Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

son gouvernement et fit une révolution pour se mieux défendre; laissant de côté pour un moment ses institutions républicaines, qui lui avaient donné le calme et la prospérité, mais qui ne lui paraissaient pas assurer assez énergiquement l'indépendance nationale, elle établit une sorte de dictature militaire pour le salut du pays. L'œuvre de la défense était fort difficile, elle paraissait même impossible, et voici en quels termes Louvois en parlait : « Si les Hollandais étaient des hommes, il y a longtemps qu'ils auraient fait la paix, mais ce sont des bêtes qui se laissent conduire par des gens qui ne pensent qu'à leur intérêt. » Il ne comprenait rien à ce peuple qui sans armée prétendait se défendre contre la meilleure armée de l'Europe. Il croyait en avoir bientôt raison; mais l'inondation fit ce que les meilleures fortifications du monde auraient pu faire; elle arrêta l'armée envahissante, la retint tout un hiver, la fatigua, la déshabitua de vaincre, la démoralisa.

Pendant ce temps, des alliés s'offrirent à la Hollande, non pas alliés désintéressés et généreux (la Hollande n'en espérait pas), mais alliés qui avaient les mêmes intérêts qu'elle ou les mêmes craintes. L'Espagne savait que la chute de la Hollande lui ferait perdre la Belgique. L'Angleterre sentait que cette ambition de la France menaçait sa grandeur maritime, et l'ambassadeur français à Londres écrivait à Louvois: « Les Anglais vendraient jusqu'à leur chemise pour la conservation des Pays-Bas. » La maison d'Autriche s'apercevait qu'elle perdait le premier rang en Europe par suite des progrès de la France. Quant à la maison de Hohenzollern, elle n'était pas menacée directement, et il ne semblait pas qu'elle eût rien à voir à ces affaires. Elle n'avait rien à prendre à la France, et c'était du côté de l'Allemagne que se portaient ses convoitises; mais pour grandir en Allemagne, pour y acquérir d'abord l'influence, ensuite la force, enfin l'empire, elle jugeait utile de se poser en adversaire de la France. Faire naître dans l'âme du peuple allemand une sorte de patriotisme qui serait surtout la haine du nom français, et se faire l'organe accrédité de ce soi-disant patriotisme, lui paraissait le meilleur moyen de sortir de la position d'infériorité où elle se trouvait en Allemagne. Elle fut donc la première à se déclarer en faveur de la Hollande. Les autres puissances l'une après l'autre suivirent son exemple, et la France eut à combattre presque toute l'Europe. Ce fut au tour de Louvois à désirer la paix et au tour des Hollandais à la refuser. Cette guerre, qui au compte de Louvois ne devait durer qu'un été, se prolongea pendant six années, et, au lieu de se terminer par l'anéantissement de la Hollande, elle se termina par le traité de Nimègue, qui ne fit perdre à la Hollande ni une province ni une forteresse, et qui ne fit gagner à la France qu'une province de la monarchie espagnole, la Franche-Comté.

Louis XIV semblait être le vainqueur, et la France s'y trompa peutêtre le vrai vainqueur était la Hollande.

:

On croirait qu'après de si grands efforts et si peu de résultats Louis XIV et Louvois auraient renoncé à la politique d'envahissement. Il n'en fut rien. L'ambition ne s'arrête pas quand elle veut. L'instinct d'usurpation, la fièvre d'agrandissement, lorsqu'ils ont une fois saisi un souverain ou un peuple, le tiennent et le mènent malgré qu'il en ait. Le jour où l'on s'engage dans la politique de conquête, on ne doit pas dire: Je n'irai que jusque-là. Il faut toujours aller plus loin. Après le traité de Nimègue, la paix paraissait assurée pour longtemps; mais Louvois eut la prétention de faire encore des conquêtes en pleine paix, et l'on vit, spectacle étrange, la politique d'envahissement poursuivre son œuvre en dehors même de toute guerre. Les derniers traités avaient donné au roi certaines villes avec leurs dépendances. Par ce mot, il fallait sans doute entendre le territoire réellement dépendant de chaque ville; Louvois comprenait qu'il s'agissait d'autres villes ayant autrefois dépendu féodalement des premières : question de juriste, pensa-t-il, que la magistrature devait décider. Les moyens juridiques furent de tout temps commodes pour l'ambition. Il y a quelques années, la Prusse interrogea les jurisconsultes pour savoir à qui le Slesvig-Holstein devait appartenir, et sur leur arrêt elle se l'adjugea. Louvois avait inventé ce procédé avant les ministres prussiens. Voulant s'emparer de Courtrai, de Luxembourg, de Sarrebrück, de Deux-Ponts, il consulta la magistrature française, et se fit adjuger ces villes par arrêt. L'acquisition de Strasbourg fut plus légitime; elle se fit par un contrat formel entre la ville et le roi, et elle eut ce rare bonheur d'être conforme à la fois au droit des gens de cette époque et au droit des gens de la nôtre.

