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LES BUDGETS

DU SECOND EMPIRE

ET LE RÉGIME FINANCIER EN FRANCE

La France a reçu de l'empire un lourd héritage; victorieuse ou vaincue, elle ne peut échapper à la terrible liquidation des charges que ses fautes lui ont léguées. Aux ruines qu'elle a subies, aux sacrifices qu'elle a faits, il lui faudra encore ajouter de nouveaux sacrifices pour payer les frais d'une lutte dont on n'entrevoit pas le terme, et pour effacer du sol jusqu'aux dernières traces de l'étranger. Au moment où l'accomplissement de cette tâche va soumettre les finances publiques à un formidable effort, où l'habileté des hommes d'état, aux prises avec une des situations les plus difficiles, devra réunir des ressources immenses pour subvenir à tous les besoins, où enfin doit commencer pour de longues années le régime de l'ordre le plus rigoureux et de l'économie la plus sévère, il semble intéressant d'examiner quelle a été l'administration des finances pendant le règne qui vient de finir, et quel a été le caractère général de cette administration. Comment a-t-elle employé les richesses du pays? par quels moyens a-t-elle obtenu les sommes considérables jetées dans des entreprises dispendieuses? quelle marche ont suivie les recettes et les dépenses, et quels sont les résultats définitifs de cette gestion de dix-huit années? Dans quelle proportion la dette publique et les engagemens du trésor se sontils accrus? Enfin quelle a été la part laissée au pays dans la disposition des deniers publics, et quelles garanties en ont entouré le maniement? L'examen de ces questions pourra donner une idée générale de l'administration des finances sous le dernier empire, et

permettra de reconnaître ce qu'elle a fait de bien et de mal, ce qu'il faut proscrire et ce qu'on doit conserver. On verra surtout ce qu'a coûté le régime déchu; on se convaincra une fois de plus des périls qui attendent une nation lorsqu'elle se désintéresse des affaires publiques, et qu'elle abandonne à un maître le soin de les conduire.

I.

On doit distinguer dans l'administration des finances deux parties parfaitement distinctes, et qu'on est cependant disposé à confondre la direction et l'organisation elle-même. La direction est le fait de l'homme, du ministre, des pouvoirs politiques; elle se relie étroitement à la marche du gouvernement, elle fournit, pour ainsi dire, les matériaux que la machine financière doit employer. L'organisation est le mécanisme qui exécute, qui transforme suivant l'impulsion qui lui est donnée. La direction est responsable de la forme ou de l'exagération des impôts, du chiffre et de l'utilité des dépenses; l'organisation a pour objet la régularité des opérations et l'exactitude du contrôle. La première doit s'étudier à sagement administrer la fortune du pays, la seconde doit assurer l'exécution des décisions des pouvoirs publics, garantir l'application des deniers des contribuables à l'emploi pour lequel ils ont été levés. Ces deux parties ne sont donc pas solidaires; le vice de l'une n'entraîne pas nécessairement l'imperfection de l'autre, et l'on peut désapprouver la marche des finances sans condamner en même temps la constitution de notre système financier. Aussi, dans cette étude, observera-t-on avec soin cette distinction. Pour permettre d'établir ce qui revient au gouvernement et aux institutions dans les résultats obtenus, on examinera séparément les rôles de la direction financière et de l'organisation qu'elle a mise en mouvement. Quant à la direction financière, dont nous aurons d'abord à nous occuper, il est essentiel, pour la faire mieux apprécier, de jeter un coup d'œil préalable sur la politique du souverain qui vient de tomber.

La création de l'empire romain avait frappé vivement l'esprit de Napoléon III, et sa pensée établissait une analogie peut-être involontaire entre sa propre situation et celle du fondateur d'un gouvernement qui avait duré quinze siècles. Il lui semblait se reconnaître dans Auguste. Neveu comme lui d'un César qui avait étonné le monde par son génie et ses victoires, il avait assis son trône sur les ruines de la république. Il avait comme lui un nouvel ordre de choses à constituer, un pouvoir à affermir. Jeté au milieu de partis ardens, d'ambitions avides, de dévoûmens intéressés, il devait vaincre ou gagner les uns, satisfaire et récompenser les autres.

