& du vin a plus de force que la nature, parce que par la confecration la nature du pain & du vin eft changée. Il apporte l'exemple de différens changemens miraculeux, comme de la baguette de Moïfe changée en ferpent, des fleuves d'Egypte changés en fang; enfuite il ajoute : Si la feule bénédiction d'un homme a eu affez de force pour transformer la nature, que dirons-nous d'une confecration où les paroles même du Sauveur operent ce qui s'y fait? Si cette parole a pu faire de rien ce qui n'étoit pas encore, pourquoi ne pourroit-elle pas auffi changer la nature de ce qui eft déja?.... Le corps que nous confacrons eft le même qui eft né de la fainte Vierge, c'est la véritable chair de Jésus-Chrift qui a été crucifié, qui a été enseveli.... Après la confécration, c'est le corps de Jésus-Chrift, c'eft fon fang; ..... Vous répondez Amen, c'est-à-dire, cela eft vrai. Croyez donc ce que vous atteftez par vos paroles. Eft-il poffible de s'expliquer plus clairement?

S. Auguftin dit que Jésus-Chrift nous a donné fa chair à & manger, que per fonne ne la mange fans auparavant l'adorer (a). Mais pourroit-on adorer l'euchariftie fi elle n'étoit que la repréfentation du corps de Jéfus-Chrift?

S. Jérôme dit que ce que Jéfus-Christ

(a) Enarrat. in pfal. 98.

donna

donna à ses apôtres dans la derniere cene, étoit fon corps & fon fang de la nouvelle alliance, qui devoit être répandu pour la rémiffion des péchés (a). Il ajoute dans fon épître au pape Damafe: Que tous les jours nous fommes nourris du corps de Jésus-Chrift, & abreuvés de fon fang.

Je m'arrête ici : car il faudroit vous citer des ouvrages entiers de S. Jérôme, de S. Chryfoftôme, de S. Auguftin, de S. Céfaire, de S. Grégoire, & de tous les auteurs de fiecles fuivans.

Aucun d'eux n'a dit que nous ne recevons dans l'euchariftie que la représentation du corps & du fang de Jéfus-Christ; tous au contraire difent expreffément que nous mangeons fon corps, que nous bu vons fon fang. Mais eft-il concevable que fi tous ces docteurs n'avoient pas cru la préfence réelle, aucun d'eux n'eût averti les fideles que nous ne recevions dans l'eutchariftie que la figure & la représentation de Jésus-Chrift mort pour nous, & qu'il ne falloit pas l'y adorer?

La plupart des peres de l'églife, pour expliquer la préfence de Jéfus-Chrift dans l'euchariftie, ont recours à un miracle par lequel le pain eft changé en fon corps & le vin en fon fang: mais ôtez la présenee

(a) Hyerom, épift. 150.

réelle, il ne fe fait aucun changement miraculeux; que le pain foit la représentation du corps de Jésus-Chrift, & le vin la figure de fon fang, ce fera toujours du pain, du vin, & rien de plus.

Le témoignage des païens même nous prouve que les premiers chrétiens croyoient la préfence réelle. Les idolâtres accufoient les chrétiens de manger la chair d'un enfant. C'est un fait rapporté par Tertullien & par S. Irenée, dans la lettre où il décrit l'histoire des martyrs de Lyon. Or, n'eft-il pas vifible que cette accufation des païens n'avoit d'autre fondement que la croyance où étoient les chrétiens qu'ils recevoient réellement le corps & le fang de Jéfus-Chrift dans l'euchariftie, dont les païens n'avoient pas une jufte idée, parce que dans les premiers fiecles on ne parloit clairement de ce myftere qu'en présence de ceux qui étoient baptifés ou fur le point de l'être, afin de ne pas expofer le facrement à la raillerie des infideles? Delà vient que les anciens peres, en parlant de l'euchariftie, fe fervent fi fouvent de ces expreffions: Les initiés favent ce que je veux dire..... Les initiés m'entendent. Si l'on ne trouve point ces réticences dans les inftructions de S. Cyrille, de S. Grégoire de Niffe, & de S. Ambroise, que je vous ai citées, c'eft qu'elles ne devoient être

connues que de ceux qui étoient déja baptifés.

LE PROTESTAN T.

Il paroît par tout ce que vous venez de dire, que dès les premiers fiecles on croyoit la préfence réelle, comme les catholiques la croient aujourd'hui.

Mais les calviniftes ont-ils été les premiers qui aient imaginé que l'eucharistie n'étoit que la repréfentation du corps & du fang de Jéfus-Chrift? comment au bout de feize fiecles ont-ils ofé enfeigner fur un point auffi effentiel une doctrine contraire à ce que l'église avoit toujours cru jufqu'alors?

LE DOCTEUR.

Vous me donnez lieu, Monfieur, de vous développer un fait très-important, qui me fournira une nouvelle preuve de la présence réelle.

Dans l'onzieme fiecle Berenger, archidiacre d'Angers, attaqua publiquement ce dogme capital. Se livrant à fon génie hardi & à la présomption que lui infpiroient fes talens, il avoit déja combattu quelques autres articles de la croyance catholique; mais quand il ofa contredire celui-ci, le monde chrétien fe fouleva tout entier contre lui: ce fut fur-tout en France, en

Italie, en Angleterre. On tint contre fon erreur jufqu'à quinze conciles différens; à Rome, à Tours, à Paris, à Florence, &c.

Il brûla lui-même fes écrits dans celui qui fut affemblé à Rome, où le pape Nicolas Il préfida l'an 1059; enfuite l'an 1079, il abjura de nouveau fes erreurs dans un autre concile, tenu à Rome fous le pontificat de Grégoire VII, & dans un concile de Bordeaux; il fit dans ces deux derniers conciles une profeffion de foi encore plus fincere que celle qu'il avoit faite en 1059.

Il fe retira enfuite dans un monaftere; il y finit fes jours dans de grands fentimens de pénitence, verfant beaucoup de larmes & gémiffant amérement fur fes égaremens paffés. Son héréfie demeura enfevelie avec lui jufqu'au feizieme fiecle où Carlostad, Zwingle, Bucer & Calvin la réveillerent.

Il est donc certain qu'alors toute l'églife croyoit la présence réelle: donc elle l'a toujours crue & ce raifonnement qu'on appelle communément, de prescription, eft fans réplique.

En effet, fi les apôtres & leurs premiers difciples euffent d'abord enfeigné que les textes facrés qui parlent de l'euchariftie devoient être pris dans un fens figuré, & que l'églife l'eût cru ainfi, il eût été absolument impoffible qu'elle eût enfuite changé de croyance & profeffé la préfence réelle.