Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

tragé par une perfidie du vieux ministre, qu'il ne pouvait lui pardonner. J'avais su quelque chose de cette intrigue, à l'époque où elle eut lieu; elle m'a été confirmée depuis par la maréchale de Beauvau. M. Necker voyant son crédit baisser à la cour, et craignant que cela ne nuişît à ses opérations en finances, écrivit au roi pour le supplier de lui accorder une grâce qui pût manifester, aux yeux du public, qu'il n'avait pas perdu la confiance de son souverain; il terminait sa lettre en désignant cinq choses différentes, telle charge ou telle marque d'honneur, ou telle décoration, et il la remit à M. de Maurepas. Les ou furent changés en et: le roi fut mécontent de l'ambition de M. Necker, et de la confiance avec laquelle il osait la manifester.

Madame la maréchale de Beauvau m'a assuré que le maréchal de Castries avait vu la minute de cet écrit de M. Necker, tout-à-fait conforme à ce qu'il lui avait dit, et qu'il avait vu de même la copie dénaturée (1).

L'intérêt que la reine avait pris à M. Necker, s'anéantit pendant sa retraite, et se changea même en de fortes préventions. Il écrivait trop sur les opérations qu'il avait voulu faire, et sur le bien qui en serait résulté pour l'État. Les ministres qui l'avaient successivement remplacé, crurent leurs opérations entravées par le soin que M. Necker et ses

(1) J'ai cette anecdote écrite de la main de cette dame.

(Note de madame Campan.

partisans prenaient d'occuper sans cesse le public de ses plans; ses amis étaient trop chauds: la reine vit de l'esprit de parti dans ces opinions de société, et se rangea entièrement parmi ses ennemis.

Après MM. Joly de Fleury et d'Ormesson, faibles contrôleurs-généraux, on fut obligé de recourir à un homme d'un talent plus reconnu, et les amis de la reine, réunis en ce moment au comte d'Artois, et, par je ne sais quel motif, à M. de Vergennes, firent nommer M. de Calonne. La reine en eut un déplaisir extrême, et son intimité avec la duchesse de Polignac commença à en souffrir: c'est à cette époque qu'elle disait que lorsque les souverains avaient des favoris, ils élevaient auprès d'eux des puissances, qui, encensées d'abord pour leurs maîtres, finissaient par l'être pour eux-mêmes, avaient un parti dans l'État, agissaient seuls, et faisaient retomber le blâme de leurs actions sur les souverains auxquels ils devaient leur crédit.

Les inconvéniens de la vie privée, pour une souveraine, frappaient alors la reine sous tous les rapports; elle m'en entretenait avec confiance, et m'a souvent dit que j'étais la seule personne instruite des chagrins que ses habitudes de société lui donnaient; mais qu'il fallait supporter des peines dont on était seule l'auteur; que l'inconstance dans une amitié telle que celle qui l'avait liée à la duchesse, et une rupture totale, avaient des inconvéniens encore plus graves, et ne pouvaient amener que de nouveaux torts. Ce n'est pas qu'elle eût

à reprocher à madame de Polignac un seul défaut qui pût lui faire regretter le choix qu'elle en avait fait comme amie, mais elle n'avait pas prévu l'inconvénient d'avoir à supporter les amis de ses amis, et la société y contraint.

Sa Majesté, continuant à me parler des inconvéniens qu'elle avait rencontrés dans la vie privée, me dit que les ambitieux sans mérite trouvaient là des moyens de tirer parti de leurs importunités, et qu'elle avait à se reprocher d'avoir fait nommer M. d'Adhémar à l'ambassade de Londres, uniquement parce qu'il l'excédait chez la duchesse. Elle ajouta cependant à cette espèce de confession, qu'on était en pleine paix avec les Anglais; que le ministre connaissait aussi bien qu'elle la nullité de M. d'Adhémar, et qu'il ne pouvait faire ni bien ni mal (1). Souvent, dans des entretiens d'un entier épanchement, la reine avouait qu'elle avait acquis à ses dépens une expérience qui la rendrait bien attentive à veiller à la conduite de ses belles-filles; qu'elle serait surtout fort scrupuleuse sur les qua

