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Le cardinal de Fleury, qui, à la vérité, eut le mérite de rétablir les finances, poussa ce système d'économie au point d'obtenir du roi de supprimer la maison et l'éducation des quatre dernières princesses. Elles avaient été élevées, comme simples pensionnaires, dans un couvent, à quatre-vingts lieues de la cour. La maison de Saint-Cyr eût été plus convenable pour recevoir les filles du roi ; le cardinal partageait probablement quelques-unes de ces préventions qui s'attachent toujours aux plus utiles institutions, et qui, depuis la mort de Louis XIV, s'étaient élevées contre le bel établissement de madame de Maintenon. Il aima mieux confier l'éducation de Mesdames à des religieuses de province. Madame Louise m'a souvent répété qu'à douze ans elle n'avait point encore parcouru la totalité de son alphabet, et n'avait appris à lire couramment que depuis son retour à Versailles.

Madame Victoire attribuait des crises de terreur panique qu'elle n'avait jamais pu vaincre, aux violentes frayeurs qu'elle éprouvait à l'abbaye de Fontevrault, toutes les fois qu'on l'envoyait par pénitence prier seule dans le caveau où l'on enterrait les religieuses. Aucune prévoyance salutaire n'avait préservé ces princesses des impressions funestes que la mère la moins instruite sait éloigner - de ses enfans.

Un jardinier de l'abbaye mourut enragé ; sa demeure extérieure était voisine d'une chapelle de l'abbaye où l'on conduisit les princesses réciter les

prières des agonisans. Les cris du moribond interrompirent plus d'une fois ces prières.

Les gâteries les plus ridicules se mêlaient à ces pratiques barbares. Madame Adélaïde, l'aînée des princesses, était impérieuse et emportée; les bonnes religieuses ne cessaient de céder à ses ridicules fantaisies. Le maître de danse, seul professeur de talent d'agrément qui eût suivi Mesdames à Fontevrault, leur faisait apprendre une danse alors fort en vogue, qui s'appelait le menuet couleur de rose. Madame voulut qu'il se nommât le menuet bleu. Le maître résista à sa volonté, il prétendit qu'on se moquerait de lui à la cour, quand Madame parlerait d'un menuet bleu. La princesse refusa de prendre sa leçon, frappait du pied, et répétait bleu, bleu; rose, rose, disait le maître. La communauté s'assembla pour décider de ce cas si grave, les religieuses crièrent bleu comme Madame, le menuet fut débaptisé, et la princesse dansa. Parmi des femmes si peu dignes des fonctions d'institutrices, il s'était cependant trouvé une religieuse qui, par sa tendresse éclairée, et par les utiles preuves qu'elle en donnait à Mesdames, mérita leur attachement et obtint leur reconnaissance : c'était madame de Soulanges, qu'elles firent depuis nommer abbesse de Royal-Lieu (1). Elles s'occupèrent aussi

(1) Cette femme vertueuse mourut victime des fureurs révolutionnaires. Elle et ses nombreuses sœurs furent conduites le même jour à l'échafaud. En partant de la prison, sur la fatale charrette,

de l'avancement des neveux de cette dame; ceux de la mère Mac-Carthy qui les avait lâchement gâtées, portèrent long-temps le mousqueton de garde-du-roi à la porte de Mesdames, sans qu'elles songeassent à leur fortune.