L'armée devait être indissolublement liée à sa cause; il fallait séduire le peuple et lui faire oublier par des soins de toute espèce le souvenir de la liberté qu'il avait perdue. L'empereur français avait étudié la politique de l'empereur romain, et il sut s'en inspirer plus d'une fois. Il s'efforça de désorganiser les partis en employant tour à tour la force, les proscriptions, les promesses; il s'efforça de désarmer les ambitieux en leur offrant des honneurs et des places. Tandis que l'exercice du pouvoir satisfaisait les uns, des largesses rassasiaient les appétits plus grossiers et les dévoûmens obscurs. On multipliait tout ce qui pouvait être une récompense et un moyen de séduction; on rétablissait les anciennes charges du palais, les dignités de chambellans, d'écuyers, de veneurs, qui avec certaines prérogatives conféraient de gros appointemens. On créait le sénat, et on affectait à chacun de ses membres une dotation de 30,000 fr. Le corps législatif recevait en même temps une indemnité. On augmentait le traitement des ministres, et quelques années plus tard l'institution du conseil privé permettait de leur offrir, après leur chute, la consolation d'un revenu de 100,000 fr. L'administration tout entière voyait sa condition améliorée; les préfets surtout recevaient un traitement et un état à la hauteur du rôle qu'ils étaient appelés à jouer dans les départemens.

L'armée avait été l'instrument du coup d'état, et l'empereur savait par sa propre expérience quelle influence peut exercer dans les questions politiques l'intervention de la force. Il mit tous ses soins à se concilier la faveur de cet élément utile; il distribua des décorations, des grades, même de l'argent, et concentra sur les soldats et sur leurs chefs toutes ses bonnes grâces. Il institua en leur faveur un nouvel ordre, la médaille militaire, et créa la caisse de la dotation de l'armée. La médaille leur assurait, avec une distinction glorieuse, la jouissance d'un revenu de 100 francs. La caisse de la dotation fournissait des primes importantes à ceux qui se réengageaient, donnait des hautes paies et des supplémens de pension. En même temps qu'on s'étudiait à s'attacher ainsi le soldat, on établissait un corps qui devait être pour lui un objet d'émulation et de désir. La garde impériale, instituée avec un équipement somptueux et une solde élevée, offrit dans ses rangs privilégiés une récompense à ceux qui se distinguèrent par leur zèle ou leur dévoùment. A ces moyens, on joignit pour les chefs les plus élevés des situations auprès de l'empereur et le bénéfice du sénat. Plus tard, après la guerre d'Italie, on imagina pour les vainqueurs de Magenta et de Solferino l'institution aussi inutile que dispendieuse des grands commandemens militaires. Les maréchaux purent y trouver toutes les jouissances du luxe et les satisfactions de l'amour-propre.

L'empereur, en donnant à l'armée des soins aussi attentifs, ne négligeait cependant pas le peuple. Il rechercha par des actes nombreux les sympathies de la classe ouvrière. La politique de Rome contenait la multitude en lui donnant du pain et des spectacles; Napoléon III eut pour objet constant de lui procurer du travail, d'élever son salaire, d'accroître son bien-être et ses jouissances, d'endormir dans les douceurs d'une vie plus aisée l'esprit d'indiscipline et de révolte, déjà si fatal à plusieurs gouvernemens. Pour atteindre ce but, il donna un essor immense à tous les travaux publics et privés; une partie de la France fut démolie et reconstruite. La fièvre des boulevards, des squares, des places, se répandit de Paris dans les villes les plus obscures. On élargit les rues, on créa des promenades, on couvrit le sol de bâtimens. A côté de travaux utiles et féconds, on entreprit des œuvres stériles et coûteuses; mais le travail abonda, l'ouvrier fut payé plus cher, et, il faut le reconnaître, son existence devint plus facile.

