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vous, et de lui obéir en distribuant à vos semblables des biens qu'il ne vous a confiés que dans ce but. Car Dieu, en vous chargeant de leur dispensation, ne s'en est pas pour cela dessaisi; ce n'est que de ses propres biens qu'il vous commande de faire des dons aux pauvres. Pourquoi faites-vous si peu de cas des ordres de votre bienfaiteur? Pourquoi ne remplissez-vous pas les conditions du pacte qu'il a fait avec vous? Pourquoi fermez-vous l'oreille au commandement qu'il vous fait d'être charitable? On s'expose à perdre l'argent qu'on a reçu, quand on met de la négligence à en tirer profit. Soyez miséricordieux, comme votre Père céleste est miséricordieux lui-même envers vous. Montrez par vos actes votre ressemblance avec votre père. Montrez l'affinité de votre race par celle de vos œuvres. Que votre conduite soit la justification du nom que vous portez, et que le nom que vous portez soit l'expression abrégée de votre conduite. Que le fils conserve fidèlement les dons qu'il a reçus de son père, pour que le père remette un jour à son fils la récompense qu'il lui a promise. Le patrimoine mis en votre possession vous appartient, si vous le faites valoir; il cesse d'être à vous, si vous le laissez inactif. L'argent gardé dans les coffres est exposé à tous les hasards; celui que la miséricorde met à profit procure les biens éternels. Que craignez-vous de confier à Jésus-Christ ce que vous aurez tant de peine à soustraire aux voleurs? Celui qui donne aux pauvres, nous dit le Sage, n'aura besoin de rien (Prov., XXVIII, 27). Vous partagez votre patrimoine entre vos héritiers; et Jésus-Christ est-il donc indigne d'avoir part à votre bien, et de vous aider à l'emporter avec vous dans l'éternité? Pourquoi garder pour un héritier ce dont vous ne savez pas si cela devra lui servir? Pourquoi entasser des biens que vous laisserez peut-être à des ingrats? Qui sait si ce que vous détacherez, pour faire quelque aumône, de la part que cet héritier attend de vous, ne tournera pas son propre avantage? Commencez donc par faire ce que Dieu vous ordonne, pour recevoir plus tard ce qu'il vous a promis. Celui qui ne veut pas prêter à intérêt à Dieu même, ne peut pas recevoir d'intérêts qui lui profitent. Celui qui a pitié du pauvre prête au Seigneur à intérêt, nous dit l'auteur des Proverbes (Prov., XIX, 17). Eh! comment pourrait prétendre à recevoir l'effet des divines promesses, celui qui refuserait d'observer les préceptes divins? » 9. Le même, in Libro L homiliarum, hom. XXXIX (1), ayant

(1) Cette homélie semble à Noël-Alexandre n'être pas de saint Augustin. V. NAT. ALEX., Hist. eccl., t. V, p. 103, édit. de Mansi.

à expliquer ces mots du psaume XL, Beatus qui intelligit super egenum et pauperem, dit ces paroles : « Heureux celui qui fait l'aumône avec largesse, parce que son argent lui sert à gagner le ciel, et qu'en nourrissant ceux qui ont faim, il éteint l'incendie qu'allumeraient ses péchés. C'est le témoignage que lui rend le Prophète, et il éprouvera les effets de la protection de l'EspritSaint. Ses bonnes œuvres lui procurent la paix pour le temps de cette vie, et la sécurité pour le moment de sa mort; son patrimoine le suivra dans le ciel et entrera dans les greniers éternels; en nourrissant le pauvre, il aura rendu Dieu lui-même son débiteur. En se contentant de peu pour la vie présente, il s'assure les biens de la vie future, et un riche héritage pour le jour du jugement. Il n'aura à redouter aucune perte, du moment où ses aumônes lui auront assuré le trésor de la piété.....

