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Tout ce qui environuoit les anciens leur rappelant sans cesse les dieux du paganisme, ils devoient en mêler le souvenir et l'image à toutes leurs impressions; mais quand les modernes imitent à cet égard les anciens, on ne peut ignorer qu'ils puisent dans les livres des ressources pour embellir ce que le sentiment seul suffisoit pour animer. Le travail de l'esprit se fait toujours appercevoir, avec quelqu'habileté, qu'il soit ménagé; et l'on n'est plus entraîné par ce talent, pour ainsi dire involontaire, qui reçoit une émotion au lieu de la chercher, qui s'abandonne à ses impressions au lieu de choisir ses moyens d'effet. Le véritable objet du style poétique doit être d'exciter, par des images tout-à-la-fois nouvelles et vraies, l'intérêt des hommes pour les idées et les sentimens qu'ils éprouvoient à leur insu; la poésie doit suivre, comme tout ce qui tient à la pensée, la marche philosophique du siècle.

Il faut étudier les modèles de l'antiquité pour se pénétrer du goût et du genre simple, mais non pour alimenter sans cesse les ouvrages modernes des idées et des fictions des anciens: l'invention qui se mêle à de semblables réminiscences, est presque toujours en disparate

avec elles. A quelque perfection que l'on portât l'étude des ouvrages des anciens, on pourroit les imiter, mais il seroit impossible de créer comme eux dans leur genre. Pour les égaler, il ne faut point s'attacher à suivre leurs traces; ils ont moissonné dans leurs champs: il vaut mieux défricher le nôtre.

Le petit nombre des idées mythologiques des poètes du Nord sont plus analogues à la poésie française, parce qu'elles peuvent mieux s'accorder, comme j'ai tâché de le prouver, avec les idées philosophiques. L'imagination, dans notre siècle, ne peut s'aider d'aucune illusion: elle peut exalter les sentimens vrais, mais il faut toujours que la raison puisse approuver et comprendre ce que l'enthousiasme fait aimer (*).

Un nouveau genre de poésie existe dans les ouvrages en prose de J. J. Rousseau et de Bernardin de Saint-Pierre; c'est l'observation de la nature dans ses rapports avec les sentimens qu'elle fait éprouver à l'homme. Les anciens, en personnifiant chaque fleur, chaque rivière, chaque arbre, avoient écarté les sensations simples et directes, pour y substituer des chi

(*) De Lille, Saint-Lambert et Fontanes, nos meilleurs poètes dans le genre descriptif, se sont déjà très rapprochés du caractère des poètes anglais.

mères brillantes, mais la providence a mis une telle relation entre les objets physiques et l'être moral de l'homme, qu'on ne peut rien ajouter à l'étude des uns qui ne serve en même temps à la connoissance de l'autre.

On ne sépare pas dans son souvenir le bruit. des vagues, l'obscurité des nuages, les oiseaux épouvantés, et le récit des sentimens qui rem plissoient l'ame de Saint-Preux et de Julie, lorsque sur le lac qu'ils traversoient ensemble, leurs cecurs s'entendirent pour la dernière fois.

La nature féconde de l'ile de France, cette végétation active et multipliée que l'on retrouve sous la ligne, ces tempêtes épouvantables qui succèdent rapidement aux jours les plus calmes, s'unissent dans notre imagination avec le retour de Paul et Virginie revenant ensemble, portés par leur nègre fidèle, pleins de jeunesse, d'espérance et d'amour, et se livrant avec confiance à la vie, dont les orages alloient bientôt les anéantir.

Tout se lie dans la nature, dès qu'on en bannit le merveilleux, et les écrits doivent imiter l'accord et l'ensemble de la nature. philosophie, en généralisant davantage les idées,

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donne plus de grandeur axx images poétiques. La connoissance de la logique rend plus capable de faire parler la passion. Une progression constante dans les idées, un but d'utilité doit se faire sentir dans tous les ouvrages d'imagination. On ne veut plus de mérite relatif, on ne met plus d'intérêt même aux difficultés vaincues, lorsqu'elles ne font avancer en rien l'esprit humain. Il faut analyser l'homme, ou le perfectionner. Les romans, la poésie, les pièces dramatiques et tous les écrits qui semblent n'avoir pour objet que d'intéresser, ne peuvent atteindre à cet objet même qu'en renplissant un but philosophique. Les romans qui ne contiendroient que des événemens extraordinaires, seroient bientôt délaissés.(*) La poésie.

(*) Les romans que l'on nous a donnés depuis quelque temps, dans lesquels on vouloit exciter la terreur, avec de la nuit, des vieux châteaux, de longs corridors et du vent, sont une des productions les plus inutiles, et par conséquent, à la longue, les plus fatigantes de l'esprit humain. Ce sont des espèces de contes de fécs, un peu plus monotones que les véritables, parce que les combinaisons en sont moins variées. Mais les romans qui peiguent les mœurs et les caractères, vous en apprennent souvent plus sur le cœur humain que l'histoire même.

qui ne contiendroit que des fictions, les vers qui n'auroient que de la grace, fatigueroient les esprits avides, avant tout, des découvertes que l'on peut faire dans les mouvemens et dans les caractères des hommes.

Le déchaînement des passions qu'amènent les troubles civils, ne laisse subsister qu'une seule curiosité, celle que font éprouver les écrits qui pénètrent dans les pensées et dans les sentimens de l'homme, ou servent à vous faire connoître la force et la direction de la multitude. On n'est donc curieux que des ouvrages qui peignent les caractères, qui les mettent en action de quel

On vous dit dans ces sortes d'ouvrages, sous la forme de l'invention, ce qu'on ne vous raconteroit jamais sous celle de l'histoire. Les femmes de nos jours, soit en France, soit en Angleterre, ont excellé dans le genre des romans, parce que les femmes étudient avec soin, et caractérisent avec sagacité les mouvemens de l'ame; d'ailleurs on n'a consacré jusqu'à présent les romans qu'à peindre l'amour, et les femmes seules en connoissent toutes les nuances délicates. Parmi les romans français nouveaux, dont les femmes sont les auteurs, on doit citer Caliste, Adèle de Senanges, et en particulier les ouvrages de madame de Genlis; le tableau des situations et l'observation des sentimens lui méritent une première place parmi les bons écrivains.

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