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n'est pas resté absolument le même dans la première et dans la seconde édition, et que de nouveaux chants, s'il vient à s'en découvrir, pourront modifier encore? qui a décidé que tel chant isolé, où il ne paraît pas être question des héros du Kalevala, ferait partie du recueil de morceaux lyriques publié en 1840 sous le titre de Kanteletar, et non de l'épopée nationale, au risque de reconnaître plus tard une erreur à l'aide de quelque variante encore imprévue? Dans ces récits des chanteurs isolés, y avait-il des indications pouvant servir à faire classer divers épisodes suivant un ordre commandé par la tradition? On dit que les papiers de M. Lönnrot, contenant les primitives copies qu'il avait faites sous la dictée des modernes rhapsodes, sont conservés à la bibliothèque de l'université d'Helsingfors; c'est sur ces documens sincères que la critique pourrait s'exercer plutôt que sur le livre que M. Lönnrot a construit de ses propres mains. La poésie nationale des Finlandais a produit pendant une période certainement fort ancienne une vaste efflorescence, tout un cycle de chants relatifs aux mêmes souvenirs, aux mêmes dieux, aux mêmes héros; mais ces chants diversifiaient à l'infini le thème commun. M. Lönnrot, en voulant composer avec cette végétation luxuriante un bouquet régulier, quelque chose comme un vrai poème épique, a dû être amené forcément à en modifier le caractère; il lui a fallu choisir, élaguer, disposer. Il a mis tous ses soins, on peut en croire son affirmation, à ne pas laisser paraître sa main dans le travail d'assemblage; il est bien difficile toutefois qu'il n'ait pas été çà et là conduit à intercaler quelque vers de sa façon pour joindre deux fragmens isolés, à modifier quelques mots faisant contraste avec les expressions d'un morceau voisin. La meilleure preuve qu'il se glissait inévitablement quelque arbitraire dans son travail, c'est qu'il a donné deux éditions où l'ordre des matières, indépendamment des développemens nouveaux, ne reste pas toujours le même.

Une autre difficulté paraît s'opposer à un sérieux commentaire du Kalevala: c'est le peu de connaissance que nous avons encore du passé des peuples finlandais. Que répondre à ceux qui demandent quel est le sens général de ces anciennes poésies? Assurément le caractère en est épique en ce sens qu'elles sont l'œuvre de l'imagination nationale acceptant le mythe ou bien transfigurant l'histoire à son insu. Il serait intéressant de savoir quelque chose de plus, si l'on doit, comme quelques-uns l'ont pensé, leur attribuer une signification purement historique, si elles trahissent par exemple le souvenir d'une conquête au profit d'une principale tribu finnoise, laquelle descendrait du puissant peuple des Biarmes, souvent mentionné dans les sagas scandinaves. Les Biarmes occupaient à peu près la contrée qui forme aujourd'hui le gouvernement d'Arkhangel; peut

