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que tous les clubistes fussent arrêtés et livrés entre leurs mains. Les alliés n'épousèrent aucune de ces querelles intérieures; on dut à l'intervention de Merlin de Thionville l'extrême modération dont ils firent preuve en cette circonstance, les proclamations conciliantes qu'ils affichèrent sur les murs de la place pour recommander aux habitans la concorde, et la liberté qu'ils laissèrent à chaque citoyen de quitter la ville à son gré.

Pendant les deux jours que dura le défilé des troupes françaises au milieu d'une foule irritée et menaçante, leur mâle contenance tint en respect les émigrés et protégea toutes les personnes qu'elles emmenaient avec elles, y compris les clubistes les plus connus. Le témoignage si impartial de Goethe ne laisse aucun doute sur la belle tenue de nos soldats et sur l'impression que produisit leur attitude... « Nous vîmes, dit-il, s'avancer de l'infanterie; c'étaient des troupes de ligne, des hommes alertes et bien faits. Des jeunes filles de Mayence les accompagnaient, les unes dans les rangs, les autres hors des rangs. Les unes et les autres étaient saluées par leurs connaissances, qui leur adressaient des signes de tête et des railleries. Hé, Lisette, veux-tu aussi courir le monde? - Tes souliers sont encore neufs; ils s'useront bientôt. As-tu donc aussi appris le français depuis qu'on ne t'a vue? Bon voyage! Et voilà comme elles passaient par les verges. Elles semblaient toutes joyeuses et confiantes; quelques-unes disaient adieu à leurs voisines; la plupart se taisaient et regardaient leurs amans. Cependant la foule était très émue; on proférait des insultes accompagnées de menaces. Les femmes reprochaient aux hommes de laisser partir ces créatures qui emportaient sans doute dans leurs nippes le bien de quelque honnête bourgeois de Mayence. La démarche sévère des soldats, les officiers qui bordaient les rangs pour maintenir l'ordre, empêchaient seuls une explosion. L'agitation était effrayante. »

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Mais le moment le plus imposant fut celui où notre cavalerie, précédant le départ des commissaires français, défila musique en tête, en aussi bon ordre et aussi fièrement que sur un champ de manœuvres. « Nous vîmes, dit Goethe, arriver le cortége dans toute sa solennité. Des cavaliers prussiens ouvraient la marche; la gar nison française venait ensuite. Elle s'annonçait de la manière la plus étrange; une colonne de Marseillais, petits, noirs, aux vêtemens bariolés et en guenilles, s'avançait à petits pas, comme si le roi Edwin avait ouvert sa montagne et lâché sa joyeuse armée de nains. Suivaient des troupes régulières, sérieuses et sombres, mais non abattues ni humiliées. Ce qui fit le plus de sensation, ce fut l'arrivée des chasseurs à cheval. Ils s'étaient avancés jusqu'à nous en silence; tout à coup leur musique fit entendre la Marseillaise. Ce Te deum révolutionnaire a quelque chose de triste et de mena

