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nous habitons. Il a même été assez difficile d'en faire perdre l'habitude dans les régions septentrionales. Pelloutier donne sur ces questions des détails fort intéressans. Les Celtes avaient des troupeaux de toute sorte de bétail; mais les Sarmates ne nourrissaient que des chevaux, ils en tiraient la plus grande partie de leur subsistance. La chair de cheval, le lait et le fromage de cavale, étaient leurs alimens les plus ordinaires. L'usage de faire rôtir ou bouillir la chair leur était inconnu. Les uns la mangeaient crue, les autres se contentaient de la mortifier en la laissant pendant quelques heures sous leurs cuisses, sur le dos des chevaux qu'ils montaient. Étaientils pressés par la faim, ils avaient toujours une ressource prête pour l'apaiser; ils ouvraient la veine du cheval sur lequel ils étaient montés, et buvaient le sang qu'ils en avaient tiré. Le lait et le sang de cavale, mêlés ensemble, étaient même pour ce peuple le plus délicieux de tous les mets. « Cette remarque fournit un caractère auquel on peut reconnaître et distinguer assez sûrement les deux nations. qui occupaient autrefois toute l'Europe, les Celtes et les Sarmates. Les peuples qui mangeaient la chair de cheval, qui se nourrissaient de lait et de sang de cavale, étaient sarmates; mais plusieurs des peuples celtes, qui étaient autrefois voisins des Sarmates, avaient adopté en tout ou en partie la manière de vivre de ces derniers. Saint Jérôme remarque par exemple que non-seulement les Sarmates, mais aussi les Quades et les Vandales, qui étaient des peuples germains, faisaient beaucoup de cas de la chair de cheval (1). » Nous n'avons donc rien inventé quand, dans notre détresse, nous avons cherché à faire entrer dans notre consommation toutes les parties du cheval.

L'hippophagie est très inégalement répandue parmi les différens peuples de la terre; on la trouve surtout en faveur dans les contrées froides des deux hémisphères. Cela s'explique aisément. Le cheval est cosmopolite et supporte de basses températures; il est d'un entretien facile quand il ne travaille pas ou quand il travaille peu. Avec ces qualités, il est par excellence l'animal des contrées froides des deux continens, et il faut ajouter que les peuples de ces contrées sont plus carnivores que ceux des contrées tempérées, surtout que ceux des régions équatoriales. Les Patagons, et même les Européens qui vivent longtemps parmi eux, mangent des quantités de viande de cheval dont nous ne pouvons pas, nous habitans des régions tempérées, nous faire une idée.

Dans nos contrées, on a toujours consommé, mais de notre temps

(1) Histoire des Celtes et particulièrement des Gaulois et des Germains depuis le temps fabuleux.

d'une façon clandestine, beaucoup de viande de cheval. Déjà au siècle dernier, Géraud, qui s'était beaucoup occupé des questions d'hygiène publique, constatait qu'il entrait furtivement dans Paris une quantité considérable de chair de cheval et d'âne, qui était vendue comme viande de bœuf, de veau, etc. Au commencement de ce siècle, des commissaires de police ont saisi jusqu'à 400 kilogrammes de cette viande dans les restaurans des quartiers pauvres de la capitale (1). Les hommes qui ont le plus étudié cette question, qui ont eu occasion de faire des observations nombreuses, ont tous constaté que l'usage de la viande de cheval n'a jamais produit de maladies, ni même aucune indisposition. Il pouvait être utile de noter ce fait à une époque où l'on poursuivait ceux qui débitaient la viande de cheval.

Pendant plus d'un quart de siècle, M. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, secondé par la Société protectrice des animaux et par la Société d'acclimatation, dont il a été le président jusqu'à sa mort, a fait les plus généreux efforts pour populariser la viande de cheval. Des sociétés fondées dans tous les états ont coopéré au même but. Elles se proposaient les unes et les autres de diminuer les souffrances qu'on fait endurer aux chevaux quand ils ne peuvent plus rendre de services nourriture insuffisante, excès de travail, brutalité des conducteurs, mauvais traitemens, enfin mort souvent cruelle dans les clos d'équarrissage. Elles voulaient aussi améliorer les conditions hygiéniques des classes ouvrières et des habitans des campagnes par l'introduction dans leur alimentation de l'immense quantité de viande que pourraient fournir les diverses espèces du genre cheval. Leurs efforts ont été loin de produire les résultats qu'elles en attendaient. Elles étaient parvenues cependant à obtenir l'ouverture de boucheries de cheval dans quelques villes de la Suisse, de l'Allemagne, du Hanovre, etc., à faire augmenter le chiffre de celles qui existaient dans le Danemark depuis un demi-siècle. Paris en comptait un assez grand nombre dans les quartiers habités principalement par la classe ouvrière. La première fut ouverte au boulevard d'Italie le 6 juillet 1866. Un encouragement de 500 francs fut offert par notre confrère, M. Decroix, au fondateur de cet établissement. Des banquets hippophagiques, des repas de viande de cheval, eurent lieu dans des établissemens publics et chez des particuliers. Un de ces banquets, tenu au Grand-Hôtel le 6 février 1865, eut un assez grand et utile retentissement. Le comité d'organisation avait fait abattre, pour ce repas, un cheval de onze ans, un de dix

