une espèce de gymnastique, dans laquelle on voit l'orateur presser le peuple par ses argumens, comme s'il vouloit le terrasser. Le mouvement que Démosthène exprime le plus souvent, c'est l'indignation que lui inspirent les Athéniens; cette colère contre le peuple, assez naturelle peut-être dans une démocratie, revient sans cesse dans les discours de Démosthène. Il parle de lui-même d'une manière digne; c'est-à-dire, rapide et indifférente. J'examinerai, dans le chapitre suivant, quelques-unes des raisons politiques de la différence qui existe entre Cicéron et Démosthène ; ce qu'on peut remarquer en général dans les orateurs grecs, c'est qu'ils ne se servent que d'un petit nombre d'idées principales, soit qu'on ne puisse frapper le peuple qu'avec peu d'argumens exprimés fortement et long-temps développés, soit que les harangues des Grecs eussent le même défaut que leur littérature, l'uniformité. Les anciens, pour la plupart, n'ont pas une grande variété de pensées. Leurs écrits sont comme la musique des Ecossais, qui composent des airs avec cinq notes, dont la parfaite harmonie éloigne toute critique, sans captiver profondément l'intérêt. Enfin les Grecs, tout étonnans qu'ils sont, laissent peu de regrets. C'est ainsi que devoit être un peuple, qui commençoit la civilisation du monde. saires pour exciter le développement de l'esprit humain ; mais on n'éprouve point en les voyant disparoître de l'histoire, la même douleur qu'inspire la perte du nom et du caractère des Romains. Les mœurs, les habitudes, les connoissances philosophiques, les succès militaires, tout semble chez les Grecs ne devoir être que passager; c'est la semence que le vent emportera dans tous les lieux de la terre, mais qui ne restera point où elle est née. Ils ont toutes les qualités néces L'amour de la réputation étoit le principe de toutes les actions des Grecs; ils étudioient, pour être admirés; ils supportoient la douleur, pour exciter l'intérêt; ils adoptoient des opinions, pour avoir des disciples; ils défendoient leur patrie, pour la gouverner (*). Mais ils (*) Alcibiade et Thémistocle ont voulu se venger de leur patrie en lui suscitant des ennemis étrangers; jamais un Romain ne se fut rendu coupable d'un tel crime. Coriolan en est le seul exemple, et il ne put se résoudre à l'achever. n'avoient point ce sentiment intime, cette volonté réfléchie, cet esprit national, ce dévouement patriotique qui ont distingué les Romains. Les Grecs devoient donner l'impulsion à la littérature et aux beaux arts. Les Romains ont fait porter au monde l'empreinte de leur génie. CHAPITRE V. De la Littérature latine, pendant que la République Romaine duroit encore. Il faut distinguer dans toutes les littératures ce qui est national de ce qui appartient à l'imitation. L'empire romain ayant succédé à la domination d'Athènes, la littérature latine suivit la route que la littérature grecque avoit tracée, d'abord parce que c'étoit la meilleure à beaucoup d'égards, et que vouloir s'en écarter en tout, eût été renoncer au bon goût et à la vérité; peut-être aussi, parce que la nécessité seule produit l'invention, et qu'on adopte au lieu de créer, quand on trouve un modèle d'accord avec ses idées habituelles. Le genre humain s'applique de préférence à perfectionner, quand il est dispensé de découvrir. Le paganisme romain avoit beaucoup de rapport avec le paganisme grec. Les préceptes des beaux arts et de la littérature, un grand nombre de loix, la plupart des opinious philosophiques, ont été transportés successivement de Grèce en Italie. Je ne m'attacherai donc pas ici à l'analyse des effets semblables, qui devoient naître des mêmes causes. Tout ce qui tient dans la littérature grecque à la religion païenne, à l'esclavage, aux coutumes des nations du midi, à l'esprit général de l'antiquité avant l'invasion des peuples du nord et l'établissement de la religion chrétienne, doit se retrouver avec quelques modifications chez les Latins. Ce qu'il importe de remarquer, ce sont les différences caractéristiques de la littérature grecque et de la littérature latine, et les progrès de l'esprit humain, dans les trois époques successives de l'histoire littéraire des Romains, celle qui a précédé le règne d'Auguste, celle qui porte le nom de cet empereur, et celle qui peut se compter depuis sa mort jusqu'au règne des Antonins. Les deux premières se confondent à quelques égards par les dates; mais leur esprit est extrêmement différent. Quoique Cicéron soit mort sous le triumvirat d'Octave, son génie appartient en entier à la république ; et quoiqu'Ovide, Virgile, Horace, soient nés pendant que la république subsistoit encore, leurs écrits portent le caractère de l'influence monarchique. |