dans la langue de l'amour, qui en éloignoit toutà-fait la vérité. Il rappelle, à cet égard, le mauvais goût du siècle de Louis XIV. La manie d'exercer son esprit à froid sur les sentimens du cœur, doit produire par-tout des résultats à-peu-près semblables, malgré la différence des temps. Mais cette affectation est le défaut de l'esprit d'Ovide; il ne rappelle en rien le caractère général de l'antiquité. Ce qui manque aux anciens dans la peinture de l'amour, est précisément ce qui leur manque en idées morales et philosophiques. Lorsque je parlerai de la littérature des modernes, et en particulier de celle du dix-huitième siècle, où l'amour a été peint dans Tancrède, la nouvelle Héloïse, Werther et les poètes anglais, etc., je montrerai comment le talent exprime avec d'autant plus de force et de chaleur les affections sensibles, que la réflexion et la philosophie ont élevé plus haut la pensée. On a fait trop souvent la comparaison du siècle de Louis XIV avec celui d'Auguste, pour qu'il soit possible de la recommencer ici; mais je développerai seulement une observation importante pour le systême de perfectibilité que je soutiens. Descartes, Bayle, Pascal, Molière, Labruyère, Bossuet, les philosophes anglais qui appartiennent aussi à la même époque de l'histoire des lettres, ne permettent d'établir aucune paté entre le siècle de Louis XIV et celui d'Auguste, pour les progrès de l'esprit humain. Néanmoins on se demande pourquoi les anciens, et sur-tout les Romains, ont possédé des historiens tellement parfaits, qu'ils n'ont été jamais égalés par les moderne, et en particulier pourquoi les Français n'ont aucun ouvrage complet à présenter en ce genre. J'analyserai, dans le chapitre sur le siècle de Louis XIV, les causes de la médiocrité des Français, comme historiens. Mais je dois prouver ici que, pour bien écrire l'histoire, une connoissance très-approfondie du cœur humain n'est pas nécessaire; car, en la supposant indispensable, il seroit contradictoire au systême de progression dans la pensée, que les historiens de l'antiquité fussent infiniment au-dessus des modernes. On a besoin d'une plus profonde connoissance de l'homme pour être un grand moraliste, que pour devenir un bon historien. Tacite est le seul écrivain de l'antiquité qui ait réuni ces deux qualités à un degré presque égal. Les souffrances et les craintes attachées à la servitude avoient hâté sa réflexion; et son expérience étoit plus âgée que le monde. Tite-Live, Salluste, des historiens d'un ordre inférieur, Florus, Cornélius Népos, etc. nous charment par la grandeur et la simplicité des récits, par l'éloquence des harangues qu'ils prêtent à leurs grands hommes, par l'intérêt dramatique qu'ils savent donner à leurs tableaux. Mais ces historiens ne peignent, pour ainsi dire, que l'extérieur de la vie. C'est l'homme tel qu'on le voit, tel qu'il se montre; ce sont les fortes couleurs, les beaux contrastes du vice et de la vertu; mais on ne trouve dans l'histoire ancienne, ni l'analyse philosophique des impressions morales, ni l'observation pénétrante des caractères, ni les symptômes inapperçus des affections de lame. La vue intellectuelle de Montaigne va bien plus loin que celle d'aucun écrivain de l'antiquité. On ne desire point, il est vrai, ce genre de supériorité dans l'histoire; il faut que la nature humaine y soit représentée seulement dans son ensemble; il faut que les héros y restent grands, qu'ils paroissent tels à travers les siècles. Les moralistes découvrent des foiblesses, qui sont les ressemblances cachées de tous les hommes entr'eux : l'historien doit prononcer fortement leurs différences. Les anciens, qui se complaisoient dans l'admiration, qui ne cherchoient point à diminuer l'odieux du vice, ni le mérite de la vertu, avoient une qualité presque aussi nécessaire à l'intérêt de la vérité qu'à celui de la fiction; ils étoient fidèles à l'enthousiasme comme au mépris, et souvent même les caractères étoient plus soutenus dans leurs tableaux historiques que dans leurs ouvrages d'imagination. Le mérite de l'histoire ainsi conçu, il me semble que l'on ne peut arguer de la supériorité des historiens de l'antiquité contre la marche progressive de la pensée. Cette supériorité avoit pour principale cause la manière de peindre et de raconter que les anciens avoient adoptée; elle exigeoit le mouvement, l'intérêt, l'imagination, mais non la connoissance intime des secrets du cœur humain. Comment auroient-ils pu la posséder, en effet, à l'égal de ceux que des siècles et des générations multipliées ont instruits par de nouveaux exemples, et qui peuvent contempler dans la longue histoire du passé, tant de crimes, tant de revers, tant de souffrances de plus! CHAPITRE VII. De la Littérature latine, depuis la mort d'Auguste jusqu'au règne des Antonins. APRES le siècle de Louis XIV, et pendant le siècle de Louis XV, la philosophie a fait de grands progrès, sans que la poésie ni le goût littéraire se soient perfectionnés. On peut observer une marche à-peu-près pareille depuis Auguste jusqu'aux Antonins, avec cette différence cependant, que les empereurs qui ont régné pendant ce temps, ayant été des monstres abominables, l'empire n'a pu se soutenir, l'esprit général a dû se dégrader, et un très-petit nombre d'hommes ont conservé la force d'esprit nécessaire pour se livrer aux études philosophiques et littéraires, Le règne d'Auguste avoit avili les ames; un repos sans dignité avoit presque effacé jusqu'aux souvenirs des vertus courageuses auxquelles Rome devoit sa grandeur. Horace ne rougissoit point de publier lui-même dans ses vers qu'il avoit fui le jour d'une bataille. Cicéron et ТОМЕ І. H |