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on était forcé de l'admirer; et ce n'est qu'à la gloire qui les éblouit, au bonheur dont on les fait jouir, que les peuples, ou trompés ou reconnaissans, pardonnent les atteintes portées à leurs droits.

On a reproché au duc de Choiseul d'avoir abandonné le système de politique extérieure conçu par le cardinal de Richelieu; il me semblerait plus juste de reprocher au duc d'Aiguillon d'avoir voulu, plus tard, le suivre sans le comprendre. Depuis Louis XIII, la France et l'Autriche, l'une s'élevant toujours, l'autre s'affaiblissant au contraire, avaient changé de position. La maison de Bourbon, sous Louis XV, régnait à Naples, à Madrid, comme à Versailles. La gloire des armes ou la prévoyance des traités avaient donné successivement à la France l'Alsace, la FrancheComté, la Flandre et la Lorraine. La magnanime MarieThérèse venait à peine de raffermir sur sa tête une couronne mutilée; l'héritière de Rodolphe de Habsbourg avait plié son orgueil jusqu'à flatter la vanité bourgeoise de Jeanne Poisson, marquise de Pompadour, en l'appelant son amie. Une puissance guerrière, s'élevant tout à coup auprès de l'Autriche, excitait sa jalousie, occupait son attention et ses forces. Le duc de Choiseul, alors ministre, pouvait donc porter plus loin ses regards.

Depuis la bataille de Pultawa, la Russie, reléguée longtemps dans les glaces du Nord, comptait au nombre des états de l'Europe. Quatre femmes, placées successivement sur le trône des czars, avaient consolidé l'ouvrage d'un grand homme. Un système d'agrandissement suivi, et, ce qui est peut-être plus extraordinaire, annoncé sans mystère, se réalisait avec rapidité. Aujourd'hui que la Russie n'a pris des arts et de la civilisation de l'Europe que ce qui

peut accroître ses forces militaires, et non ce qui pour rait amollir ses soldats; aujourd'hui que ces peuples, nés sur un sol ingrat, sous un ciel rigoureux, ont respiré l'air doux et pur de nos contrées; si ce puissant colosse qui déjà presse l'Europe au centre, pouvait encore, de ses bras étendus, toucher de la Baltique à la Méditerranée, quel refuge, quel rempart resterait à l'indépendance des nations menacées ? elles n'en auraient point d'autres que la coalition des états du Midi; et c'était là précisément l'objet du pacte de famille, conçu avec prudence, consommé avec adresse par le duc de Choiseul, et que fortifiait l'alliance avec l'Autriche. Au lieu d'en accuser la légèreté du ministre, il me semblerait aujourd'hui plus juste d'en faire honneur à sa prévoyance; cependant l'alliance avec l'Autriche était alors le prétexte accoutumé des attaques dirigées contre lui.

J'aurais voulu éviter ces détails; mais les divisions qu'enfanta la rivalité des deux ministres tiennent de trop près à l'histoire des temps dont madame Campan va parler. Le duc de Choiseul avait pour lui les parlemens, les philosophes et l'opinion. Le parti du duc d'Aiguillon comptait pour soutien les dévots et madame Dubarry. Les deux factions se disputèrent les dernières volontés de Louis XV expirant; elles troublèrent les premières années du règne de Louis XVI, et l'on verra bientôt quelle funeste influence la haine du parti anti-autrichien exerça sur la destinée de la jeune Marie-Antoinette.

L'idée d'unir la fille de Marie-Thérèse au petit-fils de Louis XV avait été conçue par le duc de Choiseul, avant sa disgrâce. Il cimentait par ce mariage l'alliance des deux états, et croyait se préparer la faveur d'un nouveau

règne. Ainsi se trouvait justifié le sens de ce vers latin, suivant lequel l'Autriche doit plus espérer de l'hymen que des armes (1). L'âge, la beauté, les talens, le caractère de la jeune princesse étaient l'objet de tous les entretiens. En la voyant quitter sa famille pour aller prendre place sur les premiers degrés du trône le plus éclatant de l'Europe, qui eût osé former un doute sur son bonheur ? Marie-Thérèse, heureuse et désolée, ne concevait pour sa fille chérie d'autres chagrins que ceux de leur séparation; et pourtant des voix prophétiques semblaient menacer déjà son avenir.

