la plus forte impression a dû être produite par le premier poète qui a su les peindre. Les élémens se combinent, mais ne se multiplient pas. Vous perfectionnez par les nuances; mais celui qui a pu s'emparer avant tous les autres des couleurs primitives, conserve un mérite d'invention, donne à ses tableaux un éclat que ses successeurs ne peuvent atteindre. Les contrastes de la nature, les effets remarquables qui frappent tous les yeux, transportés pour la première fois dans la poésie, présentent à l'imagination les peintures les plus énergiques, et les oppositions les plus simples, Les pensées qu'on ajoute à la poésie, sont un heureux développement de ses beautés; mais ce n'est pas la poésie même; Aristote l'a nommée le premier un art d'imitation. La puissance de la raison se développe et s'étend chaque jour à des objets nouveaux. Les siècles en ce genre sont héritiers des siècles; les générations partent du point où se sont arrêtées les générations précédentes, et les penseurs philosophes forment à travers les temps une chaîne d'idées que n'interrompt point la mort; il n'en est pas de même de la poésie, elle peut atteindre du premier jet à un certain genre de beautés qui ne seront point surpassées, et tandis que dans les sciences progressives le dernier pas est le plus étonnant de tous, la puissance de l'imagination est d'autant plus vive que l'exercice de cette puissance est plus nouveau. Les anciens étoient animés par une imagination enthousiaste, dont la méditation n'avoit point analysé les impressions. Ils prenoient possession de la terre non encore parcourue, non encore décrite; étonnés de chaque jouissance, de chaque production de la nature, ils y plaçoient un dieu pour l'honorer, pour en assurer la durée. Ils écrivoient sans autre modèle que les objets mêmes qu'ils retraçoient; aucune littérature antécédente ne leur servoit de guide; l'exaltation poétique s'ignorant elle-même, a par cela seul un degré de force et de candeur que l'étude ne peut atteindre, c'est le charme du premier amour; dès qu'il existe une autre littérature, les écrivains ne peuvent méconnoître en eux-mêmes les sentimens que d'autres ont exprimés; ils ne sont plus étonnés par rien de ce qu'ils éprouvent; ils se savent en délire; ils se jugent enthousiastes; ils ne peuvent plus croire à une inspiration surnaturelle. On peut considérer les Grecs, relativement à la littérature, comme le premier peuple qui ait existé les Egyptiens qui les ont précédés ont eu certainement des connoissances et des idées, mais l'uniformité de leurs règles les rendoit, pour ainsi dire, immobiles sous les rapports de l'imagination; les Egyptiens n'avoient point servi de modèles à la poésie des Grecs; elle étoit en effet la première de toutes (*); et loin qu'il faille s'étonner que la première poésie ait été peut-être la plus digne de notre. admiration, c'est à cette circonstance même qu'est due sa supériorité. Donnons encore à cette opinion quelques nouveaux développemens. En examinant les trois différentes époques de la littérature des Grecs, on y apperçoit très-distinctement la marche naturelle de l'esprit humain. Les Grecs ont été d'abord, dans les temps reculés de leur histoire connue, illustrés par leurs poètes. C'est Homère qui caractérise la première époque de la littérature grecque: pendant le siècle de Périclès, on remarque les rapides progrès de l'art dramatique, de l'éloquence, de la morale et les commencemens de la philosophie du temps. (*) On croit que la poésie des Hébreux a précédé celle d'Homère; mais il ne paroît pas que les Grecs en aient eu aucune connoissance. d'Alexandre, une étude plus approfondie des sciences philosophiques devient l'occupation principale des hommes supérieurs dans les lettres. Il faut, sans doute, un certain degré de développement dans l'esprit humain, pour atteindre à la hauteur de la poésie; mais cette partie de la littérature doit perdre néanmoins quelques-uns de ses effets, lorsque les progrès de la civilisation et de la philosophie rectifient toutes les erreurs de l'imagination. On a beaucoup dit que les beaux arts, que la poésie prospéroient sur-tout dans les siècles corrompus; cela signifie seulement que la plupart des peuples libres ne se sont occupés que de conserver leur morale et leur liberté, tandis que les rois et les chefs despotiques ont encouragé volontiers les distractions et les amusemens. Mais l'origine de la poésie, mais le poëme le plus remarquable par l'imagination, celui d'Homère, est d'un temps renommé pour la simplicité des mœurs; ce n'est ni la vertu ni la dépravation qui servent ou nuisent à la poésie; mais elle doit beaucoup à la nouveauté de la nature, à l'enfance de la civilisation: la jeunesse du poète ne peut suppléer en tout à celle du genre humain; il faut que ceux qui écoutent les TOME 1. Ꭰ chants poétiques soient avides de la nature entière, étonnés par ses merveilles, et flexibles à ses impressions; les difficultés que présenteroit une disposition plus philosophique dans les auditeurs ne feroient pas que l'art des vers atteignît à de nouvelles beautés; c'est au milieu des hommes qui s'émeuvent aisément, que l'inspiration sert mieux le véritable poète. L'origine des sociétés, la formation des langues, ces premiers pas de l'esprit humain nous sont entièrement inconnus, et rien n'est plus fatigant, en général, que cette métaphysique qui suppose des faits à l'appui de ses systèmes, et ne peut jamais avoir pour base aucune observation positive. Mais une réflexion que je ferai cependant sur ce sujet, parce qu'elle est nécessaire à celui que je traite, c'est que la nature morale acquiert promptement ce qu'il faut à son développement, comme la nature physique découvre d'abord ce qui est nécessaire à sa conservation. La force créatrice a été prodigue du nécessaire. Les productions nutritives, les idées élémentaires, ont été, pour ainsi dire, offertes à l'homme spontanément. Ce dont il avoit un impérieux besoin, il l'a promptement connu : mais les progrès qui ont suivi les découvertes |