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fières de leurs connaissances, de leurs talens, de leurs lumières, les hautes classes semblaient aller au-devant d'elles, par un mouvement de curiosité et de bienveillance la cour subissait encore les lois de l'étiquette, que déjà les distinctions du rang étaient bannies des usages de la société. Par là, tombe d'elle-même à mon sens, une accusation que la vanité et l'irréflexion, ne cessent de répéter contre Marie-Antoinette. En paraissant à Versailles, elle y trouva tout disposé pour un changement que l'état des mœurs rendait inévitable; et sa beauté, son esprit, ses grâces, la majesté de son maintien lui donnaient assez d'avantages réels pour qu'elle dédaignât la puérile importance du cérémonial.

Qu'est-ce donc en effet que l'étiquette? Rien qu'une image du respect involontaire que les hommes accordent au courage, au génie, à la gloire, à la vertu. La véritable politesse dédaigne le cérémonial, et la vraie grandeur peut s'en passer. On vantait la noble familiarité d'Henri IV: il est certain qu'il avait fait d'assez grandes choses pour être affable et simple. Le souvenir de ses actions l'élevait plus encore que son rang, au-dessus des autres hommes; le roi rappelait sans cesse le chevalier; on lui voyait encore au côté l'épée qu'il portait à Coutras, et tous les Français reconnaissaient la main généreuse qui avait nourri Paris rebelle. Les prestiges de l'étiquette étaient nécessaires à Louis XV; Louis XIV eut pu

s'en passer assez de gloire environnait un trône resplendissant de l'éclat des armes, des lettres et des beauxarts. Mais il voulait être encore plus qu'un grand roi : ce demi-dieu, violemment ramené par ses revers et ses infirmités, aux douleurs de la condition humaine, s'efforça

de cacher les outrages de la maladie, de la fortune, et des ans, sous la pompe vaine du cérémonial. Il faut bien pardonner aux princes d'être les régulateurs de l'étiquette, puisqu'ils en sont les premiers esclaves.

En France, depuis le berceau jusqu'à la tombe, malades ou bien portant, à table, au conseil, à la chasse, à l'armée, au milieu de leur cour, ou dans leur intérieur, les princes étaient soumis au cérémonial. Ses lois indiscrètes les suivaient jusque dans les mystères du lit nuptial. Qu'on juge ce qu'une princesse, élevée dans la simplicité des cours d'Allemagne, jeune, vive, aimante et franche, devait éprouver d'impatience contre des usages tyranniques qui, ne lui permettant pas un seul instant, d'être épouse, mère, amie, la réduisait au glorieux ennui d'être toujours reine! La femme respectable, que sa charge plaçait auprès d'elle comme un ministre vigilant des lois de l'étiquette, au lieu d'en alléger le poids, lui en rendait le joug insupportable. Encore n'était-ce que demi-mal, quand ces lois vénérables n'atteignaient que les personnes du service: la reine prenait le parti d'en rire. Je veux laisser madame Campan, raconter à ce sujet, une anecdote qui la concerne.

«Madame de Noailles, dit elle, dans un fragment manuscrit, était remplie de vertus je ne pourrais prétendre le contraire. Sa piété, sa charité, des mœurs à l'a bri du reproche, la rendaient digne d'éloges, mais l'étiquette était pour elle une sorte d'atmosphère : au moindre dérangement de l'ordre consacré, on eût dit qu'elle allait étouffer, et que les principes de la vie lui manquaient.

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Un jour je mis, sans le vouloir, cette pauvre dame dans

une angoisse terrible; la reine recevait je ne sais plus qui: c'était, je crois, de nouvelles présentées; la dame d'honneur, la dame d'atours, le palais était derrière la reine. Moi j'étais auprès du lit avec les deux femmes de service. Tout était bien, au moins je le croyais. Je vois tout à coup les yeux de madame de Noailles attachés sur les miens. Elle me fait un signe de la tête, et puis ses deux -sourcils se lèvent jusqu'au haut de son front, redescen..dent, remontent; puis de petits signes de la main s'y joignent. Je jugeais bien, à toute cette pantomime, que quelque chose n'était pas comme il fallait; et tandis que je regardais de côté et d'autre, pour me mettre au fait, l'agitation de la comtesse croissait toujours. La reine s'aperçut de tout ceci, elle me regarda en souriant; je trouvai moyen de m'approcher de S. M., qui me dit alors à mivoix : Détachez vos barbes, ou la comtesse en mourra. Tout ce mouvement venait des deux épingles maudites qui retenaient mes barbes, et l'étiquette du costume disait: Barbes pendantes. »

