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CHAPITRE IX et dernier.

Conclusion.

LA perfectibilité de l'espèce humaine est devenue l'objet des sourires indulgens et moqueurs de tous ceux qui regardent de certaines occupations intellectuelles comme une sorte d'imbécilité de l'esprit, et ne considèrent que les facultés qui s'appliquent instantanément aux intérêts de la vie. Ce systême de perfectibilité est aussi combattu par quelques penseurs; mais il a sur-tout contre lui dans ce moment en France, ces sentimens irréfléchis, ces affections passionnées qui confondent ensemble les idées les plus contraires, et servent merveilleusement les hommes criminels, en leur supposant des prétextes honorables. Lorsqu'on accuse la philosophie des forfaits de la révolution, on rattache d'indignes actions à de grandes pensées, dont le procès est encore pendant devant les siècles. Il vaudroit mieux approfondir l'abîme qui sépare le vice de la vertu, réunir l'amour des lumières à celui de la morale, attirer à elle tout ce qu'il y a d'élevé

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parmi les hommes, afin de livrer le crime à tous les genres de honte, d'ignorance et d'avilissement; mais quelle que soit l'opinion qu'on ait adoptée sur ces conquêtes du temps, sur cet empire indéfini de la raison, il me semble qu'il est un argument qui convient également à toutes les manières de voir. L'on dit que les lumières et tout ce qui dérive d'elles, l'éloquence, la liberté politique, l'indépendance des opinions religieuses, troublent le repos et le bonheur de l'espèce humaine. Mais que l'on réfléchisse sur les moyens qu'il faut employer pour arrêter la tendance des hommes vers les lumières! Que l'on se demande comment empécher ce mal, si c'en est un, à moins de recourir à des moyens affreux en eux-mêmes, et definitivement infructueux !

J'ai tenté de montrer avec quelle force la raison philosophique, malgré tous les obstacles, après tous les malheurs, a toujours su se frayer une route et s'est développée successivement dans tous les pays, dès qu'une tolérance quelconque, quelque modifiée qu'elle pût être, a permis à l'homme de penser. Comment donc forcer l'esprit humain à rétrograder, et lors même qu'on auroit obtenu ce triste succès, comment

prévenir toutes les circonstances qui pourroient lui donner une impulsion nouvelle? On désire d'abord, et les rois mêmes sont de cet avis, que la littérature et les arts fassent des progrès. Or ces progrès tiennent nécessairement à toutes les pensées qui doivent mener la réflexion beaucoup au-delà des sujets qui l'ont fait naître. Dès que les ouvrages de littérature ont pour but de remuer l'ame, ils approchent nécessairement des idées philosophiques, et les idées philosophiques conduisent à toutes les vérités. Quand l'on imiteroit l'inquisition d'Espagne et le despotisme de Russie, il faudroit encore être assuré que dans aucun pays de l'Europe, il ne s'établira d'autres institutions; car les simples rapports de commerce, quand même on interdiroit les autres, finiroient par communiquer à un pays les lumières des pays voisins.

Les sciences physiques ayant pour but une utilité immédiate, aucun gouvernement ne veut ni ne peut les interdire; et comment l'étude de la nature ne banniroit-elle la pas croyance de certains dogmes? comment l'indépendance religieuse ne conduiroit-elle pas au libre examen de toutes les autorités de la terre ? On peut, dira-t-on, réprimer les excès sans entraver

la raison. Qui réprimera ces excès ?-le gouvernement.-Peut-il jamais être considéré comme une puissance impartiale? et les bornes qu'il voudra poser aux recherches de la pensée ne seront-elles pas précisément celles que les esprits ardens voudront franchir ?

Si vous portez une nation vers les amusemens et les voluptés, si vous énervez en elle toutes les qualités fortes et courageuses pour la détourner de la pensée, qui vous défendra contre des voisins belliqueux? Si vous échappez à la conquête, tous les vices néanmoins s'introduiront chez vous, parce qu'il n'existera plus parmi les hommes que le seul intérêt du plaisir, et par conséquent de la fortune. Or, parmi les mobiles d'action, il n'en est point qui avilisse et déprave davantage. Si vous inspirez à tous l'amour de la guerre, peut-être ferez-vous renaitre le mépris de la pensée; mais tous les maux de la féodalité pèseront sur vous. Il y a plus, la passion des armes trompera bientôt votre espoir. Dès que vous donnez à l'ame une impulsion forte, vous ne pouvez ariêter son essor. La valeur guerrière, cette qualité qui produit toujours un enthousiasme nouveau, cette qualité qui réunit tout ce qui peut frap

per l'imagination, enivrer l'ame, la valeur guerrière que vous appelez à l'aide du despotisme, inspire l'éloquence, et l'éloquence devient bientôt la plus terrible ennemie de ce despotisme. Les mots les plus remarquables, les discours les plus éclatans ont été prononcés à la veille des batailles, au milieu de leurs dangers, dans ces circonstances périlleuses qui élèvent. l'homme courageux et développent en lui toutes ses facultés à la fois. Cette éloquence des combats est bientôt imitée dans les luttes. civiles. Dès que les sentimens généreux, de quelque nature qu'ils soient, peuvent s'ex-. primer sans contrainte, l'éloquence, ce talent. qu'il semble si facile d'étouffer, puisqu'il est si rare d'y atteindre, renaît, grandit, se développe et s'empare de tous les sujets im-. portaus..

Par-tout où il a existé quelques institutions. sages, soit pour améliorer l'administration, soit. pour garantir la liberté civile ou la tolérance: religieuse, soit pour exciter le courage et la fierté nationale, les progrès des lumières se sont aussi-tôt signalés. Ce n'est que par la servitude et l'avilissement le plus absolu, qu'on peut les combattre avec succès. Les tremble

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