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ne tarda point à publier le plus odieux pamphlet contre la reine. Depuis cet instant funeste pour Marie-Antoinette, jusqu'à celui de sa fin, ce genre d'attaques ne cessa plus un moment d'être dirigé contre elle. L'esprit de parti ne tarda point à s'en emparer: la presse ou le burin servaient également la fureur de ses ennemis. Gravures obscènes, vers licencieux, libelles impurs, accusations atroces, j'ai tout vu, j'ai tout lu, et je voudrais pouvoir ajouter comme l'infortunée princesse, dans une des plus honorables circonstances de sa vie : J'ai tout oublié. La lecture, la vue de ces monumens d'une haine implacable, laissent une impression de tristesse et de dégoût qu'on ne peut vaincre, et qu'accroît encore l'idée des maux accumulés, par la calomnie, sur la tête de Marie-Antoinette.

N'anticipons point sur les événemens : ce n'est point ici qu'on trouvera le tableau des derniers malheurs de la reine. Sa prison, ses fers, son dénuement; les coups dont son cœur est brisé; la force d'âme qui la soutient, l'amour maternel qui l'attache encore à la vie, la religion qui la console tous ces détails touchans ou sublimes d'une scène que termine une si tragique catastrophe, appartiennent à d'autres mémoires; mais il est une réflexion que cette fin funeste provoque involontairement.

Quand le terrible Danton s'écriait : Les rois de l'Europe nous menacent, c'est à nous de les brav r; Jetons leur pour défi la tête d'un roi! Ces détestables paroles, suivies d'un si cruel, d'un si déplorable effet, annonçaient encore une effrayante combinaison politique. Mais la reine! Quelle farouche raison d'état Danton, Collot-d'Herbois,

il

Robespierre pouvaient-ils invoquer contre elle? Où avaientils vu que ces Grecs, ces Romains dont nos soldats rappelaient les vertus guerrières, égorgeassent des êtres faibles et sans défense? Quelle féroce grandeur trouvaientils à soulever tout un peuple pour se venger d'une femme? Que lui restait-il de son pouvoir passé? Le 10 août n'avaitpas déchiré sur son front le bandeau royal? Elle était captive; elle était veuve; elle tremblait pour ses enfans! Dans ces juges qui outragent à la fois, la pudeur et la nature; dans ce peuple dont les plus vils rebuts poursuivent de cris forcenés la victime jusqu'au pied de l'échafaud, qui reconnaîtrait ces Français affables, aimans, sensibles, généreux? Non, de tous les forfaits qui souillèrent si malheureusement la révolution, aucun ne fait mieux connaître à quel point l'esprit de parti, quand il a fermenté dans les cœurs les plus corrompus, peut dénaturer le caractère d'une nation.

La nouvelle de ce coup affreux vint frapper, dans la retraite obscure qu'elle avait choisie, la femme qui pleurait le plus amèrement les malheurs de sa bienfaitrice. Madame Campan, qui n'avait pu partager la captivité de la reine, s'attendait d'un moment à l'autre à partager son sort. Échappée comme par miracle au fer des Marseillais, repoussée par Pétion, quand elle implorait la faveur d'être enfermée au temple, dénoncée, poursuivie par Robespierre, devenue par la confiance entière du monarque et de la reine, dépositaire des papiers les plus importans, elle était allée cacher son secret et sa douleur, à Coubertin, dans la vallée de Chevreuse. Madame Auguié sa sœur, venait de se donner la mort, au moment même de son

arrestation (1). L'échafaud attendait madame Campan, quand le 9 thermidor lui rendit la vie, mais ne lui rendit pas le plus constant objet de ses pensées, de son zèle, et de son dévouement.

Une carrière nouvelle s'ouvre ici pour madame Cam-pan. L'instruction, les talens qu'elle possède, vont lui devenir utiles. A Coubertin, entourée de ses nièces, elle aimait à diriger leurs études, autant pour se distraire un moment de ses peines, que pour former leur esprit et leur raison. Cette occupation maternelle, avait ramené ses idées vers l'éducation, et réveillé les premiers penchans de sa jeunesse.

