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La fatuité insoutenable avec laquelle il s'en vantait, dévoilait le caractère d'un homme plus flatté d'être initié dans les secrets intimes, que jaloux d'avoir rempli dignement les importantes fonctions d'instituteur.

Son orgueil avait pris naissance à Vienne, où Marie-Thérèse, autant pour lui donner du crédit sur l'esprit de l'archiduchesse, que pour s'emparer du sien, lui avait permis de se rendre tous les soirs au cercle intime de sa famille, où depuis quelque temps la future dauphine était elle-même admise. Joseph II, les archiduchesses aînées, quelques seigneurs honorés de la confiance de Marie-Thérèse, formaient cette réunion, et tout ce qu'on peut attendre de personnes d'un rang élevé, en réflexions sur le monde, sur les cours et sur les devoirs des princes, faisait le sujet habituel de ces entretiens. L'abbé de Vermond, en racontant ces détails, avouait le moyen qu'il avait employé pour être admis dans ce cercle intime. L'impératrice, l'ayant rencontré chez l'archiduchesse, lui demanda s'il avait formé quelques liaisons à Vienne? « Aucune, Madame, répondit-il; l'appartement de madame l'archi>> duchesse et l'hôtel de l'ambassadeur de Fran»ce, sont les seuls lieux que doive fréquenter >> l'homme honoré du soin de l'éducation de la princesse.» Un mois après, Marie-Thérèse par une habitude assez ordinaire aux souverains, rencontrant l'abbé, lui fit la même question, et sa réponse fut exactement semblable. Le lendemain

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il reçut l'ordre de se rendre tous les soirs au cercle de la famille impériale.

Il est très-probable, par les relations constantes et connues de cet homme avec le comte de Mercy, ambassadeur de l'Empire pendant toute la durée du règne de Louis XVI, qu'il était utile à la cour de Vienne (1), et qu'il a souvent déterminé la reine à des démarches dont elle n'appréciait pas les conséquences. Né dans une classe obscure de la bourgeoisie (2), imbu de tous les principes de la philosophie moderne, et cependant tenant plus qu'aucun ecclésiastique à la hiérarchie du clergé, vain, bavard, fin et brusque à la fois, fort laid et affectant l'homme singulier; traitant les gens les plus élevés comme ses égaux, quelquefois même comme ses inférieurs, l'abbé de Vermond recevait des ministres et des évêques dans son bain; mais disait en même temps que le cardinal Dubois avait été un sot; qu'il fallait qu'un homme de sa sorte, parvenu au crédit, fit des cardinaux et refusât de l'être.

(1) Comment supportez-vous ce bavard ennuyeux? disait un jour au comte de Mercy une personne qui avait dîné avec l'abbé de Vermond chez cet ambassadeur.-Comment me le demandez-vous? répondit M. de Mercy; vous pourriez vous-même faire la réponse : c'est que j'en ai besoin.

(Note de madame Campan.)

(2) Fils d'un chirurgien de village, et frère d'un accoucheur qui le fut de la reine, l'abbé de Vermond, quand il était chez Sa Majesté, n'appelait jamais son frère que M. l'accoucheur, en lui adressant la parole.

(Note de madame Campan.)

Enivré de la réception que la cour de Vienne lui avait faite, n'ayant rien vu de grand avant cette époque, l'abbé de Vermond n'admirait et n'estimait que les usages de la famille impériale; il ne cessait de tourner en dérision l'étiquette de la maison de Bourbon; la jeune dauphine était sans cesse excitée par ses sarcasmes à s'en dégager, et ce fut lui qui, le premier, lui fit supprimer une infinité d'usages dont

il

ne jugeait ni la sagesse ni le but politique. Tel est le portrait exact de cet homme que l'étoile funeste de Marie-Antoinette lui avait réservé pour guider ses premiers pas sur un théâtre aussi éminent et aussi dangereux que celui de la cour de Versailles.

