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les de la famille royale, où des récompenses étaient accordées à leur dévouement, fut marqué pour madame Campan par des chagrins amers. La haine de ses ennemis s'était réveillée. La suppression de la maison d'Écouen lui avait enlevé sa place : les calomnies les plus absurdes la suivirent encore dans sa retraite : on soupçonnait son attachement pour la reine; on l'accusait, non pas seulement d'ingratitude, mais de perfidie, « Et l'objet de ces calom» nies, disait à cette époque un noble écrivain qui sem»ble porter encore dans les sentimens de l'amitié la chaleur éloquente dont s'animait sa piété filiale; l'objet de » ces calomnies est la sujette la plus fidèle, qui, pendant » 24 ans, ne cessa d'être attachée à la famille royale de >> France: la lectrice et la première femme de l'infortunée » reine, la confidente non moins intime de l'infortuné roi; » qui, pendant leur trop long martyre, a risqué bien plus que sa vie pour ses augustes maîtres; n'a rien dit, n'a › rien fait que par leurs ordres, mais a dit et fait tout ce » qu'ils lui ont ordonné, quel qu'en fût le danger. L'objet » de ces calomnies, c'est madame Campan, en faveur de » qui Marie-Antoinette a écrit, en 1792, une disposition de » volonté dernière extrêmement honorable pour le dé» vouement de la sujette et pour la bonté de la souverai»ne; c'est madame Campan, à qui Louis XVI, en 1792, a » confié les papiers les plus secrets, les plus périlleux; >>pour qui Louis XVI, dans la cellule des Feuillans, le 10 » août 1792, a détaché deux mèches de ses cheveux, lui » en donnant une pour elle, une autre pour sa sœur, tan» dis que la reine, jetant alternativement ses bras autour » de leur cou, leur disait: Malheureuses femmes, vous

»ne l'êtes qu'à cause de moi:je le suis plus que vous ! » (1) La calomnie n'affecte point la jeunesse, tout l'avenir qu'elle se promet lui reste pour en triompher: sur le déclin de l'âge ses traits ont un venin qui tue; les chagrins qui pèsent alors sur le cœur en r'ouvrent toutes les blessures. Celles que madame Campan avait reçues étaient profondes. Sa sœur, madame Auguié, s'était donné la mort; M. Rousseau, son beau-frère, avait péri victime de la terreur. En 1813, un accident affreux l'a

(1) Extrait d'un mémoire manuscrit relatif à madame Campan. S'il fallait invoquer encore un témoignage bien respectable, nous citerions la lettre suivante, écrite à madame Campan, le 27 avril 1816, par madame la duchesse de Tourzel.

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« Je comprends parfaitement, madame, la peine que vous éprouvez » de tout ce qui peut tendre à jeter des doutes sur votre attachement et » votre fidélité à l'auguste princesse à laquelle vous aviez l'honneur » d'être attachée, dans les fonctions que vous remplissiez auprès d'elle. » C'est avec grand plaisir, madame, que je vous rendrai la justice que pendant les trois ans où ma place m'a donné de fréquens rapports avec » notre grande et trop malheureuse reine, je vous ai toujours vue em» pressée de lui témoigner votre respect et votre attachement. J'ai été » témoin qu'elle vous avait donné des marques de confiance toute particulière, et de votre discrétion et de votre fidélité dans ces diverses » circonstances. Vous lui en donnâtes des preuves dans ce malheureux D voyage de Varennes, et les délations faites à ce sujet sur votre compte » ont été de toute injustice. Je vous ai vue aux Feuillans, la nuit du 10 août, présenter à la reine l'hommage de votre douleur, quoique vous ne D fussiez pas en ce moment dans votre mois de service. C'est un hom

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»mage que je rends à la vérité, et je m'estimerais heureuse, si ma lettre

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pouvait apporter quelques consolations aux amertumes dont votre cœur est accablé.

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vait privée de sa nièce, madame de Broc, l'une des plus aimables et des plus touchantes créatures qui aient orné ce monde : madame Campan semblait destinée à voir ceux qu'elle aimait descendre avant elle au tombeau. Dans le cimetière du Père-Lachaise, parmi ces mausolées fastueux, chargés le plus souvent d'épitaphes mensongères, à côté de ces monumens qui semblent élevés la plupart, moins pour honorer les cendres qu'ils renferment que pour flatter l'orgueil des vivanš, il est une sépulture modeste qui la vit bien des fois répandre des larmes. Aucun marbre ne la décore, on n'y lit aucune inscription: d'autant plus remarquable qu'elle est plus simple, le gazon qui la couvre, en trahissant une douleur qui se cache, pourrait seul révéler le secret de la tombe.

