Ce fut la réquisition qui forma les armées de la république. Il ne faut donc pas prêter à la génération de 89 des mérites qu'elle n'a pas eus. La légende de ce temps glorieux nous expose à des erreurs d'autant plus dangereuses qu'aujourd'hui, comme toujours, les natures simples se plaisent à ces belles chimères, et, pleines de ces contes merveilleux, demandent avec ardeur au présent de se régler à l'image d'un passé qui n'a jamais existé. Les armées ne sauraient se recruter par des volontaires, même dans les jours où le patriotisme est au plus haut point: nous en avons fait deux fois l'expérience dans des circonstances solennelles. Pour quelques-uns qui ont l'énergie de ces sortes de résolutions, la foule attend qu'on lui ordonne d'agir, qu'on lui prescrive ce qu'elle doit faire. Le patriotisme alors, c'est pour les chefs de commander de grands efforts et de compter sur un courage qui ne faiblira pas, pour les gouvernés de répondre à la confiance des chefs.

Le gouvernement de la défense nationale revint le 9 novembre tur sa décision du 18 octobre, comme l'assemblée législative avait rapporté le 12 juillet la loi relative aux volontaires. Les lecteurs

connaissent l'économie du décret du 9 novembre (1), qui crée quatre compagnies de guerre dans chaque bataillon de la garde nationale, et fixe cinq catégories où on doit prendre successivement les hommes appelés à un service extérieur. Il est évident que cette mesure, appliquée à la lettre, eût entraîné les plus cruelles injustices. Ainsi, dans le quartier occupé depuis nombre d'années par le 18 bataillon, le décret du 6 septembre en a formé depuis deux autres, le 84 et le 193°. Appelé à fournir quatre compagnies de guerre, le 18 bataillon était obligé d'enrôler les hommes mariés de la quatrième catégorie. Composé d'anciens gardes nationaux, il comptait très peu de jeunes gens; de plus son effectif n'était que de 1,000 hommes. Beaucoup des bataillons compris entre les numéros 1 et 51 étaient dans le même cas. Au contraire le 84 et le 193e avaient un effectif, le premier de 1,522 hommes, le second de 1,268; ils renfermaient en outre une bien plus grande proportion d'hommes non mariés, et ils pouvaient ainsi recruter les compagnies de marche sans dépasser la troisième catégorie. Il arrivait de la sorte que dans la même maison, sur le même palier, la loi prenait pour le service extérieur un père de famille qui n'avait que le tort d'avoir appartenu à la garde nationale avant le 6 septembre, tandis qu'elle laissait un célibataire que le hasard avait incorporé dans un des bataillons nouveaux. Les injustices de ce genre étaient sans nombre. On citait des bataillons où on avait dû prendre pour les compagnies de marche jusqu'à 300 hommes mariés, pendant que dans d'autres on formait les mêmes compagnies sans incorporer tous les célibataires (2). La vivacité des protestations s'augmentait encore quand on voyait l'état-major réduit à ne pas armer plus de quinze bataillons qui ne prenaient dès lors aucune part à la formation des régimens de marche, quand on songeait que, faute de fusils, les cadres de la garde nationale semblaient être à peu près définitivement clos, et qu'un grand nombre de jeunes gens qui ne s'étaient jamais fait inscrire échappaient désormais à tout service.

(1) Voyez, dans la Revue du 1er décembre 1870, la Garde nationale de Paris. (2) Voici du reste quelques chiffres qui montreront combien étaient différens les effectifs des bataillons au mois de novembre 1870:

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Il est hors de doute que, pour faire une loi tout à fait équitable, le mieux eût été de prendre dans tous les bataillons indistinctement les hommes des trois premières catégories jusqu'à concurrence de 100,000, effectif fixé pour le contingent que devait fournir la garde nationale; mais contre cette manière de procéder on élevait deux objections très sérieuses. C'était détruire, disait-on, l'unité des bataillons, à laquelle les chefs comme les simples gardes, habitans du même quartier, attachaient une grande importance; les commandans réunis à l'état-major furent presque unanimes sur ce point. Puis cette reconstruction du tout au tout eût-elle pu se faire rapidement? Pour être tout à fait juste, n'eût-il pas fallu procéder à un recensement général, qui eût pris beaucoup de temps? La loi était défectueuse, l'état-major et le commandant supérieur, M. Clément Thomas, le savaient mieux que personne; mais elle devait donner aussitôt des résultats importans. Dès le 11 novembre, on pouvait avoir les cadres et l'effectif d'un grand nombre de compagnies. Dans la pratique du reste, on estimait qu'il serait facile d'atténuer les inégalités signalées de toutes parts. Le bon vouloir des officiers, l'activité des intéressés, corrigeraient peu à peu les injustices de la loi, et cependant on irait le plus vite possible, on disposerait immédiatement d'une partie des forces nouvelles qu'on demandait à la garde nationale. La préoccupation n'était pas de faire une loi irréprochable, mais d'agir sans retard, laissant au temps le soin de rendre l'œuvre moins imparfaite.

