Images de page
PDF
ePub

Chriftianifme: mais c'eft un miférable lieu commun dont vous ne ferez fûrement point ufage. Vous avez trop de pénétration pour ne pas fentir la foiblesfe de pareilles armes; car, outre que chaque Religion peut faire le même reproche à l'autre, que les Juifs peuvent dire aux Chrétiens qu'ils ont refufé d'embraffer le judaïsme, pour éviter la circoncifion, pour manger de toutes fortes de viandes &c., pour que ces argumens euffent quelque folidité, il faudroit que les fectateurs d'une Religion factice fusfent meilleurs & plus honnêtes gens que les fauvages & que les Philofophes. Eh! quelle différence, bon Dieu!

J'appelle Religions factices toutes celles qui font inventées par des hommes, qui font établies fur des faits, qui reconnoiffent d'autres principes que ceux de la nature & de la raifon, & d'autres loix que celles de la confcience. Ce ne font point les fcélérats, les tyrans, les exacteurs, les traîtres, les affaffins, les empoifonneurs qui fe révoltent contre. les Religions, ils en ont les mêmes fentimens que la plupart des hommes; ils font même affez communément dévots jufqu'à la fuperftition. Ce font les gens de bien qui aiment la vertu & l'hon

neur, qui écoutent leur confcience & leur raifon, qui fe voyent avec horreur engagés dans des opinions ridicules & funcfles.

Je finis en vous avertiffant qu'en me difant fans érudition, j'entends que je n'ai point fait mon unique profeffion de l'étude comme les favans, les critiques & les gens de lettres, qui fe font occu-pés de recherches pendant toute leur vie; car d'ailleurs j'avoue que je ne fuis point tout-à-fait dénué de connoiffances. J'ai lû l'Ecriture avec réflexion : j'ai quelque teinture de l'hiftoire, je fuis un peu Phyficien, j'ai quelques connoisfances des Mathématiques, enforte que j'entendrai tout ce qui fera folide, quelqu'abflrait qu'il puiffe être.

Il faut encore que je vous fupplie de n'être pas choqué des termes forts qui pourront peut-être m'échapper en parlant de votre Religion. Je joue un perfonnage libre, indifférent, dégagé de tous les égards politiques; en un mot je joue le rôle d'un fauvage, qui n'a l'esprit imbu d'aucun préjugé fuperftitieux. Je me regarde, mon Révérend Pere, comme élevé avec vous dans un défert, fous les yeux d'une Merc muette, fans autre guide que la raifon, & fans autre

inftructions que nos réflexions & médi

tations.

Après cela, mon Révérend Pere, le fcandale n'eft point à craindre. Le Pere Malebranche n'eft point un efprit foible; cet écrit ne vous paffera point, à moins que vous ne le jugiez digne d'une réponse publique & folemnelle, auquel cas il en faudroit donner une copie fidelle avec la réfutation de chaque article; ce que je vous conjure de faire.

Je fuis &c,

CHAPITRE I.

Contenant l'expofition des raifons qui ont fervi à me deffiller les yeux.

L

A premiere chofe qui m'ait choqué dans notre religion, c'eft la puiffance du Pape. Dès ma plus tendre enfance je n'entendois pas lire une Gazette que lorsqu'on en étoit à ces démêlés fi ordinaires entre la Cour de Rome & les Etats Catholiques, je n'entraffe dans une indignation qui auroit mis en poudre & le Pape, & fes clefs & fa Thiare, fi j'en avois eu le pouvoir; je ne pouvois comprendre la foibleffe des Souverains, de fe faire volontairement les efclaves d'un Prêtre, que le dernier des hommes peut méprifer impunément. Il en étoit de même lorfque j'entendois parler de difpenfes de mariages, d'excommunications, de détrônemens, d'interdits de Royaumes, &c. mais quand j'ai vû de près le faste, l'orgueil, la débauche, la vanité, l'avarice, les intrigues & la politique de cette Cour, autrefois fi formidable aux Rois mêmes, & aujourd'hui fi juftement méprifée; quand j'ai vû ces annates pour la collation

des bénéfices, ce tarif d'abfolutions, (a) ce dogme tant pratiqué d'enfraindre des fermens & de ne tenir aucun compte de fa parole; quand j'ai vû, dis-je, que cette Sainteté fi révérée étoit fouvent le titre d'un vieux Prêtre, dont l'efprit & le corps font également affoiblis, donnant ou refufant tout, au gré de l'avarice de fa Concubine ou de fon neveu; l'étonnement a fait place à la colere.

L'Inquifition & toutes les violences qu'elle exerce pour foumettre les efprits, fous prétexte de religion & pour priver le genre humain de toute liberté, m'a donné enfuite les idées les plus défavantageufes des Prêtres ou du Sacerdoce en général. Mais j'ai été faifi d'horreur & j'ai fenti mon ame fe brifer, quand j'ai vû les Inquifiteurs pouffer la cruauté jus qu'à fe faire une fête des exécutions les plus tragiques, & faire brûler vifs en cé rémonie des malheureux & des innocens qui ne penfoient pas comme eux fur des Articles de pure fpéculation. Cependant ces Prêtres fanguinaires traitent de tyrans abominables ceux dont les actes de févéris

(a) C'est ce qu'on appelle taxe de la Chancelle rie Romaine, on y trouve par leurs noms tous les crimes les plus abominables avec le taux que doivent payer les criminels pour en être absous,

« PrécédentContinuer »