Après tant de chagrins, madame Campan cherchait une paisible retraite. Paris, séjour des indifférens ou des ambitieux, des méchans qui calomnient, et des sots qui les croient; Paris, qu'habite cette foule d'hommes toujours prêts à flatter le puissant du jour, comme à déchirer celui qu'ils encensaient la veille; Paris, sa frivolité, ses plaisirs bruyans, son égoïsme, lui étaient depuis quelques années devenus insupportables. Une de ses élèves les plus chéries, Me Crouzet, s'était mariée à Mantes avec un médecin, homme habile, plein de savoir, de franchise et de cordialité (1). MTMo Campan vint voir son élève. Man

(1) M. Maignes, médecin distingué des hospices de Mantes. Madame Campan trouvait en lui, dans ses peines comme dans ses souffrances, un ami, un consolateur dont elle appréciait le mérite et l'affection. Les soins, qu'il ne cessa de lui donner dans le cours de sa maladie, l'ont dé

tes est une jolie petite ville. Les bois de Rosny qui l'entourent, la Seine qui la baigne de ses eaux, des îles plantées de hauts peupliers, et dont les allées promettent la solitude sous de frais ombrages, rendent le séjour de Mantes agréable et riant. Cette habitation lui plut. Bientôt elle vint s'y établir. Un petit nombre d'amis intimes lui composait une société dont elle goûtait la douceur. Elle s'étonnait de retrouver un peu de calme après de si longues agitations. Le soin de revoir ses mémoires, de mettre en ordre les anecdotes piquantes dout se devaient composer ses souvenirs, apportait seul quelque distraction au sentiment puissant qui l'attachait à la vie.

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Elle ne vivait que pour son fils; lui seul elle aurait ambitionné la faveur ou les richesses: il était sa consolation, son bien, son espoir; elle avait rassemblé sur lui tous les penchans d'un cœur souvent déçu dans ses affections. M. Campan fils méritait la tendresse de sa mère. Aucun sacrifice n'avait été négligé pour son éducation. Son esprit était orné; il avait du goût, et faisait des vers agréables. Après avoir suivi la carrière qui a fourni, sous l'empire, des hommes d'un mérite éminent, il attendait du temps et des circonstances une occasion de consacrer ses services à son pays. Quoique sa santé fût languissante, rien n'annonçait une fin rapide et prématurée : en quelques jours cependant il fut ravi à sa famille. Comment l'apprendre à sa mère? Comment lui porter ce coup

terminé à en écrire une relation, qui est d'un excellent physiologiste, et dans laquelle il a fidèlement recueilli les derniers entretiens de madame Campan. Je dois à la communication de cet écrit plusieurs particularités intéressantes : je me fais un plaisir d'en remercier l'auteur.

funeste? M. Maignes, dans une relation qu'il a bien voulu nous confier, a décrit ce triste moment avec la plus douloureuse vérité.

« Je n'ai jamais été témoin, dit-il, d'une scène aussi » déchirante que celle qui se passa lorsque madame la >> maréchale Ney, sa nièce, et madame Pannelier, sa sœur, >> vinrent lui annoncer ce malheur. Au moment où elles >> entrèrent dans sa chambre, elle était encore au lit. Tou>> tes trois poussèrent à la fois un cri perçant. Ces deux » dames se jetèrent à genoux, et baisaient ses mains » qu'elles mouillaient de leurs larmes. Elles n'eurent le >> temps de lui rien dire : elle lut sur leurs visages qu'elle » n'avait plus de fils. A l'instant ses grands yeux, décou» verts jusqu'au blanc, s'égarèrent. Sa figure devint pâle, >> les traits altérés, les lèvres décolorées. La bouche ne » proférait que des paroles entrecoupées, accompagnées » de cris aigus. Les mouvemens étaient désordonnés, la >> raison suspendue. Chaque partie de son être souffrait. » La respiration suffisait à peine aux efforts que faisait » cette malheureuse mère pour exprimer sa douleur, et » la porter au dehors. Cet état d'angoisse et de désespoir » ne commença à se calmer que lorsque les larmes vinrent » à couler. Je n'ai vu de ma vie rien de si triste et de si » imposant : l'impression que j'éprouvai ne s'effacera ja» mais de ma mémoire, »

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L'amitié, les plus tendres soins purent un moment calmer sa douleur, mais non l'affaiblir son cœur avait trop souffert. Cette crise violente avait troublé son organisation tout entière. Une maladie cruelle, et qui exige une opération plus cruelle encore, ne tarda pas à se manifester. La présence de sa famille, un voyage qu'elle fit en

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