dans tous les genres, qui donne à leurs écrits un grand caractère. Ce qui distingue leur philosophie, c'est d'avoir substitué l'austérité de la morale à la superstition religieuse. En France on s'est contenté de renverser l'empire des dogmes. Mais quelle seroit l'utilité des lumières pour le bonheur des nations, si ces lumières ne portoient avec elles que la destruction, si elles ne développoient jamais aucun principe de vie, et ne donnoient point à l'ame de nouveaux sentimens, de nouvelles vertus à l'appui d'antiques devoirs. Les Allemands sont éminemment propres à la liberté, puisque dejà, dans leur révolution philosophique, ils ont su mettre à la place des barrières usées qui tomboient de vétusté, les bornes immuables de la raison naturelle. Si par quelques malheurs invincibles, la France étoit un jour destinée à perdre pour jamais tout espoir de liberté, c'est en Allemagne que se concentreroit le foyer des lumières; et c'est dans son sein que s'établiroient, à une époque quelconque, les principes de la philosophie politique. Nos guerres avec les Anglais ont dû les rendre ennemis de tout ce qui rappelle la France; mais une impartialité plus équitable dirigeroit les opinions des Allemands. Ils s'entendent mieux que nous à l'amélioration du sort des hommes; ils perfectionnent les lumières, ils préparent la conviction; et nous, c'est par la violence que nous avons tout essayé, tout entrepris, tout manqué. Nous n'avons fondé que des haines ; et les amis de la liberté marchent au milieu de la nation, la tête baissée, rougissant des crimes des uns et calomniés par les préjugés des autres. Vous, nation éclairée, vous habitans de l'Allemagne, qui peut-être une fois serez, comme nous, enthousiastes de toutes les idées républicaines, soyez invariablement fidèles à un seul principe, qui suffit, à lui seul, pour préserver de toutes les erreurs irréparables. Ne vous permettez jamais une action que la morale puisse réprouver; n'écoutez point ce que vous diront quelques raisonneurs misérables, sur la différence qu'on doit établir entre la morale des particuliers et celles des hommes publics. Cette distinction est d'un esprit faux et d'un cœur étroit; et si nous périssions, ce seroit pour l'avoir adoptée. Voyez ce que fait le crime au milieu d'une nation, des persécuteurs toujours agités, des persécutés toujours implacables; aucune opi nion qui paroisse innocente, aucun raisonnement qui puisse être écouté; une foule de faits, de calomnies, de mensonges tellement accumulés sur toutes les têtes, que, dans la carrière civile, il reste à peine une considération pure, un homme auquel un autre homme veuille marquer de la condescendance; aucun parti fidèle aux mêmes principes; quelques hommes réunis par le lien d'une terreur commune, lien que rompt aisément l'espérance de pouvoir se sauver seul; enfin une confusion si terrible entre les opinions généreuses et les actions coupables, entre les opinions serviles et les sentimens généreux, que l'estime errante ne sait où se fixer, et que la conscience se repose à peine avec sécurité sur elle-même. Il suffit d'un jour où l'on ait pu prêter un appui par quelques pensées, par quelques discours, à des résolutions qui ont amené des cruautés et des souffrances; il suffit de ce jour pour tourmenter la vie, pour détruire au fond du cœur, et le calme, et cette bienveillance universelle que fesoit naître l'espoir de trouver des cœurs amis par-tout où l'on rencontroit des hommes. Ah! que les nations encore hon uêtes, que les hommes doués de talens politiques, qui ne peuvent se faire aucun reproche, conservent précieusement un tel bonheur ! et si leur révolution commence, qu'ils ne redoutent au milieu d'eux, que les conseils persécuteurs! La liberté donne des forces pour sa défense, le concours des intérêts fait découvrir toutes les ressources nécessaires, l'impulsion des siècles renverse tout ce qui veut lutter pour le passé contre l'avenir: mais l'action inhumaine sème la discorde, perpétue les combats, sépare en bandes ennemies la nation entière; et ces fils du serpent de Cadmus, auxquels un dieu vengeur n'avoit donné la vie qu'en les condamnant à se combattre jusqu'à la mort, ces fils du serpent, c'est le peuple au milieu duquel l'injustice a long-temps régné. CHAPITRE XVIII. Pourquoi la nation française étoit-elle la nation de l'Europe qui avoit le plus de grace, de goût et de gaîté ? LA gaîté française, le bon goût français, avoient passé en proverbe dans tous les pays de l'Europe, et l'on attribuoit généralement ce goût et cette gaîté au caractère national: mais qu'est-ce qu'un caractère national, si ce n'est le résultat des institutions et des circonstances qui influent sur le bonheur d'un peuple, sur ses intérêts et sur ses habitudes? Depuis dix années, dans les momens les plus calmes de la révolution, les contrastes les plus piquans n'ont pas été l'objet d'une épigramme ou d'une plaisanterie spirituelle. Plusieurs des hommes qui ont pris un grand ascendant sur les destinées de la France, étoient dépourvus de toute apparence de grace dans l'expression et de brillant dans l'esprit peut-être même devoient-ils une partie de leur influence à ce qu'il y avoit de sombre, de silencieux, de froidement féroce dans leurs manières comme dans leurs sentimens. |