çant, même lorsqu'il est vivement exécuté; cette fois les musiciens le jouaient très lentement, en réglant la mesure sur la lenteur de la marche. C'était saisissant et terrible; c'était aussi un spectacle imposant que celui de ces cavaliers de haute taille, maigres et d'un certain âge, dont l'aspect s'accordait avec ces accens. Isolément, ils tenaient du don Quichotte; en masse, ils étaient très respectables. » Voilà les adieux que nos soldats de 1793 faisaient à l'Allemagne en attendant qu'elle les vît revenir en vainqueurs. Les mêmes hommes qui avaient lâché pied le 11 avril, au commencement du siége, mais qu'avaient transformés trois mois et demi de combats sous des chefs intrépides, étonnaient maintenant leurs adversaires par la fermeté de leur contenance. Il y a loin de cette fière attitude au triste défilé des troupes françaises après les capitulations de Sedan et de Metz, au spectacle de la garde impériale tout entière, déposant ses armes, en ordre de bataille, aux pieds de nos ennemis, pour suivre ensuite le chemin de l'étranger sous la conduite des caporaux prussiens, au sort lamentable de tant de braves gens qu'on a vus, du 2 au 4 septembre, grelottans de froid et de misère, mourant de faim, parqués comme des troupeaux dans des plaines sans abri ou poussés sur les routes à coups de crosse de fusil par des conscrits imberbes, pendant que celui qui avait causé tous leurs maux s'épargnait le souci de les partager avec eux. Ni Merlin de Thionville ni Kléber n'auraient consenti à faire passer leurs soldats sous les fourches caudines dont les généraux du second empire ont subi l'humiliation. Si on leur avait proposé de capituler à un tel prix, leur seule réponse eût été de saisir leurs armes et de se frayer un passage sous la mitraille, à travers mille morts, comme le fit Kléber en Égypte, quand il rompit la convention d'El-Arich, au risque d'être écrasé par 80,000 hommes, plutôt que de désarmer ses héroïques bataillons. Ceux qui nous commandent aujourd'hui n'auront point d'autres sentimens que les généraux de la première république. Les hontes de l'année 1870 ne se reverront plus dans notre histoire. Nos armées, instruites par l'expérience, ne se réduiront plus au rôle de garnisons; elles ne s'exposeront plus, en s'enfermant derrière des remparts, à capituler encore une fois. Elles savent ce que le pays leur demande, ce qu'il leur faut de courage pour réparer nos désastres et relever notre honneur militaire; elles n'attendront pas que l'ennemi les accule à la nécessité de mourir de faim ou de se rendre. Quels que soient les périls de l'entreprise, elles franchiront les lignes qui nous enveloppent; inutiles au dedans, elles iront au dehors continuer avec nos infatigables défenseurs de la province les combats d'où doit sortir la délivrance.

A. MÉZIÈRES.

L'HIPPOPHAGIE

ET L'AGRICULTURE

Il n'y a pas pour la production des denrées agricoles de principes généraux, de règles absolues. Pour être rationnelle, avantageuse, la pratique des opérations rurales doit être subordonnée à des conditions de localité, de climat, de sol et de temps. Telle culture qui est lucrative à une époque ne l'est plus à une autre, et comme le plus souvent la production entraîne la consommation, il en résulte qu'une denrée, après avoir été tenue pendant longtemps en dehors de la consommation, peut y être introduite quand certaines circonstances économiques et commerciales viennent à changer.

Il se produit par suite de l'état de siége un fait qui aura de l'influence sur le progrès de l'agriculture; nous voulons parler de la consommation de la viande de cheval, d'âne et de mulet. Jusqu'à ce jour, on ne s'est occupé de cette question que pour savoir si la viande de cheval est salubre, si elle a bon goût, si on peut la faire entrer dans la consommation sans inconvéniens. Dernièrement cependant nous avons demandé devant la Société centrale d'agriculture si l'hippophagie n'amènerait pas d'heureux changemens dans l'exploitation de nos fermes, et surtout n'activerait pas la production chevaline. Ceci nous paraît mériter d'être étudié; mais d'abord est-il permis d'espérer que nous resterons hippophages après la guerre?

I.

La consommation de la viande de cheval date des temps les plus reculés, et il faut ajouter qu'elle est universelle. Les pays où cette viande n'est employée qu'à des usages industriels ou à faire

des engrais sont, il est vrai, les plus avancés par leur civilisation, mais les moins étendus. Dès la plus haute antiquité, les peuples de l'Asie consommaient la viande du cheval et de l'âne. « De tous les jours de l'année, nous apprend Athénée, les Perses honorent particulièrement celui de leur naissance; c'est pourquoi il est d'usage chez eux de servir ce jour-là plus de mets que les autres jours. On sert même alors sur la table des riches un bœuf, un âne, un cheval, un chameau, et tout entiers, rôtis à la cheminée. Quant aux pauvres, ils n'ont à manger que du petit bétail, des moutons, des chèvres et peu de mets (1). »

Après avoir décrit les conditions de fertilité de la Chine et avoir indiqué les animaux qui contribuent à la nourriture des Chinois, le porc notamment, dont ils font une grande consommation, le père Duhalde nous apprend que la chair des jumens sauvages est très estimée (2). Xénophon dit qu'il y avait dans les déserts de la Mésopotamie des ânes qu'on ne pouvait suivre à la course, et qui avaient une chair semblable à celle du cerf, mais plus délicate. D'après des voyageurs modernes, la chasse aux ânes sauvages est encore fort pratiquée en Orient. Le roi de Perse prend plaisir à poursuivre ceux qui vivent dans les déserts des environs de Téhéran, où poussent des plantes salées, et il se livre avec ardeur à cette chasse. Les grands, dans cette partie de l'Asie, s'adressent des quartiers de ce gibier comme on s'adresse en Europe des quartiers de chevreuil.

