nous, nous allons voir cette puissance s'élever à un bien plus haut degré, si nous la considérons lorsqu'elle défend la liberté, lorsqu'elle protège l'innocence, lorsqu'elle lutte contre l'oppression; si nous l'examinons, en un mot, sous le rapport de l'éloquence. CHAPITRE VIII. De l'Eloquence. DANS les pays libres, la volonté des nations décidant de leur destinée politique, les hommes recherchent et acquièrent au plus haut degré les moyens d'influer sur cette volonté; et le premier de tous, c'est l'éloquence. Les efforts s'accroissent toujours en proportion de la récompense; et lorsque la nature du gouvernement promet à l'homme de génie la puissance et la gloire, les vainqueurs dignes de remporter un tel prix, ne tardent point à se présenter. L'émulation développe les talens, qui seroient demeurés inconnus, dans les états où l'on ne pourroit offrir à une ame fière aucun but qui fût digne d'elle. Examinons cependant pourquoi, depuis les premières années de la révolution, l'éloquence s'altère et se détériore en France, au lieu de suivre les progrès naturels aux assemblées délibérantes; examinons comment elle pourroit renaître et se perfectionner, et terminons par un apperçu général sur l'utilité dont elle est aux progrès de l'esprit humain et au maintien de la liberté. La force dans les discours ne peut être séparée de la mesure. Si tout est permis, rien ne peut produire un grand effet. Ménager les convenances morales, c'est respecter les talens, les services et les vertus; c'est honorer dans chaque homme les droits que sa vie lui donne à l'estime publique. Si vous confondez par une égalité grossière et jalouse ce que distingue I'mégalité naturelle, votre état social ressemble à la mêlée d'un combat, dans lequel l'on n'entend plus que des cris de guerre ou de fareur. Quels moyens reste-t-il alors à l'éloquence pour frapper les esprits par dés pensées ou des expressions heureuses, par le contraste du vice et de la vertu, par la louange ou par le blâme distribués avec justice? Dans ce chaos de sentimens et d'idées qui a existé pendant quelque temps en France, aucun orateur ne pouvoit flatter par son estime, ni flétrir par son mépris; aucun homme ne pouvoit être honoré ni dégradé. Dans un tel état de choses, comment tomber? comment s'élever? A quoi sert-il d'accuser ou de défendre ? où est le tribunal qui peut ab soudre ou condamner? Qu'y a-t-il d'impossible? qu'y a-t-il de certain? Si vous ête, audacieux, qui étonnerez-vous? si vous vous taisez, qui le remarquera ? Où est la dignités si rien n'est à sa place? Quelles difficultés a-t-on à vaincre, s'il n'existe aucune barrière ? mais aussi quels monumens peut-on fonder, si l'on n'a point de base? On peut parcourir en tout sens l'injure et l'éloge, sans faire naitre l'enthousiasme ni la haine. On ne sait plus ce qui doit fixer l'appréciation des hommes; les calomnies commandées par l'esprit de parti, les louanges inspirées par la terreur ont tout révoqué en doute, et la parole errante frappe l'air sans but et sans effet. Mais Quand Cicéron voulut défendre Murena contre l'autorité de Caton, il fut éloquent, parce qu'il sut à-la-fois honorer et combattre la réputation d'un homme tel que Caton. dans nos assemblées, où toutes les invectives étoient admises contre tous les caractères, qui auroit saisi la nuance délicate des expressions de Cicéron? à qui viendroit-il dans l'esprit de s'imposer une contrainte inutile, puisque personne n'en comprendroit le motif et n'en recevroit l'impression? Une voix de Stentor criant à la tribune: Caton est une contre-révolutionnaire, un stipendié de nos ennemis; et. je demande que la mort de ce grand coupable satisfasse enfin la justice nationale, feroit oublier l'éloquence de Cicéron. Dans un pays où l'on anéantit tout l'ascendant des idées morales, la crainte de la mort peut seule remuer les ames. La parole conserve encore la puissance d'une arme meurtrière; mais elle n'a plus de force intellectuelle. On s'en détourne, on en a peur comme d'un danger, mais non comme d'une insulte; elle n'atteint plus la réputation de personne. Cette foule d'écrivains calomniateurs émoussent jusqu'au ressentiment qu'ils inspirent; ils ôtent successivement à tous les mots dont ils se servent, leur puissance naturelle. Une ame délicate éprouve une sorte de dégoût pour la langue dont les expressions se trouvent dans les écrits de pareils hommes. Le mépris des convenances prive l'éloquence de tous les effets qui tiennent à la sagesse de l'esprit et à la connoissance des hommes, et le raisonnement ne peut exercer aucun empire dans un pays où l'on dédaigne jusqu'à l'apparence même du respect pour la vérité. |