>> La miséricorde dont vous userez, mes frères, envers le pauvre, sera parfaite, si vous n'attendez pas pour lui donner le nécessaire qu'il vous en ait fait la demande. Car c'est une aumône bien défectueuse, que celle que les supplications extorquent en quelque façon. Quand même un mendiant garderait le silence, la pâleur répandue sur son visage, son air exténué, défait, ne parlet-il pas assez hant? Hâtez-vous de venir à son secours, pour ne pas l'entendre vous prier de ne pas garder pour vous ce que vous devez au Seigneur. Imitez votre Dieu, qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes et sur les injustes. La pluie vient arroser vos terres avant même que vous la demandiez; elle répand la fertilité sur votre terrain tandis que, reposant dans votre lit, vous êtes plongé dans le sommeil; Dieu commande de même au jour de vous illuminer de ses clartés, aux éléments de se mettre à votre service, à la terre de vous prodiguer ses fruits même à votre insu. Le ciel féconde la terre qui enfante pour nous tous ces biens, que nous recevons ensuite comme ils nous viennent et sans les avoir demandés. Et vous, ô homme, vous vous montrerez chiche d'un morceau de pain, ou bien vous ne vous en dessaisissez qu'autant qu'on vous l'achète ? Les quatre mille personnes qui suivirent Jésus dans le désert ne lui demandèrent pas les sept pains et les quelques petits poissons qui suffirent pour nourrir abondamment une si grande multitude; rien que l'intérêt que Jésus aurait pu en tirer aurait dépassé le capital lui-même. Recueillez les restes, de peur qu'ils ne se perdent, dit-il après avoir nourri tout ce peuple (MATTH., XV, 56 et suiv.), parce que toute cette provision avait

été sanctifiée; qu'on remplisse de ces restes sept corbeilles : tous ces milliers de personnes ont été rassasiés : ce peu a suffi pour tout le monde. A mesure qu'ils mangeaient, la nourriture se multipliait sous leurs mains: ainsi en sera-t-il de l'aumône, mes frères, et en cela l'homme participera à la puissance de Dieu, qui a laissé à dessein des pauvres sur la terre, lui qui nourrit de rien le ciel entier, pour nous donner l'occasion de faire l'aumône. Mais si tous étaient dans l'abondance, c'en serait fait de l'aumône; Dieu nous a donc offert comme un second baptême, en nous offrant le moyen de pratiquer cette vertu. Car qui est-ce qui est sans péché? Or, de même que l'eau éteint le feu, ainsi l'aumône éteint-elle les péchés. Que l'abondance de nos provisions nous serve, par la part que nous en ferons aux pauvres, à éteindre les flammes que nos péchés auraient allumées : la miséricorde que nous aurons exercée nous fermera les portes de l'enfer, et empêchera que nous ne soyons jetés dans ses abîmes. Dieu fera miséricorde à celui qui aura lui-même fait miséricorde ; il sera sans pitié pour celui qui aura été sans pitié. Donnez de votre pain, tandis que vous avez le moyen de le faire : c'est une chose dont on n'a pas besoin dans l'autre vie; après la mort, vous n'aurez plus de froment à récolter ou à distribuer; personne ne vous demandera plus l'aumône; ce ne sera plus le temps de faire miséricorde. Les bons et les méchants seront à jamais séparés les uns des autres d'après la différence et l'opposition de leurs actes; Jésus-Christ, notre roi et notre juge, fera ce discernement entre les agneaux et les boucs, qu'il placera, les uns à sa droite, et les autres à sa gauche; il dira que c'est lui-même qui a eu faim, qui a eu soif, qui a enduré toutes les autres sortes de privations et de souffrances dans la personne de ses serviteurs. Donnez donc, mes chers frères, à tous ceux que vous voyez dans le besoin, mais principalement à ceux qu'une même foi a rendus comme vous enfants de Dieu; donnez à tous, de peur que celui à qui vous n'auriez pas donné ne soit Jésus-Christ lui-même; ou plutôt, croyez-moi, c'est à Jésus-Christ lui-même que vous serez assuré de donner. >>

10. S. LÉON-LE-GRAND, Serm. V de Quadragesima: « Les personnes qui ont de la douceur et de la clémence sont naturellement libérales; rien n'est plus digne de l'homme que d'imiter son créateur, et de mesurer les largesses que l'on doit faire sur l'étendue de ses moyens; car lorsqu'on donne à manger à ceux qui ont faim, qu'on a soin de vêtir ceux qui sont nus, qu'on soulage les

infirmes, n'est-ce pas en quelque manière tenir la place de Dieu? La bonté du serviteur n'est-elle pas un effet de la bonté du maître? Quoiqu'il n'ait pas besoin de secours pour répandre sur nous les dons de sa miséricorde, il a tellement tempéré sa toutepuissance, qu'il subvient aux nécessités des hommes par le ministère des hommes mêmes, et c'est avec justice qu'on le remercie des œuvres de charité qu'il exerce par les mains de ses créatures. Voilà pourquoi le Sauveur du monde disait à ses disciples : Que votre lumière luise devant les hommes, afin que, voyant vos bonnes œuvres, ils glorifient votre Père, qui est dans le ciel (Matthieu, V, 16), et qui vit et règne avec le Verbe et le Saint-Esprit (1). >>