(1) Recherches et considérations sur l'emploi des chevaux morts, par Parent-Duchatelet, p. 19.

huit ans, et un troisième de vingt-trois ans. Ces animaux étaient usés et si maigres, nous apprend M. Bourguin, que le maître d'hôtel n'avait pu en recueillir assez de graisse pour la préparation d'un piat de légumes destiné aux convives. Les plats avaient été accommodés de la manière la plus simple, afin de ne masquer ni la saveur ni l'odeur de la viande. Les organisateurs de ce banquet un peu aristocratique, ne voulant pas qu'on pût leur reprocher de conseiller la viande de cheval pour les classes pauvres, prêchèrent d'exemple; mais quelque temps après, le 30 septembre 1866, un second banquet hippophagique, celui-ci populaire, eut lieu chez un restaurateur de la chaussée Ménilmontant.

II.

Malgré tous ces efforts, on était arrivé jusqu'au mois de septembre 1870, c'est-à-dire jusqu'à la veille du siége de Paris, sans pouvoir dire que la viande de cheval fût acceptée par la population comme denrée alimentaire. M. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire termine une de ses lettres sur les subsistances avec un accent de tristesse que comprennent ceux qui savent tout ce que fit ce savant, homme de bien, pour améliorer la nourriture des classes laborieuses. « On avait vu, écrivait-il, dans l'emploi alimentaire de la viande de cheval un fait exceptionnel et anormal propre à un petit nombre de peuples. N'ai-je pas le droit de dire qu'il faut aujourd'hui renverser les termes de cette proposition? L'exception, c'est tout au contraire ce qui a lieu parmi nous; c'est le délaissement, l'abandon à des usages secondaires d'une chair que tous ceux qui en ont essayé déclarent saine et de bon goût. L'anomalie, c'est la condition, à ce point de vue, des nations les plus civilisées de l'Europe centrale et occidentale. Impuissantes avec toute leur science et toute leur industrie à produire la viande nécessaire à leur alimentation, elles sacrifient celle qu'elles ont toute produite et en abondance sous la main à une vieille croyance, à un déplorable préjugé qu'on ne trouve que chez elles (1). »

Vieille croyance ou déplorable préjugé! Recherchons quelle part peut être attribuée à ces deux causes dans la perte que fait éprouver à la société l'emploi des chevaux morts à des usages secondaires, nous verrons ensuite s'il n'en existe pas d'autres. Les interdictions lancées par les papes Grégoire III et Zacharie Ier ont eu de l'influence sur les habitudes des peuples nouvellement convertis au christianisme.

(1) Lettres sur les substances alimentaires, p. 110.

TOME XCI.

1871.

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Les Celtes et les peuples septentrionaux, dit Keysler dans ses Antiquités septentrionales et celtiques, composaient avec la chair des chevaux sacrifiés aux dieux le mets principal du repas solennel qui suivait le sacrifice. L'anathème lancé contre des actes que le christianisme réprouvait s'est étendu à tout ce qui s'y rapporte. Le pape Grégoire III, écrivant à l'apôtre saint Boniface, lui disait: «Quelques habitans mangent du cheval sauvage, et la plupart du cheval domestique. Faites perdre cette abominable coutume par tous les moyens qui sont en votre pouvoir, quoi qu'il en puisse advenir. Imposez à ces mangeurs de cheval une juste pénitence. Ils sont immondes, et leur action est exécrable. » Keysler s'étonne que nous ne comptions pas la chair du cheval, de cet animal si beau et si net, parmi nos viandes les plus recherchées. D'après l'avis des personnes qui en avaient mangé, il soutenait qu'elle n'est ni fade. ni coriace, et il laisse comprendre qu'il en aurait fait assez volontiers sa nourriture. Les peuples septentrionaux trouvaient qu'en effet c'était un bon aliment, et, malgré la défense si formelle du pape Grégoire, ils continuèrent d'en manger, ce qui provoqua de la part de Zacharie Ier une lettre par laquelle il défendait de manger du cheval, du lièvre et du castor. Nos ancêtres, ajoute l'archéologue bavarois, ont continué à se priver, à leur grand préjudice (magno rei familiaris detrimento), de la chair de cheval; mais la défense relative à la chair du lièvre, intéressant moins la religion, est tombée en désuétude.

