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Suisse, son séjour aux eaux de Bade, et surtout la vue, les entretiens pleins de douceur et de charme d'une personne dont elle était tendrement aimée, donnèrent quelques distractions à son esprit, mais n'apportèrent que bien faibles adoucissemens à ses maux. Elle revint à Mantes, décidée à subir l'opération; et dès lors, loin d'éprou ver un instant de faiblesse ou d'hésitation, elle pressait elle-même le moment qui devait lui rendre, disait-elle, l'es poir et la santé. A la force d'âme qui brave la douleur, elle joignit cette puissance de volonté qui la maîtrise. Pas un cri, pas un geste ne lui échappèrent. Tant de courage étonnait de vieux guerriers habitués au spectacle des champs de bataille, et surprenait les gens de l'art euxmêmes (1). Un instant avant d'ètre opérée, madame Campan causait avec eux d'un esprit libre et calme. Les douleurs, après l'opération, ne semblaient pas avoir altéré sa sérénité. Messieurs, disait-elle en plaisantant à ses médecins, j'aime bien mieux vous entendre parler que vous voir agir.

:

L'opération avait été faite avec une rare promptitude et le plus heureux succès, par M. Voisin, très-habile chirurgien de Versailles. Aucun symptôme fâcheux ne s'était déclaré la plaie s'était cicatrisée. On croyait madame Campan rendue à ses amis: mais le mal qui était dans le sang prit un autre cours ; la poitrine s'embarrassa. Dès ce moment, dit M. Maignes, qui suivait son état avec toute la sollicitude de l'amitié, mais avec la triste prévoyance de son art; dès ce moment, il me fut impossible de voir

(1) M. le colonel Hemès, l'un des meilleurs officiers de l'ancienne armée, aidait les gens de l'art pendant l'opération.

madame Campan vivante : elle sentait elle-même qu'elle n'était déjà plus.

En songeant à sa famille, à ses amis de Mantes, à tous ceux qui lui portaient une vive affection, son cœur s'amollissait, et dans ces instans d'une faiblesse touchante : N'est-ce pas, docteur, disait-elle, que je ne mourrai pas ?

Bientôt reprenant son courage, elle donnait aux autres une espérance qu'elle n'avait plus. Elle voyait sans cesse auprès d'elle une femme qui, depuis 40 ans, ne l'avait pas un moment quittée; qui avait partagé ses peines comme ses instans de bonheur; qui devinait ses pensées, épiait ses moindres désirs, et payait une confiance sans bornes des soins du plus tendre attachement tous ceux qui ont connu madame Campan nommeront ici madame Voisin. « Du courage, lui disait-elle; la mort ne séparera point deux amies comme nous (1). »

Elle donnait elle-même l'exemple de la force d'âme qu'elle voulait inspirer aux autres. Tantôt, reportant ses souvenirs vers les années de sa jeunesse, elle revoyait la jeune fille, si vive et si gaie, que Louis XV surprenait au milieu de ses jeux. Tantôt elle se rappelait avec attendrissement les bontés dont Marie-Antoinette payait son dévouement. « L'œil de bœuf de » Versailles, disait-elle, ne me pardonnera jamais d'a>> voir obtenu la confiance de la reine et du roi. Les de

(1) La mort en effet ne les séparera point. La famille de Mme Campan lui a fait élever un tombeau dans le cimetière de Mantes. On lit une épitaphe fort simple sur une colonne de marbre blanc, surmontée d'une urne. Aux quatre côtés du monument sont des touffes de Dalia audessous est le caveau qui renferme ses cendres. L'amie qu'elle a laissée reposera près d'elle.

» mandes d'un essaim de flatteurs étaient souvent injus» tes; et quand la reine daignait me consulter, j'étais » sincère (1.). »

Quelquefois le sort de la France l'occupait. Les lumières qui partent du trône la rassuraient seules contre les prétentions exagérées de quelques hommes. « Le pou» voir, disait-elle, est aujourd'hui dans les lois. Partout » ailleurs il serait déplacé. Mais cette vérité leur échappe : » la poussière des vieux parchemins les aveugle (2).

La veille de sa mort, « Mon ami, disait-elle à son mé» decin, je me jette entre les bras de la Providence : c'est » le seul point d'appui invisible qui nous soutienne. L'idée » en est consolante. J'aime beaucoup la simplicité de ma » religion; je la révère : je hais tout ce qui sent le fana» tisme (3).

