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conséquence de la révolution, répétait-on après 1852. Et toujours on prédisait une diminution qui n'est jamais arrivée.

Ainsi s'explique le changement de valeur éprouvé par les divers animaux. « Quand Louis IX rentra en France, dit M. Francisque Michel (1), il s'arrêta quelque temps à Hyères pour se procurer des chevaux et les amener avec lui. L'abbé de Cluny lui en présenta deux, l'un pour lui, l'autre pour la reine, et le même historien (Jean, sire de Joinville) ne les estime pas moins de 500 livres chacun, c'est-à-dire près de 10,000 francs de notre monnaie. Ainsi qu'on l'a fait remarquer avant nous, si ce dernier prix est énorme, même relativement à nos jours, qu'était-ce donc pour un temps où, comme on le voit dans une note du fabliau d'Aucassin, un boeuf de charrue valait vingt sous?» Sans remonter si loin dans notre histoire et sans citer pour exemple des animaux de choix, on peut parfaitement comprendre qu'en raison de leur prix on ait réservé les chevaux exclusivement pour le travail. D'après le comte de La Roche-Aymon, de 1788 à 1791, les chevaux de chasseurs, de hussards, élevés dans la Navarre et le Limousin, revenaient, rendus dans les régimens, au prix moyen de 700 à 800 francs, et la paire de bœufs ne se vendait alors que de 300 à 400 francs (2). Avec ces prix, on n'avait aucun intérêt à consommer du cheval. Aujourd'hui les conditions sont bien différentes. La valeur commerciale des chevaux a incomparablement moins augmenté que celle des bêtes de boucherie une paire de bœufs limousins se vend 800, 900 francs, et souvent plus.

Du reste, s'il y a eu préjugé contre l'usage de la viande de cheval, il faut espérer qu'il n'existe plus. Les Danois sont redevenus hippophages depuis le siége que la ville de Copenhague a eu à soutenir au commencement du siècle. La guerre aura sans doute pour les Français la même influence salutaire. Beaucoup de personnes qui en consomment pendant le siége y renonceront probablement quand elles auront de la viande de boeuf et de mouton, quand la volaille et le gibier nous arriveront comme à l'ordinaire; mais il restera cette conviction générale, que le cheval peut fournir à la consommation de l'homme une viande supérieure à celle d'un grand nombre d'animaux ruminans débités aujourd'hui dans les boucheries. On n'abattra pas les chevaux jeunes et vigoureux, mais ceux auxquels surviennent des accidens. Aujourd'hui ils ne sont pas perdus pour le consommateur seulement dans es villes, où on utilise leurs débris pour l'industrie; ils le sont aussi à peu près

(1) Du Passé et de l'avenir des haras, p. 34.

(2) De la Cavalerie, t. II, p. 99.

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complétement dans les campagnes, où l'on consomme cependant de mauvaises vaches qui meurent d'indigestion ou qui se cassent un membre. On doit même supposer qu'un jour viendra où on livrera à la boucherie beaucoup de chevaux encore en état de travailler, mais qui, en raison de leur âge, de la perte de la vue, d'une maladie des pieds ou d'une tare des membres, ne rendent que de médiocres services. Ces changemens dans les habitudes pourront même, nous le verrons, exercer une heureuse influence sur notre agriculture.

Au point où en est l'hippophagie au mois de janvier 1871, il n'est plus nécessaire de chercher à prouver que la viande des diverses espèces du genre cheval est nutritive, qu'elle contribue à maintenir les forces de l'homme, à rétablir la santé des malades; il n'est plus nécessaire de citer les autorités, de rappeler les preuves qu'en ont données les auteurs. Si on n'est pas unanime sur le goût, la saveur de cette viande, les divergences s'expliquent par l'état des animaux abattus dans les boucheries, et à cet égard nous ferons remarquer qu'on ne pouvait pas juger de ce que peut être la viande d'un cheval en bon état d'après ce qu'était celle débitée dans les boucheries plus ou moins interlopes qui s'étaient ouvertes depuis une dizaine d'années.

