Les femmes n'ont aucune manière de manifester la vérité ni d'éclairer leur vie. C'est le public qui entend la calomnie; c'est la société intime qui peut seule juger de la vérité. Quels moyens authentiques pourroit avoir une femme de démontrer la fausseté d'imputations mensongères ? L'homme calomnié répond par ses ac tions à l'univers; il peut dire : Ma vie est un témoin qu'il faut entendre aussi. Mais ce témoin, quel est-il pour une femme ? quelques vertus privées, quelques services obscurs, quelques sentimens renfermés dans le cercle étroit de sa destinée, quelques écrits qui la feront connoître dans les pays qu'elle n'habite pas, dans les années où elle n'existera plus. Un homme peut, même dans ses ouvrages, réfuter les calomnies dont il est devenu l'objet : mais pour les femmes, se défendre est un désavantage de plus; se justifier, un bruit nouveau. Les femmes sentent qu'il y a dans leur nature quelque chose de pur et de délicat, bientôt flétri par les regards mêmes du public: l'esprit, les talens, une ame passionnée, peuvent les faire sortir du nuage qui devroit toujours les environper; mais sans cesse elles le regrettent comme leur véritable asyle. L'aspect de la malveillance fait trembler les femmes, quelque distinguées qu'elles soient. Courageuses dans le malheur, elles sont timides contre l'inimitié; la pensée les exalte, mais leur caractère reste foible et sensible. La plupart des femmes auxquelles des facultés supérieures ont inspiré le desir de la renommée, ressemblent à Herminie revêtue des armes du combat: les guerriers voient le casque, la lance, le panache étincelant; ils croient rencontrer la force, ils attaquent avec violence, et dès les premiers coups, ils atteignent au cœur. Non-seulement les injustices peuvent altérer entièrement le bonheur et le repos d'une femme; mais elles peuvent détacher d'elle jusqu'aux premiers objets des affections de son cœur. Qui sait si l'image offerte par la calomnie ne combat pas quelquefois contre la vérité des souvenirs? Qui sait si les calomniateurs, après avoir déchiré la vie, ne dépouilleront pas jusqu'à la mort des regrets sensibles qui doivent accompagner la mémoire d'une femme aimée? Dans ce tableau, je n'ai encore parlé que de l'injustice des hommes envers les femmes distinguées celle des femmes aussi n'est-elle point à craindre? N'excitent-elles pas en secret la malveillance des hommes ? Font-elles jamais alliance avec une femme célèbre pour la soutenir, pour la défendre, pour appuyer ses pas chancelans? Ce n'est pas tout encore: l'opinion semble dégager les hommes de tous les devoirs envers une femme à laquelle un esprit supérieur seroit reconnu on peut être ingrat, perfide, méchant envers elle, sans que l'opinion se charge de la venger. N'est-elle pas une femme extraordinaire? Tout est dit alors; on l'abandonne à ses propres forces, on la laisse se débattre avec la douleur. L'intérêt qu'inspire une femme, la puissance qui garantit un homme, tout lui manque souvent à-la-fois : elle promène sa singulière existence, comme les Parias de l'Inde, entre toutes les classes dont elle ne peut être, toutes les classes qui la considèrent comme devant exister par elle seule, objet de la curiosité, peut-être de l'envie, et ne méritant en effet que la pitié. CHAPITRE V. Des Ouvrages d'Imagination. IL est facile de signaler les défauts que le bon goût fait toujours une loi d'éviter dans les ouvrages littéraires; mais il ne l'est pas également d'indiquer quelle est la route que l'imagination doit se tracer à l'avenir pour produire de nouveaux effets. Il est de certains moyens de succès en littérature dont la révolution a nécessairement détruit les causes. Commencons par examiner quels sont ces moyens, et nous serons conduits naturellement à quelques apperçus sur les ressources nouvelles qui peuvent encore se découvrir. Les ouvrages d'imagination agissent sur les hommes de deux manières, en leur présentant des tableaux piquans qui font naître la gaîté, ou en excitant les émotions de l'ame. Les émotions de l'ame ont leur source dans les rapports inhérens à la nature humaine; la gaîté n'est souvent que le résultat des relations diverses, et quelquefois bizarres, établies dans la so ciété. Les émotions de l'ame ont donc une cause durable qui subit peu de changemens par les événemens politiques, tandis qu'à plusieurs égards la gaîté est dépendante des circon stances. Plus vous simplifiez les institutions, plus vous effacez les contrastes dont l'esprit philosophique sait faire ressortir des oppositions frappantes. Voltaire est de tous les écrivains celui dont les ouvrages servent le mieux à démontrer combien un ordre politique raisonnable ôteroit de ressources à la plaisanterie. Voltaire met sans cesse en opposition ce qui devroit être et ce qui étoit, la pédanterie des formes et la frivolité des esprits, l'austérité des dogmes religieux et les mœurs faciles de ceux qui les enseignoient, l'ignorance des grands et leur pouvoir. Enfin la plupart de ses écrits supposent des institutions toujours contraires à la raison; et des institutions assez puissantes pour donner à la plaisanterie qui les attaque, le mérite de la hardiesse. Si telle religion n'étoit pas en autorité dans un pays, il ne seroit pas plus piquant de s'en moquer, qu'il ne le seroit en Europe de tourner en ridicule les cérémonies des Brames. Il en est de même du préjugé de |