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revoir sa terre natale le décida sans doute à subir cette loi, mais il s'en vengea en faisant contraster avec la longue queue de sa robe et ses manchettes à triple étage, les attitudes et les propos d'un grenadier, ce qui lui donna le ton de la plus mauvaise compagnie.

Enfin l'événement tant désiré par la reine et par tous ceux qui lui étaient attachés arriva. Sa Majesté devint grosse; le roi en fut ravi. Jamais on n'a pu voir d'époux plus unis et plus heureux. Le caractère de Louis XVI était tout-à-fait changé, prévenant, soumis; il avait subi le joug de l'amour, et la reine était bien dédommagée des peines que l'indifférence du roi lui avait fait éprouver pendant les premières années de leur union.

L'été de 1778 fut extrêmement chaud : juillet et août se passèrent, sans que l'air eût été rafraîchi par un seul orage. La reine, incommodée par sa grossesse, passait les jours entiers dans ses appartemens exactement fermés, et ne pouvait s'endormir qu'après avoir respiré l'air frais de la nuit, en se promenant, avec les princesses et ses frères, sur la terrasse au-dessous de son appartement. Ces promenades ne firent d'abord aucune sensation; mais on eut l'idée de jouir, pendant ces belles nuits d'été, de l'effet d'une musique à vent. Les musiciens de la chapelle eurent l'ordre d'exécuter des morceaux de ce genre, sur un gradin que l'on fit construire au milieu du parterre. La reine, assise sur un des bancs de la terrasse, avec la totalité de la famille

T. I.

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royale, à l'exception du roi qui n'y parut que

deux

fois, n'aimant point à déranger l'heure de son coucher, jouissait de l'effet de cette musique. Rien de plus innocent que ces promenades, dont bientôt Paris, la France, et même l'Europe, furent occupés de la manière la plus offensante pour le caractère de Marie-Antoinette. Il est vrai que tous les habitans de Versailles voulurent jouir de ces sérénades et que bientôt il y eut foule depuis onze heures du soir, jusqu'à deux et trois heures du matin. Les fenêtres du rez-de-chaussée occupé par Monsieur et Madame, restaient ouvertes, et la terrasse était parfaitement éclairée par les nombreuses bougies allumées dans ces deux appartemens. Des terrines placées dans le parterre, et les lumières du gradin des musiciens éclairaient le reste de l'endroit où l'on se tenait.

J'ignore si quelques femmes inconsidérées osèrent s'éloigner, et descendre dans le bas du parc : cela peut être; mais la reine, Madame et madame la comtesse d'Artois se tenaient par le bras et ne quittaient jamais la terrasse. Vêtues de robes de percale blanche avec de grands chapeaux de paille, et des voiles de mousseline (costume généralement adopté par toutes les femmes), lorsque les princesses étaient assises sur les bancs on les remarquait difficilement; debout, leurs tailles différentes les faisaient toujours reconnaître, et l'on se rangeait pour les laisser passer. Il est vrai que lorsqu'elles se plaçaient sur des bancs, quelques particuliers vinrent s'asseoir à côté d'elles, ce qui les

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amusa beaucoup. Un jeune commis de la guerre assez spirituel et d'un fort bon ton, ne reconnaissant pas, ou feignant de ne pas reconnaître la reine, lui adressa la parole: la beauté de la nuit, et l'effet agréable de la musique, furent le motif de la conversation; la reine, ne se croyant pas reconnue, trouva plaisant de garder l'incognito; on parla de quelques sociétés particulières de Versailles, que la reine connaissait parfaitement, puisque toutes étaient formées de gens attachés à la maison du roi ou à la sienne. Au bout de quelques minutes, la reine et les princesses se levèrent pour se promener et saluèrent le commis en quittant le banc. Ce jeune homme sachant ou ayant découvert qu'il avait parlé à la reine, en tira quelque vanité dans ses bureaux. On le sut, on lui fit dire de se taire, et on s'occupa si peu de lui, que la révolution le trouva encore simple commis de la guerre. Un autre soir, un garde-du-corps de Monsieur, étant venu de même se placer auprès des princesses, les reconnut, quitta la place où il était assis, et vint en face de la reine, lui dire qu'il était bien heureux de pouvoir saisir une occasion d'implorer les bontés de sa souveraine : qu'il sollicitait à la cour..... Au seul mot de sollicitation, la reine et les princesses se levèrent précipitamment, et rentrèrent dans l'appartement de Madame (1).

(1) Soulavic a dénaturé ces deux faits de la manière la plus criminelle. (Note de madame Campan.)

J'étais chez la reine le jour même. Elle nous entretint de ce petit événement pendant toute la durée de son coucher, et ses plaintes se bornaient à trouver mauvais qu'un garde de Monsieur eût eu l'audace de lui parler. Sa Majesté ajoutait qu'il aurait dû respecter leur incognito; que ce n'était pas là qu'il devait se permettre de faire une demande. Madame l'avait reconnu et voulait s'en plaindre à son capitaine.

La reine s'y opposa, attribuant au peu d'éducation

d'un homme de province la faute qu'il avait commise.

Les contes les plus scandaleux ont été faits et imprimés dans les libelles du temps, sur les deux événemens très-insignifians que je viens de détailler avec une scrupuleuse exactitude; rien n'était plus faux que ces bruits calomnieux. Cependant il faut l'avouer, ces réunions avaient de graves inconvéniens. J'osai le représenter à la reine, en l'assurant qu'un soir où Sa Majesté m'avait fait signe de la main de venir lui parler sur le banc où elle était assise, j'avais cru reconnaître à côté d'elle, deux femmes très-voilées qui gardaient le plus profond silence; que ces femmes étaient la comtesse Du Barry et sa belle-sœur ; et que j'en avais été convaincue en rencontrant à quelques pas du banc où elles étaient, auprès de Sa Majesté, un grand laquais de madame Du Barry, que j'avais vu à son service, tout le temps qu'elle avait résidé à la cour.

par

Mes avis furent inutiles: la reine abusée le plaisir qu'elle trouvait dans ces promenades, et

par la sécurité que donne une conduite sans reproches, ne voulut point croire aux fatales conséquences qu'elles devaient nécessairement avoir. Ce fut un grand malheur; car, outre les désagrémens qu'elle en éprouva, il est bien probable qu'elles ont donné l'idée du mauvais roman qui occasiona la funeste erreur du cardinal de Rohan.

Après avoir joui près d'un mois de ces promenades de nuit, la reine voulut avoir un concert particulier dans l'enceinte de la colonnade où se trouve le groupe de Pluton et de Proserpine. On plaça des factionnaires aux entrées de ce bosquet, et la consigne était de n'admettre dans l'intérieur de la colonnade, qu'avec un billet signé de mon beau-père. Les musiciens de la chapelle, et les musiciennes de la chambre de la reine y donnèrent un fort beau concert. La reine s'y rendit avec mesdames de Polignac, de Châlon, d'Andlau; MM. de Polignac, de Coigny, de Besenval, de Vaudreuil : il y avait aussi quelques écuyers. Sa Majesté me permit d'assister à ce concert avec quelques-unes de mes parentes. Il n'y eut pas de musique sur la terrasse; la foule des curieux, éloignée par les factionnaires qui gardaient l'enceinte de la colonnade, se retira très-mécontente, et les plus révoltantes calomnies circulèrent au sujet de ce concert particulier (1).

(1) Cette anecdote est de même odieusement dénaturée dans le recueil infâme de Soulavie, et cet ouvrage en six volumes est mal

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