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ce qui est bas pourroit ôter jusqu'à la possibilité de reprendre à l'intérêt des pensées d'un certain ordre.

Shakespear peut triompher de ses défauts en Angleterre mais ils diminuent beaucoup de sa gloire parmi les autres nations. La surprise est certainement un grand moyen d'ajouter à l'effet ; mais il seroit ridicule d'en conclure que l'on doive faire précéder une scène tragique d'une scène comique, pour augmenter l'étonnement par le contraste. Un beau trait, au milieu de négligences grossières, peut frapper davantage l'esprit; mais l'ensemble y perd plus que ne peut y gagner l'exception. La surprise doit naître de la grandeur en elle-même, et non de son opposition avec les petitesses, de quelque genre qu'elles soient. La peinture veut des ombres, mais non pas des taches pour relever l'éclat des couleurs. La littérature doit suivre les mêmes principes. La nature en offre le modèle, et le bon goût ne doit être que l'observation raisonnée de la nature.

On pourroit pousser beaucoup plus loin ces développemens; mais ce qui est certain, c'est que le goût, en littérature, n'exige jamais le sacrifice d'aucunè jouissance: il indique, au

contraire, les moyens de les augmenter; et loin que les principes du goût soient incompatibles avec le génie, c'est en étudiant le génie qu'on a découvert ces principes.

Je ne reprocherai point à Shakespear de s'être affranchi des règles de l'art; elles ont infiniment moins d'importance que celles du goût, parce que les unes prescrivent ce qu'il faut faire, et que les autres se bornent à défendre ce qu'on doit éviter. L'on ne peut se tromper sur ce qui est mauvais, tandis qu'il est impossible de tracer des limites aux diverses combinaisons d'un homme de génie; il peut suivre des routes entièrement nouvelles, sans manquer cependant son but. Les règles de l'art sont un calcul de probabilités sur les moyens de réussir; et si le succès est obtenu, il importe peu de s'y être soumis. Mais il n'en est pas de même du goût; car se mettre au-dessus de lui, c'est s'écarter de la beauté même de la nature; et il n'y a rien au-dessus d'elle.

Ne disons donc pas que Shakespear a su se passer de goût, et se montrer supérieur à ses loix. Reconnoissons, au contraire, qu'il a du goût quand il est sublime, et qu'il manque de goût quand son talent foiblit.

CHAPITRE XIII.

Des Tragédies de Shakespear.

LES Anglais ont pour Shakespear l'enthousiasme le plus profond qu'aucun peuple ait jamais ressenti pour un écrivain. Les peuples libres ont un esprit de propriété pour tous les genres de gloire qui illustrent leur patrie; et ce sentiment doit inspirer une admiration, qui exclut toute espèce de critique.

Il y a dans Shakespear des beautés du premier genre, et de tous les pays comme de tous les temps, des défauts qui appartiennent à son siècle, et des singularités tellement populaires parmi les Anglais, qu'elles ont encore le plus grand succès sur leur théâtre. Ce sont ces beautés et ces bizarreries que je veux examiner dans leur rapport avec l'esprit national de l'Angleterre et le génie de la littérature du nord.

Shakespear n'a point imité les anciens; il re s'est point nourri, comme Racine, des tragédies Il a fait une pièce sur un sujet grec,

grecques.

Toile et Cresside, et les mœurs d'Homère n'y sont point observées. Il est bien plus admirable dans ses tragédies sur des sujets romains. Mais l'histoire, mais les vies de Plutarque, que Shake-, spear paroît avoir lues avec le plus grand soin, ne sont point une étude purement littéraire; on peut y observer l'homme presque commne vivant Lorsqu'on se pénètre uniquement des modèles de l'art dans l'antiquité; lorsqu'on imite l'imitation, on a moins d'originalité; on n'a pas ce génie qui peint d'après nature, ce génie immédiat, si je puis m'exprimer ainsi, qui caractérise particulièrement Shakespear. Depuis les Grecs jusqu'à lui, nous voyons toutes les littératures dériver les unes des autres, en partant de la même source. Shakespear commence une littérature nouvelle; il est empreint, sans doute, de l'esprit et de la couleur générale des poésies du nord; mais c'est lui qui a donné à la littérature des Anglais son impulsion, et à leur art dramatique son caractère.

Une nation devenue libre, dont les passions ont été fortement agitées par les horreurs des guerres civiles, est beaucoup plus susceptible de l'émotion excitée par Shakespear, que de celle causée par Racine. Le malheur, alors qu'il

pèse long-temps sur les peuples, leur donne un caractère que la prospérité même qui succède ne peut point effacer. Shakespear, égalé quelquefois depuis par des auteurs anglais et allemands, est l'écrivain qui a peint le premier la douleur morale au plus haut degré; l'amertume de souffrance dont il donne l'idée pourroit presque passer pour une invention, si la nature ne s'y reconnoissoit pas.

Les anciens croyoient au fatalisme qui frappe comme la foudre et renverse comme elle. Les modernes, et sur-tout Shakespear, trouvent de plus profondes sources d'émotions dans la nécessité philosophique. Elle se compose du souvenir de tant de malheurs irréparables, de tant d'efforts inutiles, de tant d'espérances trompées. Les anciens habitoient un monde trop nouveau, possédoient encore trop peu d'histoires, étoient trop avides d'avenir pour que le malheur qu'ils peignoient, fût jamais aussi déchirant que dans les pièces anglaises.

La terreur de la mort, sentiment dont les anciens, par religion et par stoïcisme, ont rarement développé les effets, Shakespear l'a représentée sous tous les aspects. Il fait sentir cette impression redoutable, ce frisson glacé qu'éprouve l'homme alors que, plein de vie, il apprend qu'il

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