(1) Grimm rapporte, dans sa Correspondance, des couplets faits, dit-il, par M. d'Adhémar, dix-huit ans avant son ambassade. Cette chanson ne prouve rien assurément contre ses talens diplomatiques; de nos jours, la chanson mène à tous les honneurs; mais sa muse qui ne paraît pas fort sévère est d'ailleurs fort indiscrète; il donnerait, si l'on pouvait l'en croire, une bien mauvaise idée de la bonne compagnie du temps. Par ce double motif, nous reléguons la chanson dans les notes; ira l'y chercher qui voudra (lettre V). (Note des édit.)

lités et les vertus de leurs dames, et qu'aucun égard ni pour le rang, ni pour la faveur, ne la déterminerait dans un choix si important. Elle attribuait à une dame fort légère qu'elle avait trouvée dans son palais en arrivant en France, plusieurs démarches de sa première jeunesse. Elle se proposait aussi d'interdire aux princesses qui dépendraient d'elle l'usage de faire de la musique avec des professeurs, et disait avec sincérité et aussi sévèrement qu'auraient pu le faire ses détracteurs: « Je devais entendre chanter Garat, et ne jamais » chanter de duo avec lui (1). » C'est avec cette

(1) On lit dans la Correspondance de Grimm, année 1784, le passage suivant, au sujet de ce chanteur célèbre :

<< Nous avons ici, depuis quelque temps, un jeune homme dont le talent est un de ces phénomènes extraordinaires qui tiennent à la réunion la plus heureuse de différens dons de la nature. Son nom est M. Garat, fils d'un célèbre avocat au parlement de Bordeaux. Il est à peine âgé de vingt ans. Il ignore jusqu'aux premiers élémens de la musique, et personne en France, peut-être même dans toute l'Italie, ne chante avec un goût aussi sûr, aussi exquis. Sa voix, espèce de tenor, participant de la haute-contre, est d'une flexibilité, d'une égalité, d'une pureté dont on ne connaît point d'exemples. Ses accens ont cette sensibilité que l'art ne donne point, et qu'il imite à peine. Son oreille est d'une exactitude, d'une précision rare, même parmi ceux qui connaissent le mieux les principes de l'art du chant, et sa mémoire, don sans lequel tous les autres seraient perdus pour lui, est telle qu'il retient par cœur non-seulement tout ce qu'il entend chanter, mais même les parties les plus compliquées des accompagnemens et les traits d'orchestre les plus difficiles. L'harmonie commande si fort cette tête naturellement musicale, que quand il chante sans accompagnement

impartialité qu'elle parlait de sa jeunesse. Que ne devait-on pas espérer de son âge mûr!

des airs qui en ont d'obligés, il remplit les suspensions ou les intervalles du chant par les traits que devrait rendre l'orchestre ; enfin l'art du chant est tellement inné chez ce jeune homme, que MM.Piccini, Sacchini et Grétry, qui l'ont tous entendu avec enthousiasme, lui ont conseillé de ne point s'appliquer à une étude des règles dont la nature semble avoir voulu le dispenser. Il joint à ce don précieux un esprit facile, la vivacité de son pays et une figure aimable. La reine a désiré plusieurs fois l'entendre, et M. le comte d'Artois vient de le nommer secrétaire de son cabinet. Nous l'avons entendu exécuter plusieurs fois tout l'opéra d'Orphée, depuis l'ouverture jusqu'aux derniers airs de danse du ballet qui le termine. Un opéra est, dans le gosier de cet être étonnant, un seul morceau de musique qu'il exécutera avec la même facilité qu'un autre chanterait une ariette. Quel dommage que l'état dans lequel il est né l'empêche d'employer un talent aussi rare à sa fortune et aux plaisirs du public! >>

(Note des édit.)

« ZurückWeiter »