Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

«< perunt, cum civitates condi, et magistratus creari, « et leges scribi cœperunt1. »

Ainsi, s'il faut en croire ces autorités, il y a deux états successifs de l'homme.-Dans l'état anté-social, point de cités, de magistrats, de lois. Tel est l'état normal. Le droit qui ne suppose ni cités, ni magistrats, ni lois, est le droit NATUREL. C'est bien LA NATURE même des choses (rerum natura) qui l'a organisé ainsi, avec l'espèce humaine (cum ipso genere humano). Dans l'état social, il y a des cités, des magistrats, des lois; mais ce n'est pas là l'état normal! Le droit qui suppose tout cela, s'appelle droit civil. Il ne peut pas être l'œuvre de la nature des choses, puisqu'il suppose un accident contraire à cette nature, l'établissement d'une direction sociale.

Résumons, en deux mots, les conséquences de cette opinion des poètes et de certains jurisconsultes romains: LA MORALE est la seule direction légitime de l'homme de la nature : LE DROIT est la violation de LA MORALE; ou, tout au plus, c'est la conservation partielle de cette MORALE, avec addition de dispositions arbitraires qui en altèrent la pureté primitive*.

453. A la suite des anciens, certains philosophes modernes ont vanté les douceurs du prétendu état anté-social. Par là, ils ont nié de même indirectement la légitimité du droit.

1 S 11, De dw. rer. Instit. (lib. II, tit. 1).

• Ibid.

Ibid.

Voilà une première distinction fantastique de la morale et du droit. Prenez patience, lecteur! Nous en verrons bien d'autres, aussi peu sensées.

Il en est cependant qui se sont aperçu qu'ils vantaient une chimère, contrairement à l'évidence des faits. Ils ont donc abandonné l'existence d'un état anté-social. Mais, chose étrange! Ils ont maintenu la supposition d'un état extra-social. Pourquoi? Apparemment pour conserver un reste de la définition donnée dans les Institutes et dans le Digeste! Comme si c'était chose sacrée, à laquelle on ne doive pas tou< cher! Ainsi s'est produite une seconde application de la bizarre méthode suivie par le jurisconsulte Ulpien, quand il se demande ce que serait la direction de l'homme, si l'homme n'était qu'un animal 1?....... On s'est demandé de même ce que serait la direction de l'homme, s'il n'était pas sociable?..... Et c'est la direction de cet homme imaginaire qu'on a appeléc morale ou droit naturel, en confondant ces deux mots.

Voilà bien le procédé le plus fantastique qui se puisse imaginer! Eh bien! Montesquieu lui-même n'a pu dégager sa haute raison de la fantaisie de le suivre. « Les lois de la nature, dit-il, sont ainsi nommées «< parce qu'elles dérivent uniquement de la constitu<«<tion de notre être. Pour les connaître bien, il faut «< considérer un homme avant l'établissement des so« ciétés. Les lois de la nature seront celles qu'IL RE<< CEVRAIT dans un état pareil. >>>--Les judicieux commentateurs de Zachariæ se laissent aller à la même illusion, quand ils disent : « Nous ne considérons l'état

1 Nous critiquerons plus loin la définition du droit naturel, donnée, en vertu de cette méthode, par Ulpien, en ces termes : « Jus naturæ est, ◄ natura omnia animalia docuit. »

2 Esprit des lois, liv. I, chap. I.

« de nature que comme une ABSTRACTION. Nous défi« nissons LE DROIT NATUREL l'ensemble des principes juridiques qui règlent les rapports des hommes, con« sidérés FICTIVEMENT comme vivant dans un état << extra-social. »

Ceux qui raisonnent ainsi sont plus inconséquents que les partisans de l'existence d'un état anté-social. Au fond, ils se confondent avec eux, et arrivent à la négation du droit. Le droit, ils le subissent, plutôt qu'ils ne l'acceptent..... Ils semblent regretter que l'homme soit sociable. S'ils pouvaient refaire l'œuvre du Créateur, l'homme ne serait pas sociable; il serait régi par la seule morale: c'est là le type de perfection qu'ils conçoivent.