Madame Campan racontait souvent une anecdote que lui avait apprise le gouverneur des enfans du prince de Kaunitz. Il y avait à Vienne, à cette époque, un docteur, Gassner, qui était venu y chercher un asile contre les persécutions d'un des électeurs ecclésiastiques, son souverain. Gassner, doué d'une imagination très-exaltée, croyait avoir des inspirations. L'impératrice le protégeait, le recevait quelquefois, plaisantait de ses visions, et l'écoutait pourtant avec une sorte d'intérêt. Dites-moi, lui demanda-t-elle un jour, si mon Antoinette doit être heureuse? Gassner pâlit et garda le silence. Pressé de nouveau

(1) Bella gerant alii, tu, Felix Austria, nube.

Je ne crois pas que les Turcs soient grands diseurs de bons mots; mais ils sont peut-être plus instruits qu'on ne le pense généralement, des intérêts des puissances chrétiennes, des vues, des moyens, et des ressources de leurs cabinets. On prétend que le grand-seigneur, en recevant le décret de la convention qui prononça en France l'abolition de la royauté, ne put s'empêcher de dire : La république du moins n'épousera pas une archiduchesse. Le nom est bien français pour être turc; mais il est gai, c'est assez pour qu'on le cite.

par l'impératrice, et cherchant alors à donner une expression générale à l'idée dont il semblait fortement occupé Madame, répondit-il, il est des croix pour toutes les épaules (1).

Ces mots suffisaient pour frapper l'imagination des Allemands des traditions conservées dans le pays, et dont on occupe l'enfance; un esprit tourné vers la recherche et la croyance de ce qui est vague et mystérieux; une disposition naturelle à la mélancolie, semblent les préparer à recevoir plus vivement ces impressions, de crainte, et ces avertissemens secrets. Marie-Antoinette, on le verra dans ces Mémoires, était loin de repousser et de vaincre les mouvemens d'une terreur involontaire. Goëthe, compatriote, le célèbre auteur de Werther, s'abandonnait, plus encore que tout autre, à l'influence de ces pressentimens, dont la raison a souvent peine à triompher. L'arrivée de la jeune princesse en France avait été pour lui l'occasion d'un sinistre présage.

son

Goëthe, jeune alors, achevait ses études à Strasbourg. On avait élevé, dans une île, au milieu du Rhin, un pavillon destiné à recevoir Marie-Antoinette et sa suite. «J'y » fus admis, dit Goëthe dans ses mémoires. En y entrant, » mes yeux furent frappés du sujet représenté sur la tapis» serie qui servait de tenture au pavillon principal. On y voyait Jason, Créüse et Médée,c'est-à-dire l'image du plus > funeste hymen dont on ait gardé la mémoire. A la gauche

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» d'un trône, l'épouse entourée d'amis, de serviteurs déses

,

(1) Jean-Joseph Gassner, né à Bratz, sur les frontières du Tyrol, était un thaumaturge célèbre, qui croyait de bonne foi guérir une foule de maladies par la seule imposition des mains.

» pérés, luttait contre une mort affreuse. Jason, sur l'autre » plan, reculait saisi d'horreur, à la vue de ses enfans égor»gés, et la furie s'élançait dans les airs sur son char traîné par les dragons (1). »

Sans être superstitieux, on est frappé de cet étrange rapport. L'époux, l'épouse, les enfans furent atteints; la fatale destinée parut s'accomplir en tous points. MarieThérèse aurait pu répéter ces beaux vers que le père de Créüse adresse à sa fille expirante, dans la Médée de Corneille :

Ma fille, c'est donc là ce royal hyménée

Dont nous pensions toucher la pompeuse journée !
La parque impitoyable en éteint le flambeau,

Et pour lit nuptial, il te faut un tombeau!

Si l'on cherchait un funeste augure, il n'en faudrait point d'autre que les fêtes du mariage à Paris. On connaît l'événement de la place Louis XV; on sait comment l'incendie des échafauds destinés au feu d'artifice, l'imprévoyance des magistrats, la cupidité des malfaiteurs, la marche meurtrière des voitures, préparèrent, augmentèrent le désastre; comment la jeune dauphine, qui arrivait de Versailles, par le cours la Reine, heureuse, brillante, parée, pour jouir de la joie de tout un peuple, s'enfuit éperdue, les yeux noyés de larmes, poursuivie de cette affreuse image, et croyant toujours entendre les cris des mourans.

Puisque j'ai dû parler de ce cruel événement, qu'on

(1) Mein Leben. Ma vie, par Goëthe, publiée à Tubingen, chez .Cotta.

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