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moins vrai que les modernes, dans la métaphysique, la morale et les sciences, sont infiniment supérieurs aux anciens.

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Les philosophes de l'antiquité ont combattu quelques erreurs; mais ils en ont adopté un grand nombre. Lorsque les croyances les plus absurdes sont établies généralement, les écrivains qui en appellent aux lumières de la raison, ne peuvent jamais se dégager entièrement des préjugés qui les environnent. Quelquefois ils metteut une erreur à la place de celle qu'ils combattent ; d'autres fois ils conservent une superstition qui leur est propre, en attaquant les dogmes reçus. Les paroles fortuites paroissoient redoutables à Pythagore; Socrate et Platon croyoient aux démons familiers. Cicéron a craint les présages tirés des souges. Dès qu'un revers, une peine quelconque s'appesantit sur l'ame, il est impossible qu'elle repousse absolument toutes les superstitions de son siècle; l'appui qu'on trouve en soi ne suffit pas; on ne se croit protégé que par ce qui est au-dehors de nous. En s'étudiant soimême, l'on verra que, dans toutes les douleurs de la vie, on est porté à croire les autres plus que ses propres réflexions, à chercher les motifs de ses craintes et de ses espérances ailleurs que

dans sa raison. Un génie supérieur, quel qu'il soit, ne peut s'affranchir à lui seul de ce besoin du surnaturel, inhérent à l'homme: il faut que la nation fasse corps avec le philosophe contre de certaines terreurs, pour qu'il soit possible à ce philosophe de les attaquer toutes.

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Les Grecs se sont livrés avec folie à la recherche des différens systèmes du monde. Moins ils étoient avancés dans la carrière des sciences, moins ils reco..noissoient les bornes de l'esprit humain. Les philosophes se plaisoient sur-tout dans l'inconnu et l'inexplicable. Pythagore disoit qu'il n'y avoit de réel que ce qui étoit spirituel; que le matériel n'existoit pas. Pla. ton, cet écrivain si brillant d'imagination, revient sans cesse à une métaphysique bizarre du monde, de l'homme et de l'amour, où les loix physiques de l'univers et la vérité des sentimens ne sont jamais observées. La métaphy sique qui n'a ni les faits pour base, ni la méthode pour guide, est ce qu'on peut étudier de plus fatigant; et je crois impossible de ne pas le sentir, en lisant les écrits philosophiques des Grecs, quel que soit le charme de leur langage.

Les anciens sont plus forts en morale qu'en métaphysique; l'étude des sciences exactes est

TOME I.

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nécessaire pour rectifier la métaphysique, tandis que la nature a placé dans le cœur de l'homme tout ce qui peut le conduire à la vertu. Cependant rien n'est moins arrêté, rien n'a moins d'ensemble que le code de morale des anciens. Pythagore paroît attacher la même importance à des proverbes, à des conseils de prudence et d'habileté, qu'aux préceptes de la vertu. Plusieurs des philosophes grecs confondent de même les rangs dans la morale; ils placent l'amour de l'étude sur la même ligne que l'accomplissement des premiers devoirs. L'enthousiasme pour les facultés de l'esprit l'emporte en eux sur tout autre genre d'estime: ils excitent l'homme à se faire admirer; mais ils ne portent point un regard inquiet ou pénétrant dans les peines intérieures de l'ame.

Je ne crois pas que le mot de bonheur soit une fois prononcé dans les écrits des Grecs, selon l'acception moderne. Ils ne mettoient pas une grande importance aux vertus particulières. La politique étoit chez eux une branche de la morale; ils méditoient sur l'homme en société ; ils ne le jugeoient presque jamais que dans ses rapports avec ses concitoyens ; et comme les états libres étoient composés en général d'une

population fort peu nombreuse, que les femmes. n'étoient de rien dans la vie (*), toute l'existence de l'homme consistoit dans les relations sociales: c'étoit au perfectionnement de cette existence politique que les études des philosophes s'attachoient exclusivement. Platon, dans sa République, propose comme un moyen d'accroître le bonheur de la race humaine, la destruction de l'amour conjugal et paternel, par la communauté des femmes et des enfans. Le gouvernement monarchique et l'étendue des empires modernes ont détaché la plupart des hommes de l'intérêt des affaires publiques; ils se sont concentrés dans leurs familles, et le bonheur n'y a pas perdu; mais tout excitoit les anciens à suivre la carrière politique, et leur morale avoit pour premier objet de les y encourager. Ce qu'il y a de vraiment beau dans leur doctrine n'est point contraire à cette assertion. S'il est utile, dans toutes les situations, d'exercer un grand empire sur soi-même, c'est sur-tout aux hommes d'état que cette puissance est nécessaire.

Combien cette morale, qui consiste toute en

(*) On ne trouve pas le mot de femme une seule fois dans les caractères de Théophraste.

tière dans le calme, la force d'ame et l'enthousiasme de la sagesse, est admirablement peinte dans l'apologie de Socrate et dans le Phédon! Si l'on pouvoit faire entrer dans son ame cet ordre d'idées, il semble que l'on seroit invinciblement armé contre les hommes. Les anciens pre

noient souvent leur point d'appui dans des erreurs, souvent dans des idées factices; mais enfin ils se sacrifioient eux-mêmes à ce qu'ils reconnoissoient pour la vertu; et ce qui nous manque aujourd'hui, c'est un levier pour soulever l'égoïsme toutes les forces morales de chaque homme se trouvent concentrées dans l'intérêt personnel.

Les philosophes grecs étoient en très-petit nombre, et des travaux antérieurs à leur siècle ne leur offroient point de secours; il falloit qu'ils fussent universels dans leurs études. Ils ne pouvoient donc aller loin dans aucun genre ; il leur manquoit ce qu'on ne peut devoir qu'aux sciences exactes, la méthode, c'est-à-dire l'art de résumer. Platon n'auroit pu rassembler dans sa mémoire ce qu'à l'aide de cette méthode, les jeunes gens retiennent sans peine aujourd'hui ; et les erreurs s'introduisoient beaucoup plus

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