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pénible. Pendant sa fièvre il avoit plusieurs fois témoigné la crainte que son dernier ouvrage n'eût nui à sa fille, et dans son délire il l'avoit souvent bénie ainsi que ses trois enfans.

Ce coup inattendu changea la destinée de Madame de Staël. Après que ses larmes eurent coulé en abondance sur la tombe d'un père qu'elle avoit tendrement aimé, elle chercha quelque adoucissement à sa douleur en rassemblant les fragmens les plus intéressans du portefeuille de M. Necker. Elle les fit paroître à Genève en 1804, avec une notice sur le caractère et la vie privée de son père, sous le titre de Manuscrits de M. Necker publiés par sa fille. Elle eut soin d'y insérer un compliment fait au caractère de Buonaparté en ces mots : "Ce qui

distingue éminemment le Premier Consul, c'est

la fermeté et la décision de son caractère ; "c'est une superbe volonté qui saisit tout, règle. "tout, fixe tout, et qui s'étend ou s'arrête àpropos. Cette volonté telle que je la dépeins d'après un grand modèle, est la première qualité pour gouverner en chef un grand empire. On finit par considérer cette volonté comme un ordre de la nature, et toutes les oppositious cessent." Cette basse flatterie de

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la part d'un homme qui avoit ruiné la France pour y introduire des formes républicaines, ne produisit aucun changement dans les disposition du Premier Consul à son égard. La sentence de son exil ne fut point révoqué, et le roman de Corinne, qui parut après que Buonaparté eut été élevé au trône impérial, l'a probablement rendue irrévocable.

Dévorée de tristesse et d'ennui, Madame de Staël se décida à parcourir les belles contrées de l'Italie. Un ciel toujours serein, des sites variés, une musique ravissante, et la contemplation des ruines de cette superbe Rome, jadis maitresse du monde, lui rendirent insensiblement son talent et son enthousiasme, et donnèrent même un nouvel essor à son génie. C'est à ce voyage que l'Europe littéraire doit Corinne ou l'Italie, monument précieux de la finesse du goût, de l'érudition profonde, de la sensibilité vive et de l'imagination ardente de son Auteur. L'esprit a de la peine à concevoir la réunion de talens que cet ouvrage suppose. Il est écrit avec une éloquence qui approche du sublime; il y règne d'un bout à l'autre l'attachement le plus pur aux vrais principes de la liberté civile; et l'Angleterre et l'Italie y sont mises en contraste d'une

manière peu propre à plaire à ceux qui voudroient anéantir les peuples libres. Ce cri de Corinne à la vue du Forum de Rome: "Hon

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neur donc, éternel honneur aux peuples cou

rageux et libres, puisqu'ils captivent ainsi "les regards de la postérité !" retentit désagréablement à l'oreille des despotes.

Pour se délasser en quelque sorte de cet effort de génie, Madame de Staël joua d'abord la tragédie à Genève, et consentit ensuite à descendre aux humbles fonctions d'éditeur. Quelque tems après qu'elle eut fait paroître Corinne, elle publia deux volumes de Lettres et Pensées du Maréchal Prince de Ligne, et les enrichit d'une courte Préface, où l'on retrouve tout son talent. J'en ai donné une Traduction Angloise, à laquelle je n'attache de prix qu'autant qu'elle m'a fourni l'occasion d'associer mon nom à celui d'un tel éditeur. Ce n'est qu'en cette qualité qu'il est permis de prétendre à cet honneur. On attend aussi avec une juste impatience l'ouvrage que Madame de Staël avoit commencé en 1804 sur l'Allemagne.

Je n'imiterai point les nombreux détracteurs de Madame de Staël, qui se sont plus à publier ses torts et à en allonger faussement le catalogue. C'est au seul burin de

l'histoire qui éternisera son mérite, à révéler les foiblesses qui peuvent l'obscurcir. Il est possible que Madame de Staël, comme son père l'a observé, soit " plus que personne susceptible "d'entraînement ou d'irréflexion;" il se peut qu'elle ait été quelquefois, comme a dit Marmontel," une aimable étourdie:" mais on ne pourra jamais lui contester le premier rang parmi les femmes auteurs qui de nos jours ont illustré la Littérature Françoise.

D. BOILEAU.

Brompton Road,

ler Novembre, 1811.

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