454. Funeste logomachie! Le mal qu'ont fait, dans l'histoire de l'humanité, les quelques lignes des jurisconsultes romains qui ont donné cours à ces erreurs, est incalculable. Oh certes! Retenus par le bon sens pratique, les hommes n'ont pas conclu, de ces folles définitions, qu'il faut retourner dans les forêts pour secouer le gland des chênes! Mais en acceptant cette étrange tradition d'une direction individuelle, antérieure à la direction sociale, et meilleure qu'elle, les générations se sont succédé, gardant, au fond du cœur, un secret mépris pour les institutions sociales: Pourquoi? parce qu'on les leur présentait comme un pas rétrograde dans la science du devoir. L'individu s'est dit: La royauté suprême primitive que Dieu m'avait octroyée, m'a été enlevée par la nation. Si je me soumets, par prudence ou par intérêt, aux lois qu'on me dicte, du moins, dans le sanctuaire de mon âme,

mon individualité proteste contre une abdication trop peu volontaire!

Interrogez, lecteur, les personnes les plus éclairées du siècle où nous vivons! Vous retrouverez encore, dans leur pensée, les traces opiniâtres de ces contresens. Qu'est-ce, pour ces personnes, qu'une législation? Une réunion de quelques misérables détails sur la mitoyenneté des murs, la peine du vol ou de l'assassinat.... Un ensemble de ridicules chicanes de procédure..... Aussi l'éluderont-elles sans regrets. Que dis-je! Elles se glorifieront parfois de l'éluder. La loi véritable n'est-elle pas ce qu'elles appellent l'idéal de leur conscience? Quel idéal, hélas! Idéal d'esprits présomptueux, qui prennent le sentiment relatif du devoir grossièrement entrevu, pour la révélation absolue du devoir! Idéal d'esprits illogiques, qui, plaçant le tableau à contre-jour, rêvent, dans une époque qui n'a jamais existé, une perfection imaginaire primitive, au lieu de la chercher dans l'avenir, où seulement on peut la poursuivre!

455. «S'appliquer, dit Klaproth, à connaître l'état <<< naturel de l'homme, en choisissant, pour objet de «< ses considérations, un homme élevé parmi les ours « et les loups, c'est prouver l'agilité propre et natu<< relle aux membres du corps humain en prenant un << paralytique pour exemple... '. » Rossi fait observer qu'on imite ainsi Condillac, quand, pour expliquer l'homme, il commence par imaginer l'homme-statue,

1 Principes de droit naturel (chap. v, § 136).

Traité de droit pénal.

c'est-à-dire l'homme qui n'est plus l'homme. C'est procéder comme un chimiste qui voudrait décomposer l'eau abstraction faite d'un de ses éléments, c'est-à-dire l'eau qui n'est plus l'eau.

Rendons-nous à ces judicieuses réflexions. « Un << noyau de cerise ne produit un cerisier que dans cer<<< taines conditions 1. » Pour créer un homme de la nature, ne commençons pas par oublier la nature de l'homme. Plaçons-le dans le milieu que lui fait la sociabilité. Pour cela, ne nous contentons pas de considérer l'établissement de la société comme un moyen de protection cherché par chacun de nous contre la méchanceté des autres 2, ou comme un calcul d'utilité qui nous a engagés à nous réunir, comme la faim fait sortir les loups du bois ". Reconnaissons purement et simplement le caractère essentiellement sociable de l'homme. Voyons Adam, aussitôt qu'Eve lui fut donnée, nous apparaitre tel qu'il est, c'est-à-dire constituant la famille : voyons ses descendants former la tribu, puis la nation, en couvrant un même

1 Klaproth, loco citato.

2 C'est, nous l'avons déjà vu (nos 157, 158), le système de Hobbes, analysé ainsi par Cumberland (De legib. naturæ, epist. dedic.) « Hobbius ar<< matum introducit legum interpretem, qui omnes legum nodos gladio << solvet. >>

3 Ce système serait déjà meilleur que celui de Hobbes. -« Hobbes, dit << Leibnitz (Nouveaux essais sur l'entendement humain), ne considérait << point que les meilleurs hommes, exempts de toute méchanceté, s'uni«raient pour mieux obtenir leur but, comme les oiseaux s'attroupent pour << mieux voyager en compagnie; et comme les castors se joignent par cen<< taines pour faire de grandes digues..., des réservoirs d'eaux..., dans les« quels ils bâtissent leurs cabanes, et pêchent des poissons dont ils se << nourrissent. C'est là le fondement de la société des animaux qui y sont << propres et nullement la crainte de leurs semblables, qui ne se trouve « guère chez les bêtes.

« ZurückWeiter »