tout la même harmonie, excitoient toujours les applaudissemens de la multitude. L'approbation du peuple grec s'exprimoit bien plus vivement que les suffrages réfléchis des modernes. Une nation qui encourageoit de tant de manières les talens distingués, devoit faire naître entr'eux de grandes rivalités; mais ces rivalités servoient à l'avancement des arts. La palme la plus glorieuse excitoit moins de haine, que n'en font naître les témoignages comptés de l'estime rigoureuse qu'on peut obtenir de nos jours. Il étoit permis au génie de se nommer, à la vertu de s'offrir, et tous les hommes qui se croyoient dignes de quelque renommée, pouvoient s'annoncer sans crainte comme les candidats de la gloire. La nation leur savoit gré d'être ambitieux de son estime. Maintenant la médiocrité toute-puissante force les esprits supérieurs à se revêtir de ses couleurs effacées. Il faut se glisser dans la gloire, il faut dérober aux hommes leur admiration à leur insu. Il importe non-seulement de rassurer par sa modestie, mais il faut même affecter de l'indifférence pour les suffrages, si l'on veut les obtenir. Cette contrainte aigrit quelques esprits, étouffe dans les autres les talens auxquels l'essor et l'abandon sont nécessaires. L'amour-propre persiste; le véritable génie est souvent découragé. L'envie chez les Grecs existoit quelquefois entre les rivaux ; elle a passé maintenant chez les spectateurs, et par une singularité bizarre, la masse des hommes est jalouse des efforts que l'on tente pour ajouter à ses plaisirs, ou mériter son approbation. CHAPITRE II. Des Tragédies grecques. Il faut, C'EST Sur-tout dans les pièces de théâtre qu'on apperçoit visiblement quelles sont les mœurs, la religion, et les loix du pays où elles ont été composées et représentées avec succès. pour être applaudi au théâtre, que l'auteur possède, indépendamment des qualités littéraires, un peu de ce qui constitue le mérite des actions politiques, la connoissance des hommes, de leurs habitudes, et de leurs préjugés. La douleur et la mort sont les premiers moyens des situations tragiques, et la religion modifie toujours puissamment l'action de la douleur, et la terreur de la mort. Voyons donc quels effets les opinions religieuses des Grecs pouvoient ajouter à leurs tragédies, et quels effets elles leur interdisoient. La religion des Grecs étoit singulièrement théatrale; on raconte qu'une tragédie d'Eschyle, les Euménides, produisit une fois une impression si prodigieuse, que les femmes enceintes ne purent en supporter le spectacle; les terreurs de l'enfer, la puissance de la superstition, bien plus que la beauté de la pièce, agissoient ainsi sur les ames. Le poète disposoit en même temps de la foi religieuse, et des passions humaines. Si l'on transportoit le même sujet, la même tragédie, dans les pays où les croyances sont différentes, rien ne seroit plus différent aussi que l'impression que l'on en recevroit. Nous verrons, en examinant la littérature du Nord, quelles sources d'émotions on peut trouver dans une religion d'un autre caractère; et je montrerai en parlant de la littérature moderne, comment, les idées religieuses du christianisme étant trop abstraites et trop mystiques pour être représentées sur le théâtre, les auteurs dramatiques ont dû s'occuper uniquement d'exciter l'intérêt par l'énergique peinture des passions. Je me borne maintenant à ce qui concerne les Grecs. Quelle impression recevoient-ils par le tableau de la mort et de la douleur? et de quelle manière devoient-ils peindre les égaremens des passions, d'après leur systême religieux et politique ? Leur religion attribuoit aux dieux une grande puissance sur les remords des coupables. Elle représentoit sous les couleurs les plus effrayantes, Les les tourmens des criminels. Cette situation mise en scène sous diverses formes, causoit toujours au théâtre un insurmontable effroi. C'est aussi par ce moyen de terreur que les législateurs exerçoient une grande puissance, et que des principes de moralité se maintenoient entre les hommes. L'image de la mort produisoit un effet moins sombre sur les Grecs que sur les modernes. La croyance du paganisme adoucissoit extrêmement la crainte de la mort. anciens revêtissoient la vie à venir des images les plus brillantes; ils avoient matérialisé l'autre monde par des descriptions, par des tableaux; par des récits de tous les genres; et l'abîme que la nature a mis entre l'existence et la mort étoit, pour ainsi dire, comblé par leur mythologie. Ces opinions pouvoient avoir leur utilité politique; mais comme l'idée de la mort fait éprouver à l'imagination des modernes une impression plus forte et plus sensible, elle est parmi nous d'un plus grand effet tragique. Les Grecs étoient beaucoup moins susceptibles de malheur qu'aucun autre peuple de l'antiquité on trouve parmi eux moins d'exemples de suicide que chez les Romains; leurs institu |