Quand on lui présenta son codicile à signer, sa main tremblait « Ce serait dommage, dit-elle en souriant, » de rester en si beau chemin. »

Le jour de sa mort, on ouvrit sa fenêtre. Le ciel était pur, l'air vif et frais. « Voilà, dit-elle, l'air et le climat » de la Suisse. J'y ai passé deux mois d'un bonheur sans » mélange.... Son âme est si belle, et nos cœurs s'enten› daient si bien ! »

Chaque instant l'approchait de sa fin. Son esprit n'avait rien perdu de ses forces. « Malgré mon état, disait-elle, » j'ai besoin d'exprimer mes pensées. ». Je m'étais un peu

(1) Relation de M. Maignes. (2) Même relation.

(3) Relation de M. Maignes. Avant de subir une opération presque toujours funeste, madame Campan avait scrupuleusement rempli ses devoirs religieux.

éloigné de son lit, ajoute son médecin, dont nous avons cité les paroles. Elle m'appela d'un son de voix plus élevé que de coutume. J'accourus: se reprochant alors cette espèce de vivacité : « Comme on est impérieux, dit» elle, quand on n'a plus le temps d'être poli. » Un moment après elle n'était plus !

Ses amis la virent expirer le 16 mars 1822. La gaieté qu'elle montra dans tout le cours de sa maladie, n'offrait rien de contraint ni d'affecté. Son caractère avait naturellement de la force et de l'élévation. A l'approche de la mort, elle montra l'âme d'un sage, sans sortir un moment de son rôle de femme, sans renoncer aux espérances, aux consolations d'une chrétienne. Sa religion penchait vers l'indulgence et la douceur, comme il arrive à tous ceux dont la piété est encore plus de croyance et de sentiment que de pratique. Quoique ayant vécu long-temps dans le grand monde, elle ne méprisait pas trop l'espèce humaine. Les envieux n'avaient pù provoquer dans son cœur un sentiment de haine; l'ingratitude n'avait point lassé sa bienfaisance. Son crédit, son temps, ses démarches appartenaient à ses amis; sa bourse était ouverte à tous les malheureux.

Un sentiment profond, une constante étude, son attachement pour la reine, et ses travaux sur l'éducation, se sont partagé sa vie. Napoléon lui disait un jour : « Les anciens systèmes d'éducation ne valent rien; que manque-t-il aux jeunes personnes pour être bien élevées en France! - Des mères, lui répondit madame Campan. - Le mot est juste, reprit Napoléon. Eh bien, madame, que les Français vous aient l'obligation d'avoir élevé des mères pour leurs enfans.» La réponse de madame Campan renfer

me l'idée principale de son système d'éducation. Tous les soins de la meilleure institutrice tendaient à mettre ses élèves en état d'être elles-mêmes un jour celles de leurs filles. Les instructions qu'elle lisait les dimanches, aux jeunes personnes de Saint-Germain; les petites anecdotes qu'elle composait autant pour leur instruction que pour son amusement; l'ouvrage qu'elle achevait au moment de sa mort, et qui contient le fruit de vingt années d'expériences, sont dirigés vers le même but. (1) Les femmes, disait-elle à

(1) Madame Campan a laissé des Nouvelles, et plusieurs comédies manuscrites, dont nous ne citerons que les titres : La vieille de la cabane, Arabella ou la Pension anglaise, les Deux Éducations, les Petits comédiens ambulans, le Concert d'amateurs, etc. Toutes ont un but d'instruction pour la jeunesse. Elle achevait, à ses derniers momens, un ouvrage d'un ordre plus élevé, intitulé : De l'éducation des Femmes. Nulle ne pouvait mieux qu'elle remplir ce cadre intéressant. Je citerai les pre. miers mots de ce traité.

Mon ouvrage sera privé, dit-elle, de l'attrait des fictions presque > toujours liées aux plans d'éducation, et la quantité de détails que j'ai à >mettre sous les yeux des lecteurs me cause quelque inquiétude. Je crains aussi de me laisser entraîner par mon penchant pour ces êtres > innocens et gracieux, dont une foule aimable m'entoura pendant tant ›d'années, et auxquels j'ai dû de si doux momens; quelquefois je doute asi une certaine lenteur, triste et première infirmité de l'âge, n'allonge »pas, malgré moi, mes discours; puis je pense que je dédie mon ouvrage »à mes anciennes élèves, devenues mères de famille : je songe qu'en leur > faisant hommage du fruit d'une longue expérience, je leur parle de >leurs plus chères affections, et je me rassure. »

Cet ouvrage pourra paraître aussitôt qu'on aura mis en ordre les diffé rens morceaux qu'avait terminés madame Campan. On y joindra le théâtre.

Outre les lettres de deux jeunes amies, madame Campan avait aussi publié les conversations d'une mère avec ses filles. Ces dialogues ont été traduits en italien et en anglais. Madame Campan savait fort bien cette

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