qui adoptent le système de la perfectibilité établissent en principe que la perfection n'est pas du domaine de l'homme, mais qu'elle est le but auquel la religion et la morale lui prescrivent d'aspirer. Ce but, qui n'est jamais atteint, est ce qui distingue l'homme de la brute et constitue sa personnalité. Celui qui est le plus près de la perfection peut encore être dépassé par ceux qui le suivent: mais de tous les concurrens qui s'élancent dans la carrière il n'en est aucun qui s'arrête précisément au même point. Otez la perfectibilité, et tous les hommes se ressemblent. Le Précis que je vais essayer de donner de la vie et des écrits de Madame de Staël paroîtra sans doute insuffisant à ceux qui sont curicux de connoître les moindres détails biographiques d'une femme que ses ouvrages ont rendue justement célèbre. Mais, indépendamment des ménagemens qui sont dûs à tout auteur vivant, la gêne des relations actuelles avec le Continent, m'a empêché de recueillir les renseignemens qui auroient pu jeter quelque interêt sur cette notice. Wilhelmine Necker, fille de Jacques Necker et de Susanne Curchod, née à Paris en 1768, y Elle fut élevée sous les yeux de ses parens. n'avoit pas atteint sa dixième année quand son père, qui avoit fait une fortune considérable comme associé du banquier Thélusson, et à qui quelques écrits politiques, et notamment un Eloge de Colbert couronné par l'Académie Françoise, avoient acquis un commencement de célébrité, fut élevé au poste de Directeur des Finances Sous Louis XVI. Sa mère, dont l'historien Gibbon avoit admiré les vertus et les talens pendant son séjour en Suisse, étoit fille d'un Ministre Protestant. Douée par lui de connoissances supérieures à son sexe, elle avoit rempli avant son mariage les fonctions d'institutrice dans la famille de Madame de Vermenoux. Etrangère aux mœurs de Paris, Madame Necker n'avoit aucun des agrémens d'une Françoise: mais un charme plus digite d'elle étoit celui de la décence, de la candeur, de la bonté. Une éducation vertueuse, dit Marmontel, et des itudes solitaires lui avoient donné tout ce que a culture peut ajouter dans l'ame à un excellent naturel. Elle n'avoit d'autres défauts qu'un goût trop passionné pour la littérature, et un désir immodéré d'obtenir une grande célébrité pour elle et pour son époux. Bonhe mère, amie fidelle, et la plus tendre des épouses, elle avoit tout ce qui caractérise la véritable vertu, des principes religieux inébranlables et une grande élévation d'ame. Le sentiment en elle étoit parfait mais au lieu d'éclaircir ses idées, la méditation les troubloit; en les exagérant, elle croyoit les agrandir; pour les étendre, elle s'égaroit dans des abstractions ou dans des hyperboles. Elle sembloit ne voir certains objets qu'à travers un brouillard qui les grossissoit à ses yeux, et alors son expression s'enfloit tellement que l'emphase en eût été risible, si l'on n'avoit pas su qu'elle étoit ingénue. On eût dit, qu'elle réservoit la rectitude et la justesse pour la règle de ses devoirs. Sa conduite fut toujours irréprochable et exemplaire. Lorsque M. Necker fut parvenu à la direction des finances, Madame Necker ne se servit de son pouvoir que pour s'exercer aux actes de la bienfaisance la plus active. Elle contribua à l'amélioration du régime intérieur des hôpitaux de la capitale, et dirigea particulièrement un hospice de charité qu'elle établit à ses frais près de Paris, et qui devint le modèle des établissemens de ce genre. Tous ses écrits font preuve de ses soins pour l'humanité souffrante. Son essai sur les inhumations précipitées, son mémoire sur l'établissement des hospices, et ses réflexions sur le divorce, respirent un zèle ardent pour le bonheur de ses semblables; et elle pensoit tout ce qu'elle écrivoit. Pour faire connoître son époux, pour lui concilier les gens de lettres, dispensateurs de la renommée, et pour faire parler de lui avec éloge dans le monde, Madame Necker avoit formé use soci té littéraire qui se rassembloit chez elle une fois par semaine. A côté de Thomas, Buffon, Diderot, Marmontel, Saint Lambert, et d'autres écrivains fameux, on y voyoit briller tout ce qu'il y avoit de plus distingué parmi les résidens des cours étrangères, particulièrement, le Marquis de Caraccioli, ambassadeur de Naples, Milord Stormont, ambassadeur de la Grande Bretagne, et le Comte de Creutz, ambassadeur de Suède, dont la douce philosophie, les talens éminens, et la vertu modeste, ont reçu par-tout les mêmes tributs d'estime et d'admiration. Mais de tous les Académiciens dont Madame Necker s'étoit environnée pour ranimer ses pensée aux rayons de leur génie, elle n'en plaçoit aucun sur la même ligne que Thomas et Buffon. Elle appeloit le premier l'homme de ce siècle, et le second l'homme des siècles. Le respect et l'attachement qu'elle avoit pour ces deux hommes approchoient de l'adoration; leur autorité étoit pour elle un article de foi. Ce fut en particulier à l'école de Thomas, à cette école si feconde en faux bel-esprit et en inétaphysique entortillée qu'elle se forma à ce style affecté qui, en aspirant toujours à l'élévation et à la pompe, cache son naturel aimable et fatigue le lecteur sans l'intéresser. Guidée par une telle mère, Mademoiselle Necker acquit sans peine cette immense variété de connoissances qui étonne dans ses ouvrages et cette brillante supériorité de style qui en rend la lecture si attachante, malgré la recherche qui s'y fait sentir quelquefois, mais beaucoup plus rarement que dans les écrits de Madame Necker. Enchantés des talens qu'elle déploya de bonne heure, ses parens ne négligèrent rien pour les cultiver. Ils eurent bientôt le loisir de lui consacrer tous leurs momens dans la retraite, Mademoiselle Necker avoit à peine treize ans quand son père, pressé par le besoin d'être loué, qui le tourmenta toute sa vie, publia le Compte rendu au Roi de son administration, et se prévalant du succès sans exemple qu'il eut |