Tous ces empiétemens, qu'ils fussent justes ou non, mécontentèrent l'Allemagne et l'Europe. Jamais dans les générations précédentes la France ne s'était présentée aux Allemands comme une puissance envahissante. Jamais, ni pour Metz et Verdun, ni pour l'Alsace, elle n'avait fait d'autres acquisitions que celles que l'Allemagne elle-même lui avait librement concédées ou offertes. On l'avait toujours connue modérée et désintéressée, et l'on n'avait pas encore pris l'habitude de l'accuser de convoitise. Elle avait toujours été l'alliée des Allemands, jamais elle n'avait été leur ennemie. Elle était un membre de la ligue du Rhin, presque un membre du corps germanique. Louis XIV et Louvois, pour la première fois, manifestèrent une ambition qui inquiéta l'Allemagne. Non-seulement ils touchaient au Rhin, mais ils possédaient de l'autre côté du fleuve Kelh et Fribourg, et vers le nord Landau, Luxembourg, Trèves, et

même la place forte de Montroyal entre Trèves et Coblentz. C'était prendre vis-à-vis de l'Allemagne une position offensive qui était aussi dangereuse et aussi contraire au droit que le serait en sens inverse la possession de Metz et de Strasbourg aux mains d'une puissance allemande.

Tous les souverains de l'Europe se sentirent menacés dans leur indépendance. Ils s'unirent pour se défendre, et formèrent la coalition d'Augsbourg. Louvois se jeta résolûment dans cette nouvelle guerre qu'il avait provoquée. Il n'en vit pas la fin. Sa mort, qui arriva en 1691, ne modifia pas la marche des événemens; sa politique se continua fatalement après lui. Louis XIV, qu'il avait lancé dans la guerre, ne put pas s'en dégager. Il dut continuer à rouler sur cette pente; après la guerre de la ligue d'Augsbourg, il fut entraîné, un peu malgré lui, dans la guerre de la succession d'Espagne. Il vieillit de lutte en lutte. A une série de victoires inutiles succéda une série de défaites; la paix qu'il avait si souvent refusée aux autres lui fut refusée à son tour; il ne la retrouva qu'aux derniers jours de sa triste vieillesse, et à la veille d'aller rendre compte à Dieu du sang versé.

On peut se demander ce que la France avait pensé de toutes. ces guerres. S'était-elle associée à la politique de Louvois et de Louis XIV? Avait-elle partagé leur ambition? les avait-elle poussés à la guerre, les avait-elle au moins encouragés? Avait-elle désiré comme eux l'agrandissement et la conquête? La France, pendant ces cinquante années de luttes, ne fut jamais consultée. Si elle avait eu des états-généraux, comme au xive siècle, ou des assemblées de notables, comme sous Louis XI, François Ier et Henri IV, il est vraisemblable qu'on l'aurait vue, comme à toutes ces époques, réclamer l'intégrité du territoire sans demander aucun accroissement; mais Louis XIV ne réunit ni états-généraux, ni notables, il ne semble même pas qu'il ait jamais songé à s'enquérir de ce que le pays pensait de ses entreprises. Il ne lui vint pas à l'esprit de se faire donner, ne fût-ce que par un simulacre d'assemblée, une de ces vagues procurations que les rois obtiennent facilement de leurs peuples pour la décharge de leur conscience. La France n'eut donc aucun moyen de se faire entendre. Pourtant l'opinion publique perça et se laissa entrevoir. Nous savons par les écrits du temps, par les lettres de Mme de Sévigné comme par celles de Saint-Évremond, par quelques vers de La Fontaine et quelques vers même de Boiieau, ce qu'on se disait à l'oreille et ce que chacun pensait à part soi de la politique du roi. Les mémoires, sans parler des pamphlets, prouvent par mille indices que la France n'aimait pas la guerre, qu'elle ne partageait pas l'ambition de Louis XIV, que, chaque fois

qu'elle semblait fêter une victoire, c'était plutôt l'espérance de paix que la victoire qu'elle fêtait, qu'elle ne souhaitait enfin aucun accroissement et qu'elle se désolait souvent des conquêtes de Louis XIV. Colbert, qui représentait bien mieux que Louvois l'opinion publique, qui d'ailleurs par ses fonctions mêmes était en relations bien plus intimes avec la population, qui était chaque jour au courant de ce que pensait la France par les rapports des intendans, faisait entendre au roi des paroles de paix. C'était la voix de la France qui parlait par sa bouche. La France ne s'associa un moment à Louis XIV que dans la période des grands revers, lorsque le pays fut envahi; pendant la période des succès, elle ne s'était jamais unie de cœur au roi et au ministre belliqueux. Il y a dans la correspondance de Louvois un mot qui le condamne en absolvant la France; au milieu des victoires de la guerre de Hollande, il écrivait : « On est travaillé ici du mal de la paix. »

