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figure que fût un terrein capable de con tenir quatre cens hommes il ne falloit pas plus de travail pour le fortifier que s'il eût été rond ou quarré, & lorfque je dis que ce terrein pourroit être de telle figure qu'il faudroit cent fois plus de toifes de foffé, que s'il étoit rond, je fus regardé par quelques autres Officiers qui nous écoutoient, comme un homme qui veut raffiner für tout, & qui fe plaît à foutenir des propofitions extraordinaires & fauffes.

Qu'est-ce que ces gens combattoient? Ce n'étoit pas la vérité, elle étoit voilée pour eux; ils étoient de très-braves gens, mais nullement géometres; auflitôt que

leur eus fait mefurer le tour d'une carte avec un fil, & qu'ayant coupé cette carte en cinq ou fix morceaux fuivant fa longueur, j'en eus mis les morceaux bout à bout, aucun ne contefta plus, ils furent étonnés de voir le vrai, ils s'y rendirent à l'instant.

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Il eft inconteftable que ce qui eft nić ou difputé férieufement par quelqu'un eft une fauffeté ou une obfcurité, la vérité en elle-même eft ce qui eft; par rapport à nous c'eft ce que nous connoiffons être, c'eft ce que nous voyons clairement fans en pouvoir douter, & ce

que nous concevons être vû par tous les êtres intelligens de même que nous le voyons nous-mêmes.

Dieu feul voit toutes les vérités avec toutes leurs combinaisons, leurs rapports & leurs conféquences & cela d'une maniere intuitive; les êtres bornés n'apperçoivent que quelques vérités les unes après les autres, ils en voyent certains rapports, ils en tirent quelques conféquences avec le tems & à force d'application, mais enfin ce qu'ils voyent clairement eft une vérité qu'ils ne font pas libres de nier; & ce qu'ils voyent clairement n'être pas eft un néant dont ils ne font pas libres de croire l'exiftence.

Ce n'est donc que de bouche que les hommes affirment les articles de foi des Religions qu'ils profeffent; ils ne les voyent ni par les yeux du corps ni par ceux de l'efprit; bien loin de là, ils voyent le contraire par leurs fens & par leur raifon: il eft certain qu'ils ont oui prêcher & affirmer ces chofes, mais le fait refle toujours incertain pour eux & sujet à conteftation.

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La vérité fe foutient fe voit & fe montre par elle-même; plus elle-même; plus on l'examine, plus on la connoît; plus on l'attaque, plus on l'éclaircit; plus on l'approfon

dit, plus elle devient inconteftable; elle n'a pas befoin de s'infinuer par la rufe & par furprise, ni d'être maintenue par des violences. Elle ne craint point la lumiere; on n'eft point obligé de l'apprendre aux enfans comme à des perroquets; c'eft ce que l'on fait pour les inftruire dans la Religion, afin qu'en prévenant & en occupant l'imagination on profite du fatal empire qu'on lui donne fur la raifon.

Il n'y a que trop d'impofteurs qui combattent la vérité dont ils craignent les conféquences pour eux-mêmes. Mais ils n'en font pas moins intérieurement convaincus. Ce n'eft pas pour faire connoître la vérité que les loix s'arment, c'est pour lui faire obéir, c'eft pour en faire pratiquer les conféquences, c'est pour que la crainte des châtimens contrebalancent les paffions des hommes qui les feroient fouvent agir contre leur confcience, qui n'eft autre chofe qu'une apperception conftante de certaines vérités, & une habitude réfléchie de fentir, de penfer & d'agir conformément à la rectitude morale à laquelle ces vérités fervent de bafe.

Un malfaiteur que des juges condamnent à la mort ne s'emporte point contre

eux, il ne leur en veut point, il con noît la vérité de la néceffité où ils font de févir contre lui & du droit qu'il leur a donné conjointement avec les autres membres de la Société, d'agir ainfi contre les infracteurs des loix de la patrie: voilà, fans doute, la preuve la plus indubitable d'une très-grande conviction.

Il ne faut point de violence pour faire convenir tous les hommes d'une vérité, quoiqu'il en faille pour les faire vivre fuivant cette vérité; la vue de la vérité & l'acquiefcement intérieur qui la fuit ne nous coûtent rien. C'eft la pratique des ordres de la vérité qui eft difficile , par ce qu'elle exige fouvent le facrifice de nos paffions à des intérêts plus forts, plus nobles & qui doivent, fans doute, nous être plus chers & plus facrés, puifqu'après tout la vertu eft toujours la voie la plus fimple & la plus fûre du bonheur; mais ces intérêts ne peuvent agir fur nous que foiblement & lentement par ce que nous ne les voyons que dans un point de vue obfcur, incertain & éloigné, tandis que nos paffions font préfentes.

Tous les hommes conviennent qu'il y a une justice, qu'il faut que chacun jouiffe en paix du fruit de fes travaux, que

l'on doit exécuter ce que l'on a promis fans contrainte, &c. mais tous les hommes ne vivent pas fuivant cette justice, leurs intérêts préfens ou leurs paffions les font manquer à ces chofes qu'ils reconnoiffent être de droit ou dont ils fentent la vérité.

Ceci vous paroît peut-être un écart & une digreffion inutile, mon R. P.; cependant il s'enfuit naturellement que fi les Religions factices étoient des vérités il ne feroit pas néceffaire de les établir & de les maintenir par la force comme on fait; on pourroit bien faire des loix pour faire fuivre telle Religion qu'on voudroit, mais fi elle étoit vraie elle ne feroit pas conteftée, au moins pendant longtems.

Si les hommes avoient confulté les idées claires que le bon fens leur a données, ils auroient depuis longtems secoué le joug de leurs religions & en auroient puni les fuppôts comme des impofteurs & des empoifonneurs publics.

La Géométrie & l'Arithmétique ne cauferont jamais de guerres civiles; il n'eft pas néceffaire d'une Inquifition pour les maintenir, on les apprend mieux à un homme fait qu'à un enfant, à un grand génie qu'à un esprit foible & rétréci; on

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