que manière, et l'on n'admire que les écrits qui développent dans notre cœur la puissance de l'exaltation. Le célèbre métaphysicien allemand, Kant, en examinant la cause du plaisir que font éprouver l'éloquente, les beaux arts, tous les chefsd'œuvre de l'imagination, dit que ce plaisir tient au besoin de reculer les limites de la destinée humaine; ces limites qui resserrent douloureusement notre cœur, une émotion vague, un sentiment élevé les fait oublier pendant quelques instans; l'ame se complait daus la sensation inexprimable que produit en elle ce qui est noble et beau; et les bornes de la terre disparoissent quand la carrière immense du génie et de la vertu s'ouvre à nos yeux. En effet, l'homme supérieur ou l'homme sensible se soumet avec effort aux loix de la vie, et l'imagination mélancolique rend heureux un moment, en faisant rêver l'infini. Le dégoût de l'existence, quand il ne porte pas au découragement, quand il laisse subsister une belle inconséquence, l'amour de la gloire, le dégoût de l'existence peut inspirer de grandes beautés de sentimens: c'est d'une certaine hauteur que tout se contemple; c'est avec une teinte forte que tout se peint. Chez les anciens, on étoit d'autant meilleur poète, que l'imagination s'enchantoit plus facilement. De nos jours, l'imagination doit être aussi détrompée de l'espérance que la raison: c'est ainsi que cette imagination philosophe peut encore produire de grands effets. Il faut qu'au milieu de tous les tableaux de la prospérité même, un appel aux réflexions du cœur vous fasse sentir le penseur dans le poète. A l'époque où nous vivons, la mélancolie est la véritable inspiration du talent: qui ne se sent pas atteint par ce sentiment, ne peut prétendre à une grande gloire comme écrivain; c'est à ce prix qu'elle est achetée. Enfin, dans le siècle du monde le plus corrompu, en ne considérant les idées de morale que sous leur rapport littéraire, il est vrai de dire qu'on ne peut produire aucun effet trèsremarquable par les ouvrages d'imagination, qu'en les dirigeant dans le sens de l'exaltation de la vertu. Nous sommes arrivés à une période qui ressemble, sous quelques rapports, à l'état des esprits au moment de la chute de l'empire romain, et de l'invasion des peuples du nord. Dans cette période, le genre-humain eut besoin de l'enthousiasme et de l'austérité. Plus les mœurs de France sont dépravées maintenant, plus on est près d'être lassé du vice, d'être irrité contre les interminables malheurs attachés à l'immoralité. L'inquiétude qui nous dévore finira par un sentiment vif et décidé, dont les grands écrivains doivent se saisir à l'avance. L'époque du retour à la vertu n'est pas éloiguée, et déjà l'esprit est avide des sentimens honnêtes, si la raison ne les a pas encore fait triompher. Pour réussir par les ouvrages d'imagination, il faut peut-être présenter une morale facile au milieu des mœurs sévères; mais au milieu des meurs corrompues, le tableau d'une morale austère est le seul qu'il faille constamment offrir. Cette maxime générale est encore susceptible d'une application plus particulière à notre siècle. Tant que l'imagination d'un peuple est tournée vers les fictions, toutes les idées peuvent se confondre au milieu des créations bizarres de la rêverie; mais quand toute la puissance qui reste à l'imagination consiste dans l'art d'animer, par ses sentimens et des tableaux, les vérités morales et philosophiques, que peut-on puiser dans ces vérités qui convienne à l'exaltation poétique? Une seule pensée sans bornes, un seul enthousiasme que la réflexion ne désavoue pas, l'amour de la vertu, cette inépuisable source, peut féconder tous les arts, toutes les productions de l'esprit, et réunir à-la-fois dans un même sujet, dans un même ouvrage, les délices de l'émotion et l'assentiment de la sagesse. CHAPITRE VI. De la Philosophie. Nous possédons dans les sciences, et particulièrement dans les mathématiques, les plus grands hommes de l'Europe. Nos troubles civils, loin de décourager l'émulation dans cette carrière, ont inspiré le desir de s'y réfugier. Inestimable avantage de l'époque où nous nous trouvons! Lorsque les passions intestines mettent le désordre dans toutes les idées morales, il reste encore des vérités dont la route est connue et la méthode fixée. penseurs, repoussés de toutes parts par la folie de l'esprit de parti, s'attachent à ces études; et comme la puissance de la raison est toujours la même, à quelque objet qu'elle s'applique, l'esprit humain qui seroit peut-être tombé dans la décadence, s'il n'avoit eu que les querelles des factions pour aliment, l'esprit humain se conserve par les sciences exactes jusqu'à ce que l'on puisse appliquer de nouveau la logique de la Les |