Quand Mesdames, encore fort jeunes, furent revenues à la cour, elles jouirent de l'amitié de monseigneur le dauphin, et profitèrent de ses conseils. Elles se livrèrent avec ardeur à l'étude et y consacrèrent presque tout leur temps; elles parvinrent à écrire correctement le français et à savoir très-bien l'histoire. Madame Adélaïde, surtout, eut un désir immodéré d'apprendre; elle apprit à jouer de tous les instrumens de musique, depuis le cor (me croirat-on?) jusqu'à la guimbarde. L'italien, l'anglais, les hautes mathématiques, le tour, l'horlogerie, occupèrent successivement les loisirs de ces princesses. Madame Adélaïde avait eu un moment une figure charmante; mais jamais beauté n'a si promptement disparu que la sienne. Madame Victoire était belle et très-gracieuse; son accueil, son regard, son sourire étaient parfaitement d'accord avec la bonté de son ame. Madame Sophie était d'une rare laideur;

toutes entonnèrent le Veni creator. Arrivées au lieu du supplice, elles n'interrompirent point leurs chants : une tête tombait, et cessait de mêler sa voix à ce chœur céleste; mais les chants continuaient. L'abbesse périt la dernière, et sa voix restée seule, toujours plus sonore, fit toujours entendre le pieux verset. Elle cessa tout-à-coup; c'était le silence de la mort.

(Note de madame Campan.)

je n'ai jamais vu personne avoir l'air si effarouché; elle marchait d'une vitesse extrême, et pour recon naitre, sans les regarder, les gens qui se rangeaient sur son passage, elle avait pris l'habitude de voir de côté, à la manière des lièvres. Cette princesse était d'une si grande timidité qu'il était possible de la voir tous les jours, pendant des années, sans l'entendre prononcer un seul mot. On assurait cependant qu'elle montrait de l'esprit, et même de l'amabilité dans la société de quelques dames préférées; elle s'instruisait beaucoup, mais elle lisait seule; la présence d'une lectrice l'eût infiniment gênée. Il y avait pourtant des occasions où cette princesse, si sauvage, devenait tout-à-coup affable, gracieuse et montrait la bonté la plus communicative; c'était lorsqu'il faisait de l'orage: elle en avait peur, et tel était son effroi, qu'alors elle s'approchait des personnes les moins considérables; elle leur faisait mille questions obligeantes; voyait-elle un éclair, elle leur serrait la main; pour un coup de tonnerre elle les eût embrassées; mais le beau temps revenu, la princesse reprenait sa roideur, son silence, son air farouche, passait devant tout le monde sans faire attention à personne, jusqu'à ce qu'un nouvel orage vînt lui ramener sa peur et son affabilité.

Mesdames avaient trouvé dans un frère chéri dont les hautes vertus sont connues de tous les Français, un guide pour tout ce qu'exigeait une éducation trop négligée dans leur enfance. Elles eurent dans leur auguste mère, Marie Leckzinska, le plus

noble modèle de toutes les vertus pieuses et sociales; par ses éminentes qualités, par sa modeste dignité, cette princesse voilait les torts, que trop malheureusement on était autorisé à reprocher au roi; et tant qu'elle vécut elle conserva à la cour de Louis XV cet aspect digne et imposant, qui seul entretient le respect dû à la puissance. Les princesses ses filles furent dignes d'elle, et si quelques êtres vils essayèrent de lancer contre elles les traits de la calomnie, ils tombèrent aussitôt, repoussés par la haute idée qu'on avait de l'élévation de leurs sentimens et de la pureté de leur conduite.

Si Mesdames ne s'étaient pas imposé un grand nombre d'occupations, elles eussent été très à plaindre. Elles aimaient la promenade et ne pouvaient jouir que des jardins publics de Versailles elles auraient eu du goût pour la culture des fleurs, et n'en pouvaient avoir que sur leurs fenêtres.

La marquise de Durfort, depuis duchesse de Civrac (1), avait procuré à madame Victoire les douceurs d'une société aimable. La princesse passait presque toutes ses soirées chez cette dame, et avait fini par s'y croire en famille.

Madame de Narbonne s'était de même empressée

(1) La duchesse de Civrac, grand'mère de deux héros de la Vendée, Lescure et La Roche-Jaquelin, par le mariage de sa fille aînée avec M. d'Onissan; et de l'infortuné Labédoyère, par mariage de sa seconde fille avec M. de Chastellux.

(Note de madame Campan.)

le

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