On avait donc cru que, pour faire renoncer les populations aux pratiques religieuses antérieures au christianisme, on devait leur interdire l'usage des festins qui constituaient en partie ces pratiques. Sans insister sur ce sujet, on peut dire que, si la prohibition religieuse a eu de l'influence dans le vie et le IXe siècle, elle n'en a plus exercé postérieurement, et que depuis longtemps elle est complétement oubliée. D'un autre côté, il est rare qu'un préjugé persiste longtemps quand il est contraire à l'intérêt de la population. Aussi voyons-nous depuis trois mois ce que valait le préjugé qui a toujours été donné comme s'opposant à la consommation de la viande de cheval. Ce n'est pas évidemment là ce qui pendant des siècles a fait oublier aux populations les plus éclairées du monde que les chevaux, les ânes et les mulets pouvaient leur offrir une grande ressource contre la misère, contre les disettes qu'elles ont eu si souvent à supporter! C'est donc ailleurs qu'il faut chercher la cause réelle de l'abandon de l'hippophagie chez les peuples de l'Occident européen. L'obstacle principal provenait des conditions économiques de la production des animaux, du prix élevé auquel revient la viande de cheval, de l'intérêt que nous avons eu jusqu'ici à l'utiliser en

travail, en force motrice. Le cheval est d'un élevage dispendieux. Pour acquérir toutes ses qualités, la conformation qu'on recherche en lui, il a besoin de recevoir des alimens d'un prix élevé que les fermiers peuvent vendre sur tous les marchés. A cet égard, il diffère beaucoup des animaux domestiques qui jusqu'à ce jour ont servi d'une manière exclusive à notre subsistance. Les ruminans, les porcs surtout, consomment des matières qu'il serait difficile de vendre en nature. Ils les transforment en viande au grand avantage des éleveurs. Avec les conditions économiques qui ont existé pendant des siècles, en tenant compte des prix des denrées qui servent à la nourriture de l'homme et des animaux domestiques, on ne pouvait livrer à la boucherie que les vieux chevaux complétement usés et ceux auxquels il arrive un accident qui ne permet plus de les faire travailler, mais ne rend pas leur viande malsaine. Dans ces circonstances, on n'a pas reconnu la nécessité de changer d'anciennes habitudes, d'établir des échaudoirs pour abattre les animaux, et de laisser ouvrir des établissemens particuliers pour la vente de la viande de cheval. A ces raisons, il faut ajouter que les chevaux, les ânes et les mulets sont exposés à de graves maladies qui peuvent se communiquer à l'homme. Ce n'est sans doute pas une raison d'exclure la viande de cheval de nos tables; mais c'est une raison pour ne pas en laisser le commerce complétement libre. Ces divers motifs expliquent le refus que l'administration a fait pendant plusieurs années aux demandes qui lui étaient adressées afin d'obtenir l'autorisation d'abattre des chevaux, et d'en vendre la viande pour la consommation. Ces refus étaient généralement approuvés. Il faut noter que, dans les villes surtout, les débris des chevaux morts étaient utilisés par l'industrie, que toutes les parties qui servent à notre nourriture pouvaient être employées à l'entretien et à l'engraissement d'autres animaux, du porc notamment; ce précieux omnivore, grand consommateur de viande de cheval, en tire un excellent parti. Il consomme non-seulement la chair musculaire, mais encore le sang, les boyaux, les intestins, etc.

De nos jours, les conditions économiques, les conditions générales du marché des animaux domestiques changent. Depuis un demi-siècle, la consommation de la viande stimule à un haut degré la production. On abat régulièrement toutes les semaines des vaches, des moutons et des veaux, souvent des bœufs, dans beaucoup de campagnes où l'usage de la viande de boucherie était autrefois extrêmement rare. Par suite des nouvelles habitudes, favorisées par l'accroissement du bien-être général, le prix de la viande a augmenté avec une grande rapidité. A chaque augmentation, on a dit: C'est l'effet de la sécheresse ou de la pluie; c'est une

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