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mœurs et les progrès de leur esprit, fussent plus capables que les Grecs d'affections profondes, on ne trouve point, dans leurs écrits, jusqu'au règne d'Auguste, la trace des idées et des expressions sensibles que ces affections devoient leur inspirer. L'habitude de ne laisser voir aucune de leurs impressions personnelles, de porter toujours l'intérêt vers les principes philosophiques, donne de l'énergie, mais souvent aussi de la sécheresse et de l'uniformité à leur littérature. "Quant à ce sentiment, dit Cicéron, vulgairement appelé l'amour, il est presque superflu de démontrer combien il est indigne de l'homme." Ailleurs il dit, en par lant des regrets et des pleurs versés sur les tombeaux, que "ces témoignages de douleur ne "conviennent qu'aux femmes.” Il ajoute 'qu'ils sont de mauvais augure." Ainsi l'homme qui vouloit dompter la nature, cédoit à la superstition.

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Sans vouloir discuter ici quel avantage résulte, pour une nation, de cette force morale, exaltée par tous les efforts réunis des institutions et des mœurs, il est certain que la littérature doit avoir moins de variété, lorsque l'esprit de chaque homme a sa route tracée par l'esprit

national, et que les efforts individuels tendent tous à perfectionner un seul genre, au lieu de se diriger vers celui pour lequel chacun a le plus de talent.

Le

Les combats des gladiateurs avoient pour objet d'intéresser fortement le peuple romain par l'image de la guerre et le spectacle de la mort ; mais dans ces jeux sanglans, les Romains exigeoient encore que les esclaves sacrifiés à leurs ba. bares plaisirs, sussent triompher de la douleur, et n'en laissassent échapper aucun témoignage. Cet empire continuel sur les affections, est peu favorable aux grands effets de la tragédie aussi la littérature latine ne contientelle rien de vraiment célèbre en ce genre. caractère romain avoit certainement la grandeur tragique; mais il étoit trop contenu pour être théâtral. Dans les classes même du peuple, une certaine gravité distinguoit toutes les actions. La folie causée par le malheur, ce cruel tableau de la nature physique, troublée par les souffrances de l'ame, ce puissant moyen d'émotion, dont Shakespear a tiré le premier des scènes si déchirantes, les Romains n'y auroient vu que la dégradation de l'homme. On ne cite même dans leur histoire aucune femme,

aucun homme connu, dont la raison ait été dérangée par le malheur. Le suicide étoit trèsfréquent parmi les Romains, mais les signes extérieurs de la douleur extrêmement rares. Le mépris qu'excitoit la démonstration de la peine, faisoit une loi de mourir ou d'en triompher. Il n'y a rien dans une telle disposition, qui puisse fournir aux développemens de la tragédie.

On n'auroit jamais pu, d'ailleurs, transporter à Rome l'intérêt que trouvoient les Grecs dans les tragédies dont le sujet étoit national. Les Romains n'auroient point voulu qu'on représentât sur le théâtre ce qui pouvoit tenir à leur histoire (*), à leurs affections, à leur patrie. Un sentiment religieux consacroit tout ce qui leur étoit cher. Les Athéniens croyoient aux mêmes dogmes, défendoient aussi leur patrie, aimoient aussi la liberté ; mais ce respect qui

(*) Il existe une tragédie sur un sujet romain, la mort d'Octavie; mais elle a été composée, comme la nature du sujet le prouve, long-temps après la destruction de la république; et quoiqu'elle soit dans les Œuvres de Sénèque, on en ignore l'auteur, et l'on ne sait pas si elle a jamais été représentée.

agit sur la pensée, qui écarte de l'imagination jusqu'à la possibilité des actions interdites, ce respect qui tient à quelques égards de la superstition de l'amour, les Romains seuls l'éprouvoient pour les objets de leur culte.

A

A Athènes, la philosophie étoit, pour ainsi dire, l'un des beaux arts que cultivoit ce peuple, enthousiaste de tous les genres de célébrité. Rome, la philosophie avoit été adoptée comme un appui de la vertu; les hommes d'état l'étudioient comme un moyen de mieux gouverner leur patrie. La grandeur de la république romaine étoit l'unique objet de leurs travaux; elle réfléchissoit sur ses guerriers, sur ses écrivains, sur ses magistrats, plus d'éclat qu'aucune gloire isolée n'auroit pu leur en assurer.

Un même but doit donner à la littérature créée par la république romaine, un même esprit, une même couleur. C'est par C'est par la perfection, et non par la variété, par la dignité, et non par la chaleur, par la sagesse, et non par l'invention, que les écrits de ce temps sont remarquables. Une autorité de raison, une majesté de caractère singulièrement imposante, garantit à chaque phrase, à chaque mot son acception toute entière. Loin d'avoir rien à retrancher à

la valeur de chaque terme, il semble, au contraire, qu'ils supposent au-delà de ce qu'ils expriment. Les Romains donnent beaucoup trop de développemens à leurs idées; mais ce qui appartient aux sentimens est toujours exprimé avec concision.

La première époque de la littérature latine étant très-rapprochée de la dernière de la littérature des Grecs, on y remarque aussi les mêmes défauts, qui tiennent, comme ceux des Grecs, à ce que le monde connu n'existoit pas depuis long-temps. On trouve beaucoup de longueurs dans de certains sujets, de l'ignorance et de l'erreur sur plusieurs autres. Les Romains sont supérieurs aux Grecs dans la carrière de la pensée mais combien toutefois dans cette même carrière ne sont-ils pas au-dessous des modernes !

La principale cause de l'admiration qui nous saisit en lisant le petit nombre d'écrits qu'il nous reste de la première époque de la littérature romaine, c'est l'idée que ces écrits nous donnent du caractère et du gouvernement des Romains. L'histoire de Salluste, les lettres de Brutus (*

(*) Brutus ne s'étoit point occupé du talent d'écrire, et dans ses lettres sur-tout il n'avoit pour but que de servir des intérêts politiques de son pays; et cependant la lettre

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