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CHAPITRE II.

Quelle marche les hommes ont fuivi pour puifer leurs connoiffances dans ce fond commun?

Les hommes des temps primitifs se trou

verent placés comme dans une forte d'enfance, réduits par leur position à s'instruire de tout à la maniere des enfans qui font depuis peu fur la terre, & cette instruction ne pouvoit leur être fournie que par les chofes, les objets, ou les qualités, les opérations, les effets, & ce qu'on appelle en général les faits fenfibles, qui s'offroient à leur attention, & qu'ils prenoient foin d'obferver, à mesure qu'ils y étoient follicités par le befoin, & la loi fuprême de la nature.

Appellés à former leurs idées comme à régler leurs procédés d'après la nature, leur premier maître & modele, leurs débuts en tout genre n'ont pu être que des obfervations, que le befoin, le defir du bien-être, la curiofité, les invitoient à faire fucceffivement, à mesure que de nouveaux objets se préfentoient à leurs regards.

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En réiterant & rapprochant leurs obfervations, les hommes acquirent ce qu'on appelle de l'expérience, & à mesure qu'elles fe multiplioient fur des objets ou des faits trèsdiverfifiés, ils appercevoient au travers de cette variété un grand nombre de modifica tions ou circonftances communes à plufieurs de ces objets ou de ces faits, & dont les notions, prifes & exprimées à part, pouvoient leur être appliquées également à tous par un feul acte de la penfée; ils ne tarderent pas à comprendre tout le parti qu'ils pouvoient tirer de ces notions, foit pour prévenir la confufion qui nait inévitablement dans l'efprit humain de la trop grande multiplication des idées de détail, foit pour foulager la mémoire en lui fournissant un moyen fimple & facile d'enregistrer avec ordre la multitude immenfe des objets ou des faits,

foit pour aider à l'intelligence dans l'examen de ceux-ci, & par une claffification réguliere, la mettre en état de les parcourir avec autant d'exactitude & de netteté que de rapidité.

Les connoiffances acquifes par l'expérien ce s'étant donc multipliées dans la même proportion que les befoins, les defirs & les goûts, & à mesure que les facultés de l'efpece pouvoient fe développer d'une génération à

l'autre, les hommes furent conduits naturellement à rapprocher les idées de détail qu'ils s'étoient formées des objets & des faits, pour en faifir les caracteres communs, & réduire ceux qui fe trouvoient entr'eux en tel ou tel rapport de convenance à un feul & même affemblage, ou claffe comprise fous une feule notion & expression générale, ce qui devoit produire autant de notions & d'expreffions générales qu'ils pourroient établir de claffes d'objets ou de faits rapprochés par des circonftances communes.

Ainfi nâquirent cette foule de notions générales, qui ne préfentent aucun objet féparé ou individuel, mais feulement ce qui eft commun à plufieurs, connus par l'obfervation & l'expérience. Et de ces notions générales fe formerent ces propofitions, ces énoncés généraux, qui expriment ce que l'obfervation & l'expérience ont appris aux hommes par rapport à tels ou tels objets, tels ou tels faits, compris fous telle ou telle claffe, défignée par telle ou telle expreffion. Ce font ces énoncés généraux, tirés des faits rapprochés par la voie appellée induction, & qu'on peut envifager comme autant d'expreffions abrégées des connoiffances humaines, qui ont produit les vérités générales liées les

unes aux autres comme par une forte de chaine, ou fubordonnées les unes aux autres, fous les noms de principes & de conféquences, & ces vérités, diftribuées encore fous certaines claffes ou branches féparées, felon les différens genres d'objets auxquels elles fe rapportent, ont donné naissance à ce que nous appellons les diverfes fciences humaines. Ainfi les vérités extraites des obfervations fur les phénomenes fenfibles, produifirent la Phyfique; celles qu'on tira des observations fur la maniere de parler, d'écrire, de raisonner des Auteurs, produifirent la Grammaire, la Rhétorique, la Logique, & ainfi de toutes les autres.

Par cette rédaction abrégée & méthodique des connoiffances humaines en notions & propofitions générales, diftribuées fous divers corps de fciences, on les ramena à une précifion & un ordre qui pouvoient mettre mieux à portée d'en faifir tout l'ensemble, d'en concevoir nettement & l'étendue & les limites. On donna aux perfonnes déja inftruites de ces connoiffances par le détail, plus de facilité pour les fixer dans leur efprit, pour les rapprocher, les lier, pour les rappeller promptement au befoin, lorfqu'il s'agit d'en faire l'application par le raifonne

nent; & enfin, pour les paffer rapidement en revue, en descendant des notions & propofitions les plus générales, à celles qui leur font fubordonnées.

Ainfi nâquit cette méthode fynthétique, qui diftribue les fciences en divers corps, pour les expofer féparément, en rapportant à chacun les vérités générales qui font de fon reffort, & commençant dans chacun par les principes les plus généraux, pour defcendre toujours du général au particulier. Mais voyons plus en détail comment cette diftri bution s'eft faite, & quels font les principes qui ont fervi à la régler.

Les inftructions fans-ceffe réiterées de l'expérience ont appris aux hommes que tous les faits connus font autant d'effets, dont chacun doit fon exiftence à une force opé rante appellée caufe, & qu'ils peuvent être rangés fous deux claffes ou notions géné rales, dont l'une comprend les faits phyfi ques, qui ont leur cause unique dans des for ces naturelles, déployées fans la détermination actuelle d'aucune volonté l'autre, les faits moraux ou actions, qui outre la caufe efficiente, ont de plus une caufe impulsive ou finale, qui détermine la volonté de quelque être intelligent, & lui fait déployer fon activité

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