dans les tragédies des Italiens (*). Il est dans leur caractère de se réveiller tout-à-coup par ce sentiment au milieu de la mollesse habituelle de leur vie; ils expriment le ressentiment avec ses couleurs naturelles, parce qu'ils l'éprouvent réellement. Les opéras seuls sont suivis, parce que les opéras font entendre cette délicieuse musique, la gloire et le plaisir de l'Italie. Les acteurs ne s'exercent point à bien jouer les pièces tragiques, parce qu'elles ne sont point écoutées; et cela doit être ainsi lorsque le talent d'émouvoir n'est pas porté assez loin pour l'emporter sur tout autre plaisir. Les Italiens n'ont pas besoin d'être attendris, et les auteurs, faute de spectateurs, et les spectateurs, faute d'auteurs, ne se livrent point aux impressions profondes de l'art dramatique. La mélancolie, ce sentiment fécond en ouvrages de génie, semble appartenir presqu'exclusivement aux climats du nord. Les orientaux, que les Italiens ont souvent imités, avoient bien néanmoins une sorte de mélancolie. On en trouve dans quelques poésies (*) Rosmunda d'Alfieri, &c. arabes, et sur-tout dans les pseaumes des Hébreux; mais elle a un caractère distinct de celle dont nous allons parler, en analysant la littérature du nord. Des idées religieuses positives, soit chez les mahométans, soit chez les juifs, soutiennent et dirigent dans l'orient les affections de l'ame. Ce n'est pas ce vague terrible qui porte à l'ame une impression plus philosophique et plus sombre. La mélancolie des orientaux est celle des hommes heureux par toutes les jouissances de la nature; ils réfléchissent seulement avec regret sur le rapide passage de la prospérité, sur la brièveté de la vie. La mélancolie des peuples du nord est celle qu'inspirent les souffrances de l'ame, le vide que la sensibilité fait trouver dans l'existence, et la rêverie, qui promène sans cesse la pensée, de la fatigue de la vie à l'inconnu de la mort. CHAPITRE XI. De la Littérature du Nord. Il existe, ce me semble, deux littératures toutà-fait distinctes, celle qui vient du midi et celle qui descend du nord, celle dont Homère est la première source, celle dont Ossian est l'origine. Les Grecs, les Latins, les Italiens, les Espagnols, et les Français du siècle de Louis XIV, appartiennent au genre de la littérature que j'appellerai la littérature du midi. Les Anglais, les Allemands, et quelques écrits des Danois et des Suédois, doivent être classés dans la littérature du nord. Avant de caractériser les écrivains anglais et les écrivains allemands, il me paroît nécessaire de considérer d'une manière générale les principales différences des deux hémisphères de la littérature. Les Anglais et les Allemands ont, sans doute, souvent imité les anciens. Ils ont retiré d'utiles leçons de cette étude féconde; mais leurs beautés originales ont une sorte de ressemblance, une certaine grandeur poétique dont Ossian est le premier type. Les poètes anglais, pourra-ton dire, sont remarquables par leur esprit philosophique; il se peint dans tous leurs ouvrages; mais Ossian n'a presque jamais d'idées réfléchies: il raconte une suite d'événemens et d'impressions. Je réponds à cette objection que les images et les pensées les plus habituelles, dans Ossian, sont celles qui rappellent la brièveté de de la vie, le respect pour les morts, l'illustration de leur mémoire, le culte de ceux qui restent envers ceux qui ne sont plus. Si le poète n'a point réuni à ces sentimens des maximes de morale ni des réflexions philosophiques, c'est qu'à cette époque l'esprit humain n'étoit point encore susceptible de l'abstraction nécessaire pour concevoir beaucoup de résultats. Mais l'ébranlement que les chants ossianiques causent à l'imagination, dispose la pensée aux méditations les plus profondes. La poésie mélancolique est la poésie la plus d'accord avec la philosophie. La tristesse fait pénétrer bien plus avant dans le caractère et la destinée de l'homme, que toute autre disposition de l'ame. Les poètes anglais qui ont succédé à Ossian, ont ajouté à ses tableaux les réflexions et les idées que ces tableaux mêmes devoient faire naître; mais ils ont conservé l'imagination du nord, celle qui se plaît sur le bord de la mer, au bruit des vents, dans les bruyères sauvages; celle enfin qui porte vers l'avenir, vers un autre monde l'ame fatiguée de sa destinée. L'imagination des hommes du nord s'élance au-delà de cette terre dont ils habitoient les confins; elle s'élance à travers les nuages qui bordent leur horizon, et semblent représenter l'obscur passage de la vie à l'éternité. L'on ne peut décider d'une manière générale entre les deux genres de poésie dont Homère et Ossian sont comme les sources premières. Toutes mes impressions, toutes mes idées me portent de préférence vers la littérature du nord ; mais ce dont il s'agit maintenant, c'est d'examiner ses caractères distinctifs. Le climat est certainement l'une des raisons principales des différences qui existent entre les images qui plaisent dans le nord, et celles qu'on aime à se rappeler dans le midi. Les rêveries des poètes peuvent enfanter des objets extraordinaires; mais les impressions d'habitude se retrouvent nécessairement dans tout ce que l'on compose. Eviter le souvenir de ces impressions, |