On trouvera peut-être que je peins sévèrement le caractère de l'abbé de Vermond; mais comment pourrais-je voir sous des couleurs favorables un homme qui, après s'être arrogé le rôle important de confident et de conseiller unique de la reine, la dirigea avec si peu de prudence, et nous donna la douleur de voir cette princesse mêler à des qualités qui faisaient le charme de tout ce qui l'environnait, des torts qui nuisaient à sa gloire et à son bonheur? Quand volontairement un homme s'empare de devoirs aussi importans, le succès complet peut seul légitimer son ambition.

Tandis que M. de Choiseul, satisfait du sujet que M. de Brienne lui avait présenté, l'envoyait à Vienne avec tous les éloges faits pour inspirer une confiance illimitée, le marquis de Durfort faisait partir un valet de chambre coiffeur et quelques modes fran

çaises, et l'on crut avoir pris des précautions suffiformer une princesse destinée au trône

santes pour

de France.

Tout le monde sait que le mariage de monseigneur le dauphin avec l'archiduchesse avait été arrêté à l'époque de la puissance du duc de Choiseul. La procuration pour la cérémonie du mariage fut donnée au marquis de Durfort, qui devait remplacer dans l'ambassade de Vienne le baron de Breteuil; mais six mois après le mariage du dauphin, le duc de Choiseul fut disgracié, et mesdames de Marsan et de Guéménée, qui se trouvèrent plus puissantes par la disgrâce du duc, firent donner cette ambassade au prince Louis de Rohan, depuis cardinal et grand-aumônier.

La Gazette de France suffit donc pour répondre aux libellistes ignorans qui ont osé dire que la jeune archiduchesse avait connu le cardinal de Rohan avant l'époque de son mariage. On ne pouvait faire un choix plus mauvais en lui-même et plus désagréable à Marie-Thérèse, qu'en lui envoyant, comme ambassadeur, un homme aussi léger et aussi immoral que l'était le prince Louis de Rohan. Il n'avait que de faibles teintures en tous genres, et ignorait tout ce qui peut servir à la diplomatie. Sa réputation l'avait précédé à Vienne, et sa mission s'entama sous les auspices les plus défavorables. Manquant d'argent, et la maison de Rohan ne pouvant lui faire de grandes avances, il obtint de sa cour un brevet qui l'autorisait à em

prunter sur ses bénéfices la somme de 600,000 liv., s'endetta de plus d'un million, et crut éblouir la ville et la cour de Vienne par le luxe le plus indécent et en même temps le plus mal entendu. Il s'était attaché huit ou dix gentilshommes portant d'assez beaux noms, douze pages également bien nés, une foule d'officiers et de valets, une musique de chambre, etc. Mais ce vain éclat ne fut pas de durée; l'embarras et la détresse ne tardèrent pas à se faire remarquer; ses gens, n'étant plus payés, abusèrent pour faire de l'argent du privilége des franchises, et firent la contrebande (1) avec tant d'impudeur que Marie-Thérèse, pour la faire cesser et ménager la cour de France, fut obligée de supprimer les franchises de tous les corps diplomatiques, ce qui rendit la personne et la conduite du prince Louis odieuses dans toutes les cours étrangères. Il obtenait rarement des audiences particulières de l'impératrice qui ne l'estimait pas, et s'exprimait sans ménagement sur sa conduite, comme évêque et comme ambassadeur (2). Il crut

(1) J'ai souvent entendu raconter à la reine qu'il s'était vendu dans le secrétariat du prince de Rohan, à Vienne, plus de bas de soie qu'à Lyon et à Paris.

en un an,

(Note de madame Campan.)

(2) Ce prélat, vain, léger, dissipateur, avait près de lui, pour conseil et pour secrétaire d'ambassade, un homme capable, adroit, rusé, instruit, laborieux : c'était un jésuite. L'abbé Georgel jouissait de toute la confiance du prince de Rohan, et la méritait par son dévouement et son habileté. Une circonstance singulière,

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