Ce fut cependant ce dédain des graves inutilités de l'étiquette qui devint le prétexte des premiers reproches adressés à la reine. De quoi n'était pas capable, en effet, une princesse qui pouvait se résoudre à sortir sans paniers, et qui, dans les salons de Trianon, au lieu de discuter la question de la chaise et du tabouret, invitait tout le monde à s'asseoir (1)? Le parti anti-autrichien,

(1) On ne pardonnait pas même à la reine la suppression des usages les plus ridicules. Les respectables douairières, qui avaient passé leur innocente jeunesse à la cour de Louis XV, et même sous la régence, voyaient un outrage aux mœurs dans l'abandon des paniers. Madame Campan

toujours mécontent, toujours haineux, surveillait sa con+ duite, grossissait ses plus légers torts, et calomniait ses plus innocentes démarches. «Ce qui, au premier coup d'œil, (dit Montjoye, dont certes les opinions ne sont pas suspectos), semble inexplicable, et navre de douleur, c'est que » les premiers coups, portés à la réputation de la reine, sont sortis du sein de la cour. Quel intérêt des courtisans pouvaient-ils avoir à désirer sa perte, qui entraî»nait celle du roi ; et n'était-ce pas tarir la source de tout *» le bien dont ils jouissaient, et de celui qu'ils pouvaient es»pérer?

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Mais ces biens, ces faveurs n'étaient plus l'héritage exclusif de quelques familles puissantes. La reine, dans leur distribution, s'était cru permis de consulter quelquefois

elle-même dit quelque part dans ses mémoires, et presque avec regret, que les grandes fraises et les vertugadins, en usage à la cour des derniers 'Valois n'étaient point adoptés sans motif; que ces ajustemens, indifférens en apparence, éloignaient bien réellement toute idée de galanterie.

Quoiqu'une semblable précaution puisse paraître au moins singulière à la cour dissolue d'Henri III, je ne prétends pas nier l'efficacité des vertugadins. Je citerai seulement sur ce sujet une petite anecdote rapportée par la Place.

<< M. de Fresne Forget, étant chez la reine Marguerite, lui dit un jour qu'il s'étonnait comment les hommes et les femmes, avec de si grandes · fraises, pouvaient manger du potage sans les gâter, et surtout comment les dames pouvaient être galantes avec leurs grands vertugadins. La reine alors ne répondit rien; mais quelques jours après, ayant une très-grande fraise et de la bouillie à manger, elle se fit apporter une cuiller qui était fort longue, de façon qu'elle mangea sa bouillie sans salir sa fraise. Sur quoi, s'adressant à M. de Fresne : « Eh bien, lui dit-elle en riant, vous voyez bien qu'avec un peu d'intelligence on trouve remède à tout. » [ « Oui da! madame, lui répondit le bon homme; quant au potage, me voilà satisfait.» (Tom. II, pag. 350 du recueil de la Place.)

ses affections, et d'autres droits que ceux d'une antique origine. Qu'on juge, ajoute Montjoye, du dépit et de la » fureur des grands de cette classe, lorsqu'ils voyaient la ́» reine répandre sur autrui des grâces qu'ils voulaient » n'être dues qu'à eux seuls, et l'on n'aura nulle peine à > comprendre comment elle a trouvé des ennemis impla› cables parmi ceux qui l'approchaient. » La haîne et la calomnie allaient bientôt avoir un nouveau prétexte.

Déjà, pour compromettre le nom le plus auguste et déshonorer celui d'un cardinal, se préparait ce complot obscur et scandaleux, conçu par une intrigante, ayant pour principal personnage un faussaire, et qui, secondé par une courtisane, fut dévoilé par un minime et raconté par un jésuite. Comme si les plus singuliers rapprochemens devaient, dans ce procès fameux, se trouver à côté des plus odieux contrastes, le nom de Valois, retombé depuis long-temps dans l'oubli, figurait à côté des noms de Rohan, d'Autriche et de Bourbon; et quand tout se réunissait pour accuser un prêtre libertin et crédule, un grand seigneur ruiné avec huit cent mille livres de rentes, un prince de l'église, dupe à la fois d'un escroc, d'une femme galante et d'un charlatan, ce fut la souve raine qu'offensait sa crédulité, et peut-être son coupable espoir; ce fut Marie-Antoinette qu'on osa soupçonner. La cour, le clergé, les parlemens se liguèrent pour humilier le trône, et la princesse qui s'y trouvait assise. Au lieu de la plaindre on la blâmait : on ne lui pardonnait pas même de laisser éclater la douleur et l'indignation d'une femme, d'une épouse, et d'une reine outragée.

On sait l'issue de ce procès fameux. Le cardinal fut absous. Mme de Lamotte condamnée, flétrie, mais fugitive,

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