être la ville de ce nom tint la place de leur capitale, Cholmogor. Leur pays devint tributaire de la Russie dès le xre siècle, et il dépendait certainement de Novogorod vers la fin du XIII". Jusqu'au commencement de cette dernière époque, les rapports avaient été très fréquens entre eux et les peuples scandinaves, rapports de navigation et de commerce. Des côtes de l'Islande, république pendant quatre cents ans florissante, de celles de la Norvége, du Danemark, de la Suède, partaient chaque printemps de hardis explorateurs, moitié commerçans, moitié pirates. Sous les noms redoutés de Vikings, de Northmans et de Danois, ils pénétraient par l'embouchure des grands fleuves sur tout le littoral de l'Europe; dans quelque île intérieure, ils établissaient un poste d'où ils étendaient, suivant les occasions, leurs ravages ou leur trafic, car chacune de leurs embarcations portait toujours au départ une petite cargaison pour servir aux échanges. De même les Phéniciens de l'antiquité, par qui s'inaugura le commerce destiné à nouer les premières relations entre l'Orient et l'Occident, exerçaient, comme on le voit dans Homère, la piraterie en même temps que le négoce. Le pays des Biarmes paraît avoir été pour les Scandinaves un marché très fructueux, d'où ils tiraient des pelleteries et des fourrures, mais aussi des objets fabriqués et de riches étoffes, produits sans doute de l'industrie byzantine. Une des sagas norvégiennes, celle d'Olaf le saint, raconte dans une page intéressante une des principales expéditions de ces hommes du nord en Biarmie. Au printemps de l'année 1026, Karle de Langö et Thore Hund firent voile de Throndhiem avec un équipage d'une. centaine d'hommes. Ce voyage était entrepris à frais communs avec le roi, et le gain devait en être également partagé entre les associés.. Arrivé à l'embouchure de la Dvina, on remonta le fleuve jusqu'à la capitale, et on se mit en rapport avec les habitans. On leur acheta. du petit-gris, des peaux de castor, de la martre-zibeline. Une fois le marché clos, Thore Hund demande à ses compagnons s'ils n'avaient pas envie de se procurer par d'autres moyens des objets précieux il y aurait sans doute quelques dangers à courir, mais d'autant plus de profit. « C'est la coutume chez les Biarmes, dit-il, qu'à la mort d'un homme riche on réserve un tiers ou moitié de ses plus beaux objets mobiliers pour les ensevelir en son honneur dans le tertre où il doit reposer, au fond d'un bois. Trouvons quelqu'une de ces riches sépultures et pillons-la! » L'avis fut adopté. Pris pour guide, Thore Hund conduisit la petite troupe pendant la nuit vers un vaste tumulus, dans une forêt. Il fallait franchir une palissade circulaire Thore ficha sa hache le plus haut possible dans un tronc d'arbre, s'y suspendit, et, se haussant de la sorte, franchit la barrière, puis aida les autres. Ce bois contenait la célèbre idole des Biarmes, la statue du dieu Jumala. Des sentinelles veillaient jour et nuit sur

l'enceinte; mais il se trouvait par hasard que, la garde montante n'étant pas encore arrivée, les soldats précédens avaient quitté leur poste. On commença par pénétrer dans le tumulus, d'où on enleva les plus précieux objets d'argent et d'or. Il était plus dangereux de toucher à l'idole, profanation que les Biarmes ne pardonneraient pas. Thore Hund dit à ses deux associés : « Hâtez-vous, partez les premiers en silence; je fermerai la marche. » Karle se mit en route avec les siens, mais bientôt ils remarquèrent l'absence de Thore, qui, resté à dessein en arrière, avait pénétré dans le bois jusqu'à l'idole, et se mettait en devoir de détacher un sac rempli d'argent qu'elle avait sur ses genoux. Karle, l'ayant cherché et rejoint, voulut avoir sa part. Remarquant au cou de l'idole un gros ornement d'or, il escalada la statue, et d'un coup de hache voulut trancher le lien qui retenait sa proie. Sous le coup violemment asséné, la statue pourrie chancela, et la tête, en roulant à terre, fit un grand bruit qui avertit les Biarmes. Aussitôt les trompettes des sentinelles revenues à leur poste retentirent; elles furent répétées par les postes voisins, et les Vikings n'eurent que le temps de se sauver sur leurs embarcations. Leur butin transporté à bord, ils se mirent en sûreté en s'éloignant du rivage. La saga raconte ensuite quelles disputes s'élevèrent à propos de ce butin parmi les vainqueurs : c'est de la sorte en effet que s'achèvent d'ordinaire ces expéditions des pirates du nord. Ce qui nous importe ici, c'est de rencontrer quelque lumière vraiment historique sur des populations à peu près oubliées aujourd'hui, mais dont le passé n'a pas été sans une certaine grandeur, et auxquelles on a pu croire que nous devons ce legs poétique du Kalevala. Puisque le dieu Jumala, qui était celui des Biarmes, est fréquemment invoqué dans ces poésies, puisque la contrée où ils habitaient est aujourd'hui encore celle où se sont conservés le plus grand nombre de ces chants, la conjecture suivant laquelle la Biarmie aurait été le principal berceau de l'ancienne poésie finlandaise n'offre rien d'invraisemblable. Toutefois nul témoignage certain ne permet de faire un pas de plus, et de retrouver dans les annales du nord les vestiges de quelque grand épisode particulier à cette région et dont les chants qui subsistent seraient un écho durable.