Il n'y a donc aucune raison pour rendre la France responsable de la politique d'envahissement que Louis XIV et Louvois avaient seuls poursuivie; mais déjà les étrangers se plaisaient à l'accuser d'être dévorée de la manie de la guerre. Les étrangers se sont souvent trompés sur elle. De ce qu'elle est courageuse, ils ont conclu qu'elle est belliqueuse. Ils l'ont appelée « nation inquiète,» parce qu'elle ne tend pas le cou au joug de l'étranger; ils l'ont appelée « nation agressive, » parce qu'elle ne veut pas voir l'envahisseur sur son sol.

II.'

Aurait-on pensé que deux siècles après Louvois il se trouverait des ministres et des hommes d'état qui reprendraient sa politique d'envahissement? Il y avait longtemps que cette politique semblait reléguée parmi les choses mauvaises du passé. Pendant le xvIIIe siècle, la monarchie française elle-même n'y avait plus songé: ni Louis XV ni Louis XVI n'avaient visé à faire des conquêtes; ils avaient entrepris des guerres en vue de maintenir l'équilibre européen ou l'influence française, jamais en vue de s'agrandir. L'ambition et le désir d'empiéter ne s'étaient montrés à cette époque, parmi toutes les familles régnantes, que chez la maison de Hohenzollern. Elle avait, dans la première moitié du siècle, envahi effrontément la Silésie, et dans la seconde elle avait provoqué la Russie. et l'Autriche à partager avec elle la Pologne. A part cette maison, la politique d'envahissement paraissait abandonnée. Était venue la révolution française; non-seulement elle avait annoncé le désir de la paix, mais elle avait ingénument réclamé la suppression des ar

mées. Pour obliger la république à devenir belliqueuse, il avait fallu l'attaquer la première et envahir son sol. Il est vrai que par représailles elle avait envahi à son tour, mais jamais du moins elle ne s'était annexé une province que par le vœu formel de la population. L'empire avait donné ensuite dans l'excès de la guerre; l'ambition personnelle de l'empereur avait été surexcitée par les provocations incessantes et trop habiles des puissances monarchiques. Elles s'étaient juré de ruiner l'empire par la guerre, et la guerre en effet, en dix ans, épuisa l'empire. Après lui, l'Europe ne songea qu'à la paix. Les peuples se livrèrent au commerce, à l'industrie, au travail de l'esprit; l'intelligence grandit, et la liberté gagna peu à peu du terrain.

Est-ce la France qui a repris la politique d'envahissement? Assurément nos guerres en Crimée et en Italie n'étaient pas des guerres d'invasion. La France voulait s'agrandir par le travail, par l'exploitation des richesses de son sol, par le développement aussi régulier que possible de ses institutions, par ses arts et par ses sciences, par ses écoles et par ses livres. Voilà ce qu'elle souhaitait, et il est impossible de citer en France un seul homme d'état qui depuis quarante ans ait poursuivi une autre politique. La république de 1848 ne fut certainement pas envahissante. Lorsque Napoléon III se présenta aux suffrages de la France, il eut grand soin de répudier l'esprit de conquête, et pour faire accepter l'empire il eut besoin de faire cette promesse : « l'empire, c'est la paix. » Comme lui, nos députés, à chaque renouvellement de la chambre, ne se faisaient élire qu'en promettant à leurs électeurs le maintien de la paix et la réduction de l'armée. La France ne voulait plus de conquêtes. Il eût fallu descendre aux dernières couches de notre société, parmi les plus ignorans et les plus naïfs, pour trouver encore des hommes rêvant la guerre d'invasion et souhaitant les provinces rhénanes. Tous les votes plébiscitaires et parlementaires recommandaient une politique pacifique et sans convoitises. Il ne se passait pas une année sans que le corps législatif, dans ses séances publiques ou au moins dans ses commissions, demandât la diminution des dépenses militaires. On lui reproche à la vérité d'avoir accueilli par un vote d'enthousiasme la déclaration de guerre à la Prusse; mais il faut bien voir ce que signifiait ce vote. L'assemblée qui l'exprima était assurément l'une des plus pacifiques qu'il y eût en Europe; elle ne vota la guerre que sur la promesse qui lui fut faite que cette guerre amènerait un désarmement général. Ce n'était pas la rive gauche du Rhin qu'elle souhaitait, c'était la réduction des armées et presque la suppression de la guerre dans l'avenir. Son vote, à regarder au fond des choses, fut un vote de paix.

« ZurückWeiter »