Les goûts, le caractère, se trahissent dès l'enfance. Je me souviens qu'en écrivant la notice sur la vie de madame Roland, c'était pour moi un spectacle plein d'intérêt, que celui des premiers mouvemens d'une âme intrépide, qu'échauffait, dès l'âge le plus tendre, l'enthousiasme des vertus antiques. Je ne voyais pas sans surprise une jeune fille, à cette époque de la vie où les plaisirs, la parure, sont les plus grandes occupations de son sexe, rêver dans la solitude qu'elle était Clélie fendant les eaux du Tibre, ou Cornélie qui se paraît des Gracques, aux yeux des

dames romaines.

Les circonstances développent et révèlent tout à coup les inclinations naissantes. A douze ans, Mle Genet ne rencontrait point, à la promenade ou dans les rues, de pensions de petites-filles, qu'elle n'ambitionnât le rang, le ti

(1) L'amour maternel l'emporta sur ses sentimens religieux : elle voulut conserver les débris de sa fortune à ses enfans. Un jour plus tard elle était sauvée : la charrette qui conduisait Robespierre au supplice arrêta la marche de son convoi.

tre, et l'autorité de leur maîtresse. Le séjour de la cour avait détourné, mais non changé ses idées et ses goûts. Plus âgée, capable d'étendre le cercle de ses projets, et de placer plus haut le but de ses espérances, elle enviait à madame de Maintenon, parvenue au degré le plus élevé du pouvoir, non les succès de son ambitieuse hypocrisie, non ces grandeurs dont elle avait sitôt senti le vide et la lassitude, non l'honneur mystérieux d'un hymen royal et clandestin, mais la gloire d'avoir fondé Saint-Cyr.

On va voir bientôt que pour réaliser ses projets, madame Campan ne disposait ni de l'autorité, ni des trésors de Louis XIV. « Un mois après la chute de Robespierre, dit-elle dans un écrit du plus haut intérêt, je pensai qu'il fallait vivre et faire vivre une mère âgée de soixante et dix ans, mon mari malade, mon fils âgé de neuf ans, et une partie de ma famille ruinée. Je n'avais plus rien au monde qu'un assignat de 500 francs. J'avais signé pour trente mille francs de deltes pour mon mari. Je choisis Saint-Germain pour y établir une pension : cette ville ne me rappelait pas, comme Versailles, et les temps heureux et les premiers malheurs de la France, et m'éloignait de Paris où s'étaient passés nos horribles désastres, et où résidaient des gens que je ne voulais pas connaître. Je pris avec moi une religieuse de l'Enfant-Jésus, pour donner la garantie non douteuse de mes principes religieux (1). Je n'avais pas le moyen de faire im

(1) La maison d'éducation de Saint-Germain fut la première dans laquelle on osa se permettre d'ouvrir un oratoire. Le directoire, mécon-tent, ordonna qu'il fût fermé sur-le-champ.

primer mon prospectus; j'en écrivis cent, et les envoyai aux gens de ma connaissance qui avaient survécu à nos affreuses crises. >>

» Au bout d'un an j'avais soixante élèves; bientôt après cent. Je rachetai des meubles; je payai mes dettes. J'étais heureuse d'avoir trouvé cette ressource, si éloignée de toute intrigue (1). »

Aux talens, à l'expérience, aux excellens principes de madame Campan, appartiennent sans doute les succès brillans et rapides qu'obtint l'institution de Saint-Germain. Toutefois on doit convenir qu'elle était merveilleusement favorisée par l'opinion. Rechercher, accueillir, seconder tous ceux qui avaient approché de la cour, c'était alors braver, humilier le pouvoir régnant; et l'on sait si l'on s'est refusé jamais un pareil plaisir en France. J'étais bien jeune alors, et cette disposition des esprits, dans ceux qui m'entouraient, ne m'échappait point. Toutes les fortunes avaient changé de mains, tous les rangs se trouvaient confondus par l'effet des secousses de la révolution : la société était comme une bibliothéque donton aurait replacé les livres au hasard, après en avoir arraché lestitres. Le grand seigneur, ruiné, dinait à la table de l'opulent fournisseur, et la marquise, brillante d'esprit et de grâce, était assise au bal à côté de l'épais parvenu. A défaut des distinctions et des dénominations anciennes que proscrivait le directoire, l'élégance des manières et la po

(1) Ce fragment est extrait d'un mémoire dont Napoléon, dans les cent jours, a ordonné le dépôt aux archives du ministère des relations étrangères.

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