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rités qui intéressent l'Europe pensante à la fondation d'une république libre et juste.

Mes conjectures sur l'avenir seront le résultat de mes observations sur le passé. J'ai essayé de démontrer comment la démocratie de la Grèce, l'aristocratie de Rome, le paganisme des deux nations, donnèrent un caractère aux beaux arts et à la philosophie; comment la férocité du nord se mêlant à l'avilissement du midi, l'un et l'autre, modifiés par la religion chrétienne, ont été les principales causes de l'état des esprits dans le moyen âge. J'ai tenté d'expliquer les contrastes singuliers de la littérature italienne, par les souvenirs de la liberté et les habitudes de la superstition; la monarchie la plus aristocratique dans ses mœurs, et la constitution royale la plus républicaine dans ses habitudes, m'ont paru l'origine première des différences les plus frappantes entre la littérature anglaise et la littérature française. Il me reste maintenant à examiner, d'après l'influence que les loix, les religions et les mœurs ont exercée de tous les temps sur la littérature, quels changemens les institutions nouvelles, en France, pourroient apporter dans le caractère des écrits. Si telles

institutions politiques ont amené tels résultats en littérature, on doit pouvoir présager par analogie, comment ce qui ressemble ou ce qui diffère dans les causes modifieroit les effets.

Les nouveaux progrès littéraires et philosophiques que je me propose d'indiquer, continueront le développement du systême de perfectibilité dont j'ai tracé la marche depuis les Grecs. Il est aisé de montrer combien les pas qu'on feroit dans cette route seroient accélérés, si tous les préjugés autour desquels il faut faire passer le chemin de la vérité étoient applanis, et s'il ne s'agissoit plus, en philosophie, que d'avancer directement de démonstrations en démonstrations.

Telle est la marche adoptée dans les sciences positives, qui font chaque jour une découverte de plus, et ne rétrogradent jamais. Oui, dût cet avenir, que je me complais à tracer, être encore éloigné, il sera néanmoins utile de rechercher ce qu'il pourroit être. Il faut vaincre le découragement que font éprouver de certaines époques de l'esprit public, dans lesquelles on ne juge plus rien que par des craintes ou par des calculs entièrement étrangers à l'immuable nature des idées philoso

phiques. C'est pour obtenir du crédit ou du pouvoir qu'on étudie la direction de l'opinion du moment; mais qui veut penser, qui veut écrire, ne doit consulter que la conviction solitaire d'une raison méditative.

Il faut écarter de son esprit les idées qui circulent autour de nous, et ne sont, pour ainsi dire, que la représentation métaphysique de quelques intérêts personnels; il faut tour-àtour précéder le flot populaire, ou rester en arrière de lui: il vous dépasse ; il vous rejoint, il vous abandonne; mais l'éternelle vérité de

meure avec vous.

La conscience de l'esprit cependant ne peut être un aussi ferme appui que la conscience de l'ame. Ce que la morale commande dans les actions, n'est jamais douteux; mais souvent on hésite, souvent on se repent de ses opinions mêmes, lorsque des hommes odieux s'en saisissent pour les faire servir de prétexte à leurs forfaits; et la vacillante lumière de la raison ne rassure point encore assez dans de certaines tourmentes de la vie.

Néanmoins, ou l'esprit ne seroit qu'une inutile faculté, ou les hommes doivent toujours tendre vers de nouveaux progrès en avant de

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l'époque dans laquelle ils vivent. Il est impossible de condamner la pensée à revenir sur ses pas, avec l'espérance de moins et les regrets de plus; l'esprit humain, privé d'avenir, tomberoit dans la dégradation la plus misérable. Cherchons-le donc cet avenir, dans les productions littéraires et les idées philosophiques. Un jour peut-être ces idées seront appliquées aux institutions avec plus de maturité; mais en attendant, les facultés de l'esprit pourront du moins avoir une direction utile; elles serviront encore à la gloire de la nation.

Si vous portez des talens supérieurs au milieu des passions humaines, vous vous persuaderez bientôt que ces talens mêmes ne sont qu'une malédiction du ciel; mais vous les retrouverez comme des bienfaits, si vous pouvez croire encore au perfectionnement de la pensée, si vous entrevoyez de nouveaux rapports entre les idées et les sentimens, si vous pénétrez plus avant dans la connoissance des hommes, si vous pouvez ajouter un seul degré de force à la morale, si vous vous flattez enfin de réunir par l'éloquence les opinions éparses de tous les amis des vérités généreuses.

CHAPITRE II.

Du Goût, de l'Urbanité des Mœurs et de leur Influence littéraire et politique.

On s'est persuadé pendant quelque temps, en France, qu'il falloit faire aussi une révolution dans les lettres, et donner aux règles du goût, en tout genre, la plus grande latitude. Rien n'est plus contraire aux progrès de la littérature, à ces progrès qui servent si efficacement à la propagation des lumières philosophiques, et par conséquent au maintien de la liberté. Rien n'est plus funeste à l'amélioration des mœurs, l'un des premiers buts que les institutions républicaines doivent se proposer. Les délicatesses exagérées de quelques sociétés de l'ancien régime n'ont aucun rapport sans doute avec les vrais principes du goût, toujours conformes à la raison; mais l'on pouvoit bannir de certaines loix de convention sans renverser les barrières qui tracent la route du génie, et conservent, dans les discours comme dans les écrits, la convenance et la dignité.

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