On ne doit pas oublier de signaler un avantage que présente le cheval comme animal de consommation dans les circonstances semblables à celles que nous traversons. C'est une ressource bien précieuse pour les villes assiégées; il s'y trouve dans les conditions. hygiéniques auxquelles il est habitué, et qui sont généralement favorables à sa conservation. Il n'en est pas de même des bêtes bovines et des bêtes à laine qu'on y introduit comme approvisionnement. Il est difficile de les conserver en bon état; on n'a pas des emplacemens convenables pour les loger, et on manque le plus souvent de fourrage pour les entretenir; elles se nourrissent de leur propre substance et maigrissent. La viande qu'on avait introduite diminue en quantité et perd en qualité, même en supposant que les animaux ne deviennent pas malades. Les chevaux au contraire sont entretenus dans leur état ordinaire sans aucun frais particulier jusqu'au moment où on les sacrifie. Le propriétaire qui les possède a ordinairement fait provision de fourrage pour les nourrir. A mesure que les provisions de fourrages s'épuisent, l'activité industrielle diminue, nous en avons un triste exemple dans ce moment, le travail se ralentit. On les abat progressivement à l'avantage de ceux qui les possèdent, qui souvent ne peuvent plus les conserver, et des assiégés qui s'en nourrissent. La qualité de la viande des chevaux livrés à la boucherie, loin de diminuer, aug

mente; ce sont d'abord les plus mauvais chevaux qu'on sacrifie, ensuite ceux qu'on tenait le plus à conserver, et qui sont les meilleurs pour la consommation comme ils étaient les meilleurs pour le travail.

III.

Peu de questions agronomiques ont été plus controversées que celle de la comparaison du cheval et du bœuf au point de vue de leur utilisation en agriculture, de leurs avantages et de leurs inconvéniens. L'un et l'autre ont eu leurs partisans; des agronomes également compétens, des praticiens expérimentés, des économistes judicieux, soutiennent, les uns qu'il n'y a pas d'agriculture lucrative sans le cheval, les autres que le bœuf seul est capable d'exécuter économiquement les travaux des fermes. On a reproché au cheval d'exiger des alimens chers, des harnais compliqués, d'un entretien dispendieux, qui nécessitent l'emploi d'ouvriers étrangers à la ferme; on lui reproche surtout de ne donner que son travail, d'avoir une grande valeur commerciale et de stériliser en quelque sorte un capital considérable, enfin d'être sans valeur après sa mort. On ajoute que, si pendant la vie il lui arrive un accident, s'il se casse une jambe ou s'il perd la vue, ce qui est assez fréquent dans quelques provinces, il est complétement perdu pour le propriétaire. Au lieu d'augmenter de valeur en travaillant et à mesure qu'il vieillit, il en perd. Il faut qu'il gagne par son travail seul pour payer sa nourriture, le maréchal, le bourrelier, et pour amortir le capital qu'il représente. A ces différens points de vue, les animaux de l'espèce bovine lui sont supérieurs. Le principal avantage qu'il présente, c'est qu'il a des allures rapides, et qu'il peut faire dans un temps donné plus de travail qu'un boeuf de même force.

Cette comparaison explique pourquoi on considère l'espèce bovine comme supérieure à l'espèce chevaline pour les contrées montagneuses et pour les exploitations rurales pauvres en fourrages. Pour la petite culture, la vache est même préférable au bœuf. Quand il n'y a pas de travaux à exécuter, elle paie son entretien par son veau ou par son lait; il n'y a jamais une ration perdue. Si elle ne rend pas des services, elle crée des produits utiles. C'est par excellence un animal à la fois auxiliaire et alimentaire. Le bœuf luimême ne lui est pas comparable. Dans beaucoup de fermes, il n'est qu'auxiliaire; c'est le serviteur sobre et robuste du laboureur, tandis que dans d'autres son rôle se réduit à transformer en viande des végétaux, ici l'herbe des pâturages, ailleurs les produits récoltés.