La vie à bon marché était aussi un des rêves de l'empereur. Il n'eut pas le bonheur de le réaliser, car sous son règne la cherté devint plus grande, et le prix des loyers atteignit des hauteurs inconnues jusque-là. Il essaya néanmoins d'apporter une sorte de soulagement par l'application des théories économiques du libre échange. En supprimant les droits qui frappaient les produits des autres pays, en détruisant les prohibitions établies par le système de la protection, il espéra procurer à meilleur marché les matières et les denrées, en même temps qu'il favorisait l'extension des opérations commerciales et le perfectionnement de l'industrie. On sait comment aboutit cette réforme : très prônée par les uns, très attaquée par les autres, elle fit baisser le prix de quelques denrées, enrichit certaines industries, ruina les autres, et produisit dans le pays une quantité de bien et de mal dont il est encore difficile d'apprécier exactement la mesure. Le libre échange a peut-être le tort de toutes les formules absolues. Il n'a pas plus le privilége de convenir à toutes les industries que la saignée et l'eau chaude ne conviennent à tous les tempéramens. Les théories de la protection et du libre échange sont chacune de leur côté incomplètes et critiquables. La première ne songe qu'à l'intérêt du producteur, tandis que la seconde se préoccupe exclusivement du consommateur. La vérité ne serait-elle pas entre les deux ? ne consisterait-elle pas dans un égal mélange des principes des deux systèmes fait avec bon sens et appliqué en dehors de toute préoccupation d'école?

Napoléon n'avait jamais eu que de l'éloignement pour cette partie du peuple qu'on nomme la bourgeoisie, et qui n'est autre chose que le peuple parvenu à l'aisance par le travail et l'économie. Il avait

diminué son importance, et il sentait que la constitution de 1852 ne pouvait effacer dans son cœur les regrets de la charte de 1830. Ne pouvant compter sur ses sympathies, il entreprit au moins de paralyser son mauvais vouloir et d'obtenir sa neutralité par le sentiment de l'intérêt. En s'appliquant à développer la prospérité industrielle et commerciale, à encourager le luxe, à augmenter les besoins et les jouissances, il espérait tuer les passions politiques par la poursuite de la fortune et des satisfactions matérielles, et rallier à la doctrine conservatrice tous ceux qui s'étaient enrichis. Ce fut dans cette vue, aussi bien que pour faciliter le triomphe des théories libre-échangistes, qu'on multiplia tous les moyens de trafic, que les voies de communication furent améliorées et rendues plus nombreuses. La construction des lignes de chemins de fer fut activée, les réseaux succédèrent aux réseaux, on exécuta des travaux dans les rivières et dans les canaux, on abaissa les droits sur la navigation, et l'état intervint dans ces diverses dépenses par de larges subventions. On doit dire que le résultat poursuivi fut en partie atteint. La richesse générale du pays reçut pendant les dixhuit années de la période impériale, surtout jusqu'en 1865, des accroissemens immenses. Avec les fortunes nombreuses qui ne tardèrent pas à se constituer, on vit se répandre, sinon l'amour du régime, du moins le désir de la tranquillité et la crainte de bouleversemens qui pouvaient compromettre les situations acquises.

L'empereur ne puisa pas seulement l'inspiration de ses actes dans le sentiment de sa conservation, mais encore dans une certaine passion de l'éclat et de la gloire. Il voulait que son règne laissât dans la mémoire de la France des souvenirs profonds, et il se livrait à cette tâche avec une précipitation fiévreuse, comme s'il avait la prescience de l'avenir, et qu'il vît déjà marqué le terme de son pouvoir. Il ordonne monumens sur monumens, en active l'achèvement, et fait même noircir la pierre neuve des façades pour obtenir tout de suite une harmonie dont il a peur de ne pouvoir jouir. Son chiffre enlacé dans les sculptures, taillé sur le marbre ou sur l'airain, doit apprendre aux générations futures, en dépit des révolutions, quelle part il a prise aux embellissemens publics. Il s'efforce de mériter ce que l'histoire dit d'Auguste: «< il trouva la ville de pierre et la laissa de marbre. » Pour son malheur comme pour celui de la France, il lui était réservé de ne pas se contenter de cette illustration pacifique.

La gloire des armes a le privilége de tenter les princes et de séduire les hommes. La splendeur qu'elle répand procure à l'orgueil d'ineffables ivresses, et donne un éblouissement qui empêche de voir les larmes et le sang dont elle est faite. Par un singulier phé

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