A juger de ces fragmens par eux-mêmes, il semble qu'ils révèlent plutôt une épopée particulièrement mythique. Le poème débute, on s'en souvient, par une cosmogonie, et nous sommes tout de suite en présence des divinités païennes. On a beaucoup disserté sur ce qu'il faut entendre par le Sampo (1). On s'est demandé si ce

(1) Voyez les mémoires de MM. Schott et Schiefner dans la collection de l'Académie

nom de Sampo, auquel on trouvait des analogues dans plusieurs langues, en mongol, en thibétain, peut-être aussi tout simplement dans les idiomes germaniques, ne désignait pas un instrument pareil à ce que l'Edda nomme le grotti, sorte de moulin magique qui fabriquait de rien non-seulement les objets précieux, mais les jours de bonheur. Plutôt que de rappeler les conjectures hasardeuses des mythographes ou des linguistes, remarquons la similitude entre ces deux conceptions qui forment le fond du poème, celles d'un merveilleux palladium et d'une vierge brillante à la possession desquels le suprême bonheur est idéalement attaché. Pourquoi chercher là autre chose que les expressions diverses du désir naturel chez l'homme de s'élever, fût-ce à travers l'épreuve, vers une récompense ou une conquête de nature à satisfaire sa soif de changement et de progrès? On ne trouve pas dans les chants du Kalevala ce relief de la réalité historique dont l'âge efface bien difficilement l'empreinte, et au contraire nous en savons suffisamment sur les peuples finlandais, nous les connaissons assez intelligens et assez bien doués, pour penser qu'ils ont pu avoir en effet, avant leur conversion au christianisme, un brillant essor de poésie populaire et mythique. On reconnaît encore aujourd'hui chez eux, à en juger par leurs écrivains modernes, les mêmes qualités ou habitudes d'esprit que présente leur poème national, un facile enthousiasme, une imagination prompte à exciter, quelque peu fébrile, et à laquelle pouvait suffire l'expression incessamment variée de ce que lui inspiraient le spectacle de la nature ou d'antiques traditions religieuses. Nul ne sait, disions-nous en commençant, quelle sera dans l'œuvre réservée à la Russie la part des populations finlandaises; ce qui paraît certain, c'est qu'il y a là pour l'empire moscovite des sources vives, des peuples ou tout au moins des tribus à qui un noble passé intellectuel et moral garantit l'avenir. A. GEFFROY.

de Berlin, 1852 et 1862. On peut lire aussi dans la Zeitschrift für Wissenschaft der Sprache, t. Ier, Berlin 1845, un important travail de Grimm sur le Kalevala, -une sérieuse étude de M. Steinthal, intitulée Das Epos, dans la Zeitschrift für Völkerpsychologie und Sprachwissenschaft, cinquième volume, un article enthousiaste et obscur dans l'Archiv für das Studium der neueren Sprachen und Literaturen de L. Herrig, Brunswick, 1860. Il y a peu de résultats appréciables et précis à tirer de ces diverses études, si ce n'est peut-être pour le philologue, et c'est à la philologie en effet à préparer les voies en ces difficiles matières pour un examen plus compréhensif et plus large.

LES MOBILISÉS

AUX AVANT-POSTES

Depuis six semaines, un grand nombre des compagnies de guerre de la garde nationale ont pris successivement le service des avantpostes, et peut-être déjà sont-elles engagées contre l'ennemi. Ce qu'avait prescrit le décret du 9 novembre, qui constituait les bataillons de marche, a été fait en quelques jours. Il est facile aujourd'hui de rechercher comment les principales dispositions du décret ont été comprises et appliquées, d'examiner en rappelant des faits précis, en citant des chiffres, les critiques qui au mois de no-. vembre ont eu le plus de prise sur l'opinion, il est facile surtout de dire comment ces soldats si neufs ont fait leurs preuves, la vie qu'ils ont menée aux grand'gardes, et pourquoi on peut être certain qu'ils répondront aux espérances que Paris et le pays ont mises en eux. Le temps n'est pas aux longues recherches ni aux travaux complets et faits à loisir; mais si nous voulons, au milieu de nos épreuves, nous entretenir des raisons que nous avons de mieux aimer chaque jour la cause que nous défendons et de nous fortifier, sans vaine illusion, contre les découragemens qui seraient notre perte, notre nouvelle armée est certes un des sujets qu'il est bon d'étudier à cette heure.

I.

Ce fut le 18 octobre seulement, quand nous étions déjà investis depuis un mois, que le gouvernement de la défense appela une partie de la garde nationale à un service extérieur; il ne s'adressait encore qu'aux volontaires. Au gré du public de Paris, naturellement nerveux et surexcité par toutes les émotions du siége, on avait attendu trop longtemps. Du 4 septembre jusqu'au milieu du mois

TOME XCI.

- 1871.

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