naturels a son terme; ce sont ces combinaisons très-bornées, et peu susceptibles de cette progression qui appartient à toutes les verités morales, de quelque genre qu'elles soient lorsque les poètes s'attachent à revêtir des couleurs de l'imagination les pensées philosophiques et les sentimens passionnés, ils entrent en quelque manière dans cette route où les hommes éclairés avancent sans cesse, à moins que la force ignorante et tyrannique ne leur enlève toute liberté. Les Anglais séparés du continent, Semotos orbe Britannos, s'associèrent peu, de tout temps, à l'histoire et aux mœurs des peuples voisins: ils ont un caractère à eux dans chaque genre; leur poésie n'est semblable ni à celle des Français, ni même à celle des Allemands: mais ils n'ont pas atteint, ni aucun de ces peuples modernes, à l'invention poétique dont la littérature du Midi a recueilli toute la gloire. Les Anglais observent la nature, et savent la peindre: mais ils ne sont pas créateurs. Leur supériorité consiste à vivement exprimer ce qu'ils voient et ce qu'ils éprouvent; ils ont l'art d'unir intimement les réflexions philosophiques aux sensations produites par les beautés de la campagne, l'aspect du ciel et de la terre, à toutes les heures du jour et de la nuit, réveille dans notre esprit diverses pensées; et l'homme qui se laisse aller à ce que la nature lui inspire, éprouve une suite d'impressions toujours pures, toujours élevées, toujours analogues aux grandes idées morales et religieuses qui unissent l'homme avec l'avenir. Au moment de la renaissance des lettres, et au commencement de la littérature anglaise, un assez grand nombre de poètes anglais s'écarta du caractère national, pour imiter les Italiens. J'ai cité Waller et Cowley pour être de ce nombre: je pourrois y joindre Downe, Chaucer, &c. Les essais dans ce genre ont encore plus mal réussi aux Anglais qu'aux autres peuples, ils manquent visiblement de grace dans les formes ils manquent de cette promptitude, de cette facilité, de cette aisance d'esprit, qui s'acquiert par le commerce habituel avec les hommes réunis en société dans le seul but de se plaire. Il y a beaucoup de fautes de goût dans un poëme de Pope, qui étoit destiné particulièrement à montrer de la grace-la Boucle de Cheveux enlevée. Spencer's Fairy Queen, est ce qu'il y a de plus fatigant au monde; le poëme d'Hudi bras, quoique spirituel, est rempli de plaisanteries prolongées jusqu'à la satiété. Les fables de Gay ont de l'esprit, mais point de naturel ; et l'on ne peut jamais comparer sous aucun rapport les pièces fugitives des Anglais, leurs contes burlesques, &c. avec les écrits de Voltaire, de l'Arioste, ou de Lafontaine. Mais n'est-ce point assez de savoir parler la langue des affections profondes; faut-il attacher beaucoup de prix à tout le reste? Quelle sublime méditation que celle des Anglais comme ils sont féconds dans les sentimens et les idées que développe la solitude! Quelle profonde philosophie que celle de l'Essai sur l'Homme! Peut-on élever l'ame et l'imagination à une plus grande hauteur que dans le Paradis Perdu ? Ce n'est pas l'invention poétique qui fait le mérite de cet ouvrage; le sujet est presque entièrement tiré de la Génèse; ce que l'auteur y a ajouté d'allégorique en quelques endroits, est réprouvé par le goût. On s'apperçoit souvent que le poète est contraint ou dirigé par sa soumission à l'orthodoxie: mais ce qui fait de Milton l'un des premiers poètes du monde, c'est l'imposante grandeur des caractères qu'il a tracés. Son ouvrage est surtout remarquable par la pensée; la poésie qu'on y admire a été inspirée par le besoin d'égaler les images aux conceptions de l'esprit : c'est pour faire comprendre ses idées intellectuelles, que le poète a eu recours aux plus terribles tableaux qui puissent frapper l'imagination: avant de donner une forme à Satan, il l'avoit conçu immatériel ; il s'étoit représenté sa nature morale, avant d'accorder avec ce caractère sa gigantesque stature, et l'épouvantable aspect de l'enfer qu'il doit habiter. Avec quel talent il vous transporte de cet enfer dans le paradis! comme il vous promène à travers toutes les sensations enivrantes de la jeunesse, de la nature et de l'innocence! Ce n'est pas le bonheur des jouissances vives, c'est le calme qu'il met eu contraste avec le crime, et l'opposition est bien plus forte ! la piété d'Adam et d'Eve, les différences primitives du caractère et de la destinée des deux sexes sont peintes comme la philosophie et l'imagination devoient les caractériser (*). Not equal, as their sexes not equal; For contemplation he, and valour formed; Le Cimetière de Gray, l'épitre sur le Collège d'Eaton, le Village Abandonné de Goldsmith, sont remplis de cette noble mélancolie qui est la majesté du philosophe sensible. Où peut-on trouver plus d'enthousiasme poétique que dans l'Ode à la Musique de Dryden? Quelle passion dans la lettre d'Héloïse! est-il une plus délicieuse peinture de l'amour, dans le mariage, que les vers qui terminent le premier chant de Thomson sur le printems (*)? Que de réflexions pro "Ces deux nobles créatures (Adam et Eve) ne sont point semblables en tout, et diflèrent comme leurs sexes. Lui, formé pour la méditation et la valeur ; elle, pour la douceur et la grace attirante; lui, pour adorer Dieu seul; elle, pour adorer Dieu en lui." (*) Tout le monde connoît ce morceau de Thomson; mais je n'ai pu me refuser à en placer ici l'extrait, afin que les femmes, entre les mains desquelles tombera cet ouvrage, aient une occasion de plus de relire de tels vers: But happy they! the happiest of their kind! Whom gentler stars unite, and in one fate Their hearts, their fortunes, and their beings blend. 'Tis not the coarser tie of human laws, Unnatural oft, and foreign to the mind, That binds their peace, but harmony itself, Where friendship full-exerts her softest power, |