10. Ibidem, Serm. X de Quadragesima : « Il faut aussi, pendant le carême, avoir plus de zèle que jamais pour soulager les misères des pauvres et toutes les autres espèces d'infirmités, afin que plus de gens puissent rendre à Dieu des actions de grâces, et que le pain que nous donnons aux pauvres relève le mérite de notre jeûne. Les secours que les fidèles rendent aux pauvres honorent Dieu plus que tout autre acte de vertu; et dans le zèle que nous apportons à exercer la miséricorde, il se plaît à reconnaître l'image de la sienne. Que la crainte de manquer de ressources n'empêche jamais de faire de tels sacrifices: car une âme bienfaisante et libérale est toute seule une grande richesse. Puisque Jésus-Christ est l'objet et le principe de nos charités, pouvonsnous jamais manquer de moyens pour faire des largesses? Cette main qui, en rompant le pain et en le distribuant le multiplie, préside aux bonnes œuvres; que celui donc qui donne l'aumône la fasse avec joie et sans inquiétude. Moins il se réservera pour soi-même, plus seront grands les avantages qu'il retirera de ses aumônes, puisque saint Paul a dit en termes exprès : Dieu, qui donne la semence à celui qui sème, vous donnera le pain dont vous avez besoin pour vivre, et il multipliera la semence de vos charités, et il fera croître de plus en plus les fruits de votre justice (II Cor., IX, 10); par la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui vit et règne avec le Père et le Saint-Esprit dans les siècles des siècles(2).

12. S. GRÉGOIRE de Nysse, Lib. de beatitudinibus, explique de la manière suivante ces paroles de Notre-Seigneur, Beati misericordes (MATTH., V, 7) : « Je sais qu'en beaucoup d'endroits des divines Ecritures, les écrivains inspirés appellent du nom de miséricordieux la Divinité elle-même; ainsi David dans ses psaumes;

(1) Cf. Sermons de saint Léon-le-Grand, p. 299-300.

(2) Cf. Ibidem, p. 265-266,

ainsi Jonas dans ses prophéties; ainsi le grand Moïse dans une multitude de passages. Si donc ce nom de miséricordieux convient à Dieu lui-même, que fait Jésus-Christ en vous exhortant à la miséricorde, autre chose que de vous exhorter à devenir des dieux en quelque sorte, en revêtant ce qui fait le propre caractère de la Divinité? Car si Dieu est appelé miséricordieux par les écrivains sacrés; si d'ailleurs c'est Dieu qui possède la vraie béatitude, il est évident, par une conséquence logique et rigoureuse, que qui que ce soit, fût-il un simple mortel, qui pratique la miséricorde, participe par-là même à la suprême béatitude, puisqu'il possède l'attribut qui donne son nom à la Divinité. Le Seigneur est miséricordieux et juste, et notre Dieu est compatissant (Ps. CXIV, 5). Comment donc ne serait-il pas heureux, l'homme qui est appelé, et qui est effectivement, ce qui fait la propre dénomination de Dieu, comme le fond de sa nature même?.....

» Le genre humain semble partagé tout entier en deux classes opposées, celle des maîtres et celle des esclaves, celle des riches. et celle des pauvres, celle de la noblesse et celle de la roture, celle des faibles et celle des forts, et cette antinomie se retrouve partout. Afin donc que celui qui a plus et celui qui a moins soient ́remis au même niveau, et que ce qui manque aux uns soit suppléé par ce qui abonde chez les autres, le divin Maître nous recommande à tous la miséricorde à l'égard de ceux qui souffrent; car on ne peut être porté à soulager le prochain dans son malheur, qu'autant que la miséricorde en inspire le sentiment, puisque la miséricorde se conçoit comme l'opposé de l'inhumanité. De même donc qu'un caractère inhumain se montre inaccessible à ceux qui voudraient l'aborder, de même l'homme compatissant et miséricordieux s'identifie pour ainsi dire avec celui qu'il voit dans le besoin, et s'accommode à tout ce que demande de lui cette âme plongée dans l'amertume. >>

Question II.

En quels termes la sainte Ecriture nous recommande-t-elle l'aumône?

L'Ecriture nous recommande l'aumône par une foule d'instruc-tions, d'exhortations et d'exemples. Saint Cyprien va jusqu'à dire qu'aucun précepte ne nous est plus fréquemment intimé dans l'Evangile que celui de faire l'aumôme, et de placer notre trésor dans le ciel, au lieu de mettre notre dernière fin dans les biens

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