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CHAPITRE XVIII.

Seizieme vérité.

Un fait quelconque fondé fur un grand nombre de preuves conteftables ne peut acquérir force de démonftration.

D'

E mauvaises raifons, en quelque nombre qu'elles foient, n'en font pas une bonne, & cent mille probabilités ne détruifent pas une vérité conftante qui leur eft oppofée. Il eft vrai que dans la néceffité de fe déterminer il faut fe rendre à des probabilités ou à de mauvaises raifons; cependant ce n'eft que quand il n'y a point de bonnes raifons contraires, ou quand de l'autre côté il n'y a rien du tout; mais alors on voit clairement qu'on court rifque d'être trompé au lieu que quand il y a une bonne raifon & une preuve incontestable, toutes les vraisemblances, toutes les raisons fauffes & équivoques disparoiffent; on marche fûrement, & l'on voit clairement qu'on prend le bon parti quand on fe rend à une vérité métaphyfique.

Argument démonstratif.

Toutes les chofes établies fur de fim

ples apparences & fur des vraisemblances font fauffes ou mal fondées fi elles font contraires aux premieres vérités.

Toutes les Religions font établies fur de fimples apparences & fur des vraisemblances contraires aux premieres vérités; donc &c.

Je ne crois pas, mon R. P., que vous puiffiez nier ma mineure, c'est tout ce que je puis dire de plus favorable aux Religions factices & au Chriftianisme en particulier; fi je voulois l'entreprendre je prouverois incontestablement qu'elles ne font pas même fondées fur des probabilités ou des vraisemblances, mais cela feul feroit la matiere d'un autre ouvrage dont je pourrai m'occuper fi la nature m'accorde affez de tems pour remplir mes vues à cet égard.

CHAPITRE XIX.
Dix-feptieme vérité.

Perfonne n'eft obligé d'embrasser quelque Religion que ce foit.

Per

erfonne n'eft obligé de lire, d'enten dre ni de croire quelque fait que ce foit, je défie tous les Théologiens de l'uni

. Cela eft d'autant plus évident que le zêle de chaque Religion eft le même, quoique toutes different infiniment les unes des autres & s'anathématifent réciproquement.

Il faut au moins un an pour apprendre l'abrégé de la religion Chrétienne & dix ans pour y être un peu verfé. Il faut favoir lire & écrire dans des langues mortes; il faut paffer fa vie à feuilleter des livres ridicules, & être affez prévenu pour les regarder comme divinement inspirés quoiqu'ils choquent le bon fens prefqu'à chaque page: enfin il faut fe faire une étude férieuse de fables, de fubtilités, de concordances impoffibles, & fe mettre à la torture pour concilier des contradictions.

Revenons, mon R. P., plus précifément à notre but; il eft certain que quand une chofe eft conteftée de bonne foi par un grand nombre d'hommes éclairés, cette chofe eft ou fauffe, ou obfcure, ou très-difficile à entendre.

Ainfi que peut-on penfer quand on voit que la Religion la plus étendue ou la plus univerfellement reçue, a au moins les trois quarts des hommes contre elle, & que chacune des Religions établies eft regardée par les autres comme fauffe,

pernicieufe, abominable? Nous fommes donc forcés d'avouer que nous fuivons avec une opiniâtreté ridicule une fauffeté ; ou au moins une chofe très-douteufe, à laquelle nous n'entendons rien nousmêmes, que nous ne pouvons démontrer aux autres, enfin dans laquelle les trois quarts des hommes croient voir clairement que nous fommes dans l'erreur.

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Les partifans de chaque Religion font très-clairvoyans fur les ridiculités, les abfurdités & les impoffibilités des autres. Vous voyez très-clairement, mon R. P. l'impofture & la fauffeté de la révélation de l'Alcoran; les Juifs & les Payens voient de même celles de l'Evangile, elles font encore plus frappantes pour tout homme fans préjugés. Le Pere Malebranche connoîtroit bien & mettroit dans un beau jour le ridicule du Chriftianifme, fi la prévention & les préjugés de l'éducation n'avoient mis un bandeau fur fes yeux, ou même s'il vouloit effayer d'écarter ce bandeau & de penser par lui-même.

Voyons-nous bien clairement que faute d'un verre d'eau verfé fur notre tête par un Prêtre avec quelques paroles nous fommes éternellement l'objet de la vengeance d'un être infiniment jufte?

vers de m'apporter la moindre raifon pour m'obliger à les entendre prêcher, encore moins à les croire lorfqu'ils rapportent quelques faits; encore moins fi ces faits font impoffibles, ou contre les loix de la nature & du bon fens. Il en eft de lire un livre comme de croire les faits qu'il contient.

Celui qui n'eft ni aveugle ni fourd, eft-il obligé de favoir qu'il exifte un tel livre? Eft-il obligé de favoir lire? Eftil obligé d'entendre la langue dans laquelle il eft écrit? Eft-il obligé de s'en rapporter à une traduction? Eft-il enfin obligé de la lire?

Quant aux faits, on pourroit bien dire qu'un homme eft un infenfé s'il refufoit d'en croire quelques-uns, tels que l'exiftence de la ville de Rome, ou de Paris; mais affûrement perfonne ne le jugera pour cela criminel ni fujet à la moindre peine, vû qu'il eft évident que la croyance n'eft point un acte libre.

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Si je fuis obligé d'écouter un homme qui vient me prêcher, je fuis de même obligé d'écouter tous ceux qui me prêcheront; il n'y a pas plus de raifon pour écouter le premier Sermon que me fera te Muphti, que celui du Curé, du Mọlack, du Bramine, du Miniftre, &c. Si

je

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