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leur attendrissement à la plainte volontaire; ils s'abandonnent à l'émotion que fait naître une douleur qui ne répond plus d'elle. La folie, telle qu'elle est peinte dans Shakespear, est le plus beau tableau du naufrage de la nature morale, quand la tempête de la vie surpasse ses forces.

Il existe sur le théâtre français de certaines règles de convenance, même pour la douleur. Elle est en scène avec elle-même; les amis lui servent de cortège, et les ennemis de témoins. Mais ce que Shakespear a peint avec une vérité, avec une force d'ame admirable, c'est l'isolement. Il place à côté des tourmens de la douleur, l'oubli des hommes et le calme de la nature, ou bien un vieux serviteur, seul être qui se souvienne encore que son maître a été roi. C'est-là bien connoître ce qu'il y a de plus déchirant pour l'homme; ce qui rend la douleur poignante. Celui qui souffre, celui qui meurt en produisant un grand effet quelconque de terreur ou de pitié, échappe à ce qu'il éprouve pour observer ce qu'il inspire; mais ce qui est énergique dans le talent du poète, ce qui suppose, même un caractère à l'égal du talent, c'est d'avoir conçu la douleur pesant toute

que l'homme a

entière sur la victime; et tandis besoin d'appuyer sur ceux qui l'entourent jusqu'au sentiment même de sa prospérité, l'énergique et sombre imagination des Anglais nous représente l'infortuné séparé par ses revers, comme par une contagion funeste, de tous les regards, de tous les souvenirs, de tous les amis. La société lui retire ce qui est la vie, avant que la nature lui ait donné la mort.

Le théâtre de la France république admettrat-il maintenant, comme le théâtre anglais, les héros peints avec leurs foiblesses, les vertus avec leurs inconséquences, les circonstances vulgaires à côté des situations les plus élevées ? Enfin les caractères tragiques seront-ils tirés des souvenirs, ou de l'imagination, de la vie humaine, ou du beau idéal? C'est une question que je me propose de discuter, lorsqu'après avoir parlé des tragédies de Racine et de Voltaire, j'exa minerai, dans la seconde partie de cet ouvrage, l'influence que doit avoir la révolution sur la littérature française.

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CHAPITRE XIV.

De la Plaisanterie Anglaise.

ON On peut distinguer différens genres de plaisanteries dans la littérature de tous les pays; et rien ne sert mieux à faire connoître les mœurs d'une nation, que le caractère de gaîté le plus généralement adopté par ses écrivains. On est sérieux seul, on est gai pour les autres, sur-tout dans les écrits; et l'on ne peut faire rire que par des idées tellement familières à ceux qui les écoutent, qu'elles les frappent à l'instant même, et n'exigent d'eux aucun effort d'attention.

Quoique la plaisanterie ne puisse se passer aussi facilement qu'un ouvrage philosophique d'un succès national, elle est soumise, comme tout ce qui tient à l'esprit, au jugement du bon goût universel. Il faut une grande finesse pour rendre compte des causes de l'effet comique, mais il n'en est pas moins vrai que l'assentiment général doit se réunir sur les ch fs-d'œuvre en ce gere comme sur tous les autres.

La gaîté, qu'on doit pour ainsi dire, à l'in

spiration du goût et du génie; la gaîté produite par les combinaisons de l'esprit, et la gaîté que les Anglais appellent humour, n'ont presque aucun rapport l'une avec l'autre ; et dans aucune de ces dénominations la gaîté du caractère n'est comprise, parce qu'il est prouvé par une foule d'exemples qu'elle n'est de rien dans le talent qui fait écrire des ouvrages gais. La gaîté de l'esprit est facile à tous les hommes qui ont de l'esprit; mais c'est le génie d'un homme et le bon goût de plusieurs qui peuvent seuls inspirer la véritable comédie.

J'examinerai dans un des chapitres suivans par quelles raisons les Français pouvoient seuls atteindre à cette perfection de goût, de grace, de finesse et d'observation du cœur humain, qui nous a valu les chefs-d'œuvre de Molière. Cherchons maintenant à savoir pourquoi les mœurs des Anglais s'opposent au vrai génie de la gaîté.

La plupart des hommes, absorbés par les affaires, ne cherchent, en Angleterre, le plaisir que comme un délassement; et de même que la fatigue, en excitant la faim, rend facile sur tous les mets, le travail continuel et réfléchi prépare à se contenter de toute espèce de dis

traction. La vie domestique, des idées religieuses assez sévères, des occupations sérieuses, un climat lourd, rendent les Anglais assez susceptibles des maladies d'ennui; et c'est par cette raison même que les amusemens délicats de l'esprit ne leur suffisent pas. Il faut des secousses fortes à cette espèce d'abattement, et les auteurs partagent le goût des spectateurs à cet égard, ou s'y conforment.

La gaîté qui sert à faire une bonne comédie, suppose une observation très-pénétrante des caractères. Pour que le génie comique se développe, il faut vivre beaucoup en société, attacher beaucoup d'importance aux succès de société, et se connoître, et se rapprocher par cette multitude d'intérêts de vanité, qui donnent lieu à tous les ridicules, comme à toutes les combinaisons de l'amour-propre. Les Anglais sont retirés dans leurs familles, ou réunis dans des assemblées publiques pour les discussions nationales. L'intermédiaire qu'on appelle la société n'existe presque point parmi eux; et c'est dans cet espace frivole de la vie que se forment cependant la finesse et le goût.

Les rapports politiques des hommes entre aux effacent les nuances, en prononçant forte-ment les caractères. La grandeur du but, la

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