Le 11 novembre au soir, un grand nombre de commandans avaient remis au bureau des opérations militaires les états de leurs compagnies de marche. Le 18, on commença par équiper celles qui n'avaient pas été contraintes, pour se constituer, de descendre jusqu'à la catégorie des pères de famille. Quelque activité qu'on y mît, on ne pouvait habiller en un jour plus de seize à vingt-quatre compagnies, ce qui faisait une moyenne de 2,000 hommes par vingt-quatre heures. Cependant les bataillons retardataires se constituaient. Les effectifs remis à l'état-major durant les mois de novembre et de décembre sont instructifs; ils témoignent de l'activité avec laquelle les compagnies s'efforçaient de corriger la loi. Presque tous ont été modifiés deux et trois fois. Pour prendre les dates extrêmes, au lendemain du décret, les deux tiers des bataillons comptaient chacun plus de 100 hommes mariés; un mois plus tard, les états des mêmes corps ne présentaient plus qu'une moyenne de 30 hommes mariés, et ce nombre a sensiblement diminué depuis. Au 20 décembre, dans la majorité des bataillons, on trouvait tout au plus 8 et 10 gardes de la quatrième catégorie; dans plusieurs on n'en voyait plus aucun. D'une façon générale, on

peut dire en ce moment que les hommes mariés qui ont voulu quitter les compagnies de marche ont presque toujours pu le faire. Quant aux bataillons, en très petit nombre, qui sont encore aujourd'hui une exception à cette règle, il est certain qu'on tiendra toujours compte des élémens qui les composent dans le rôle qu'ils seront appelés à remplir.

Les mesures pour prévenir les injustices qu'aurait entraînées l'application littérale de la loi ont été nombreuses. L'état-major ne pouvait toujours en prendre l'initiative; mais il avait le devoir de les encourager. C'est ainsi qu'il permit à certains bataillons de fournir un effectif inférieur au chiffre réglementaire de 400 hommes. Il autorisait en même temps les mutations, qui permettaient à des bataillons formés en grande majorité d'hommes mariés de prendre des célibataires dans des bataillons voisins. Malgré les abus auxquels ont donné lieu les mutations, qui ont parfois dégénéré en remplacement payé, elles ont été, à tout prendre, une mesure juste et d'une sérieuse utilité. La classe des réfractaires non mariés devait aussi, dans bien des cas, être appelée à remplacer les hommes de la quatrième et de la cinquième catégorie. Les sergens-majors, les capitaines, les délégués des mairies et les gardes eux-mêmes se mirent en campagne. Dans des quartiers qui avaient à peine fourni une compagnie, on trouva souvent en quelques heures jusqu'à 30 et 40 jeunes gens qui cherchaient à échapper à la loi, les uns par dégoût d'un service actif et fatigant, d'autres par simple apathie, d'autres enfin par lâcheté. L'état traite aujourd'hui avec plus de dédain que de rigueur ces réfractaires de tout genre. Les cadres sont remplis, tous les fusils employés; ces hommes inexpérimentés et mal disposés ont peu à craindre qu'on les inquiète. A un point de vue qui n'a rien de militaire, ils offriraient toutefois un curieux sujet d'étude, depuis l'homme égoïste, indépendant, qui fuit le service par défaut de caractère plutôt que par manque de courage, jusqu'aux pauvres hères, dont on évaluait récemment le nombre à près de 6,000, qui, poursuivis par la crainte d'être appréhendés au collet, vivent dans de perpétuelles inquiétudes, changent tous les soirs de domicile, achètent le silence des garçons d'hôtel, se condamnent par peur à une vie ridicule, dispendieuse, même parfois inavouable. Les réfractaires de cette classe sont certainement des exceptions, et ne méritent aucune pitié. Beaucoup de jeunes gens, au contraire, incorporés par force dans les régimens de marche, y ont montré une rare énergie, un entrain toujours soutenu. Dans plusieurs compagnies, ils ont donné l'exemple du vrai courage; quelques-uns, à peine pris par la garde nationale, se sont engagés dans des régimens de ligne. La garde nationale leur avait

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