Les mêmes individus remplissent quelquefois successivement les deux destinations; après avoir travaillé jusqu'à l'âge de dix ou douze ans, quelquefois plus, dans les contrées où ils sont exclusivement auxiliaires, ils sont achetés, ou par des industriels qui les engraissent avec leurs résidus, ou par des herbagers qui leur font consommer leurs pâturages. Les progrès agricoles ne sont pas nuisibles à cette division de l'industrie rurale, ils la rendent au contraire plus active. Bien que les boeufs traînent la charrue jusqu'à l'âge de dix ou douze ans, nous devons ajouter que les fermes où on les conserve si longtemps deviennent de plus en plus rares; depuis une vingtaine d'années, on ne voit guère, sur nos marchés de bestiaux gras, des bœufs âgés de plus de six ou sept ans; ils ont cependant ppartenu au moins à deux propriétaires, et souvent à trois. Un les a fait naître et les a élevés en partie, un autre les a fait travailler, un troisième les a engraissés. Les habitans des contrées montagneuses de l'Auvergne, du Velay, de l'Ariége, de la Comté, s'occupent principalement de la multiplication; les cultivateurs des collines du Poitou, des plaines du Bas-Languedoc, des coteaux du Morvan, emploient les bœufs surtout au labourage des terres, et les herbagers de la Normandie, du Charolais, de la Flandre, les engraissent. Le seul changement que les progrès de l'art agricole apportent dans cette industrie, c'est que des pays qui anciennement s'occupaient exclusivement de la production des bêtes bovines et de leur utilisation à la charrue en engraissent de nos jours. Par l'introduction des instrumens aratoires perfectionnés, par la pratique des labours profonds, par l'emploi des amendemens, de la chaux notamment, ils ont transformé des terres médiocres et même de mauvaises terres en bons fonds. On n'y cultivait anciennement que le seigle, l'avoine et la pomme de terre; aujourd'hui elles produisent d'excellent froment, de la luzerne, du trèfle et des racines propres à alimenter des usines ou à engraisser les bestiaux. Aux changemens avantageux qui résultent de l'amélioration des terres, il faut ajouter le bon entretien des chemins ruraux, l'ouverture des canaux, l'établissement de sucreries, de distilleries, de féculeries, etc. Des contrées où la culture était difficile tirent du perfectionnement de la viabilité des avantages qu'il est plus facile de concevoir que d'évaluer. Pour les régions qui sont éloignées des grands centres de consommation, de notables progrès sont dus surtout à l'établissement des chemins de fer. Les distances pour elles ont presque disparu. Des bœufs qui, il y a cinquante ans, ne seraient arrivés à Paris des herbages où ils étaient engraissés qu'après six ou huit journées de fatigues y viennent aujourd'hui en trente ou quarante heures. Les améliorations profitent donc surtout aux con

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trées les moins favorisées de la nature. L'homme par son travail se donne les avantages que la composition de ses terres, la position des lieux qu'il habite, ne lui procurent pas; mais ces changemens ont placé dans des conditions difficiles les cultivateurs des pays qui s'occupent beaucoup de l'engraissement. Ces cultivateurs trouvent des imitateurs redoutables dans ceux de leurs confrères qui antérieurement leur vendaient les bestiaux maigres, qui ont cessé de leur en fournir ou les font payer plus cher, et qui deviennent leurs concurrens sur les marchés de bestiaux gras.

Ce changement peut avoir de graves conséquences pour quelques provinces; il y a déjà longtemps que nous les avons signalées pour les riches vallées de la Normandie. On peut dire que quelques pays sont les enfans gâtés de la nature. Sol d'une excessive fertilité, climat favorable aux récoltes, voisinage des grands centres de consommation, mers ou cours d'eau pour le transport des denrées, tout a été disposé par les forces naturelles pour faciliter la production et la vente de leurs produits. Les cultivateurs de ces contrées ont peu cherché à faire des améliorations; cela du reste leur aurait été difficile, mais ce n'est pas une raison pour qu'ils restent stationnaires. Si l'usage de la viande de cheval prend le développement qu'il n'est pas déraisonnable d'espérer, cela leur procurera des ressources qu'on ne pouvait pas prévoir. La consommation de cette viande peut leur être utile en activant la production des chevaux et peut-être en créant une industrie nouvelle, la préparation de ces animaux pour la boucherie.

Sous ce rapport, la question de l'hippophagie offre un grand intérêt. Si le cheval entre dans la catégorie des animaux alimentaires, il en résultera de sérieuses modifications économiques dans les exploitations rurales et dans beaucoup d'établissemens industriels. Après le travail de l'automne pour les premières, à l'approche des mortes saisons pour les seconds, on vendra pour la boucherie les attelages dont on n'aura pas un emploi fructueux. Plus de chômage pour les animaux, plus de rations perdues. Dans l'industrie, on a intérêt à bien nourrir pour obtenir beaucoup de travail. Les chevaux sont donc le plus souvent en état de paraître avec avantage à l'étal du boucher. S'ils laissent à désirer, on leur fera subir une préparation convenable avant de les abattre. Un séjour, même de courte durée, dans une bonne étable, sur une épaisse litière, une nourriture appropriée, produiraient en peu de temps d'excellens effets sur la quantité et les qualités de la viande. Nous avons vu que, par suite des progrès de l'agriculture, les engraisseurs manquent de la matière sur laquelle ils exercent leur industrie, et qu'ils seront bientôt obligés de produire eux-mêmes des

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