On trouve en Afrique plusieurs espèces du genre cheval: le zèbre, le daw, le couagga, dont les habitans se nourrissent. Le père Marmol donne à ce sujet des détails qui ont été confirmés par les auteurs les plus récens. « Les chevaux sauvages, dit-il, sont fort rares, et vivent dans les déserts d'Arabie et de Libye. Les Arabes les prennent pour des bêtes farouches et les mangent, et l'on assure que c'est une viande fort délicate quand ils sont jeunes...; on leur dresse des piéges aux lieux où ils viennent boire, et on les prend ainsi. L'âne sauvage est gris; il y en a quantité dans les déserts de Numidie et de Libye et aux pays circonvoisins. Ils vont si vite qu'il n'y a que les barbares qui les puissent atteindre à la course. Dès qu'ils voient un homme, ils s'arrêtent après avoir jeté un cri, font une ruade, et, lorsqu'il est proche, ils commencent à courir : ils vont par troupes en pâture et à l'abreuvoir. La chair en est fort bonne, mais il faut la laisser refroidir deux jours lorsqu'elle est cuite, parce que autrement elle sent trop la venaison (3). » D'après ce

(1) Athénée, Banquet des savans, t. II, liv. IV.

(2) Histoire générale des voyages, liv. II.

(3) L'Afrique de Marmol; trad. de Nicolas Perrot, sieur d'Ablancourt, 16€5.

que nous ont appris les auteurs romains, l'Afrique se vantait de ses jeunes onagres, qu'elle nommait lalisions; elle les considérait comme bien supérieurs par le goût aux ânons domestiques.

De toutes les parties du monde, c'est peut-être l'Amérique qui fait la plus grande consommation de viande de cheval. Les chevaux, qui se sont multipliés d'une manière si extraordinaire dans les pampas, servent à la nourriture des indigènes. On cite les Indiens au teint clair du Brésil, ceux du Chili, les Patagons, les Puèches, comme ayant pour cette viande une grande prédilection; ils la préfèrent à toute autre nourriture. Les détails intéressans que nous a donnés sur ce sujet Azara dans son Histoire du Paraguay sont confirmés par les narrations des voyageurs contemporains. On trouve encore des chevaux vivant en liberté dans quelques îles de l'Amérique. Aux îles Malouines, ils sont chassés pour leur chair, nonseulement par les naturels, dont elle est un des alimens habituels et préférés, mais souvent par les navigateurs, heureux de s'en nourrir dans leurs relâches. Elle a été surtout d'une grande ressource en 1820 pour les officiers et l'équipage de l'Uranie, obligés, par le naufrage de ce bâtiment, de séjourner plusieurs mois aux Malouines durant l'expédition autour du monde commandée par M. de Freycinet. D'après une note remise à M. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, par M. Guinard, les chevaux sauvages des Malouines sont très bons, mais les poulains sont meilleurs que les adultes. « Beaucoup d'entre nous, dit ce voyageur, les préféraient aux oies du pays (1). »

Dans l'Australie, on ne se borne pas à consommer la viande de cheval, on prépare les animaux en vue de cette destination. Les Australiens, écrit Marsden, estiment la chair de leurs chevaux comme le mets le plus délicieux; ils les nourrissent avec soin, leur donnent des grains et les tiennent toujours proprement.

les

Du temps des Romains, l'usage de la viande des solipèdes s'était introduit de l'Afrique en Europe. Pline nous apprend que Mécène établit l'usage de manger les ânons, qui, à son époque, étaient préférés aux onagres. Après sa mort, ce mets perdit faveur, et il céda la place aux onagres de lait. Avant Mécène, on ne mangeait que ânes adultes; il établit l'usage de manger les ânons domestiques, et on renchérit sur lui en abandonnant l'ânon pour l'onagre de lait. On sait que de nos jours la chair de l'âne entre dans la confection des saucissons les plus renommés que l'on fabrique en Italie.

Nous pouvons invoquer des faits plus concluans en faveur de la consommation de la viande de cheval dans la partie du monde que

(1) Lettres sur les substances alimentaires et particulièrement sur la viande de cheval, par M. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, p. 97.

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